M comme Marseille d’une rue et d’un auteur à l’autre
Pour la conclusion de son abécédaire pour Marsactu, Michea Jacobi nous propose une balade littéraire dans Marseille. L'occasion aussi de relire les chroniques précédentes au pied de cet article.
M comme Marseille d’une rue et d’un auteur à l’autre
Les écrivains écrivent, les lecteurs lisent leurs livres en partie ou tout entier, par plaisir ou par obligation. Le jeu dure plus ou moins longtemps. Certains auteurs restent de longues années en vogue, des siècles parfois, d’autres tombent fissa en désuétude. Au bon vouloir des villes, les noms des plus persistants, et des plus éphémères quelquefois, finissent en noms de rue. À Marseille, ville éminemment littéraire, les plaques sont nombreuses à célébrer les grands et les petits-maîtres de la littérature. Suivons-les dans l’ordre de l’alphabet.
A : ARÈNE, ARTAUD
Paul Arène n’est pas le plus célèbre des écrivains provençaux du XIXe. Daudet est bien plus connu. Certains mauvais esprits avancent d’ailleurs que l’auteur des Lettres de mon moulin pêcha une partie de ses contes chez le premier cité. Laissons là ce débat et rappelons-nous ce passage qu’Arène, aujourd’hui relégué au-delà de Plombières, consacra au cabanon :
“Si le Père Éternel était de Marseille, voici probablement comment serait le Paradis. D’abord, pour monter, un étroit sentier capitonné de cailloux coupants et bordé de maigres talus sur le flanc desquels l’herbe se recroqueville…”
Et si nous avons envie d’une littérature moins doucereuse, cherchons sur le plan Antonin Artaud. Las ! C’est une impasse que l’on a donnée à ce poète, dans le quartier bourgeois du Roucas qui plus est.
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B : BEYLE, BERTIN
“Je crois que l’action la plus ridicule aux yeux d’un riche Marseillais est celle d’ouvrir un livre, a écrit Stendhal.”
C’est pour lui clouer le bec, ou pour lui rendre un hommage malicieux que Marseille a donné au joli chemin qui court sous la Viste (l’endroit même par où Stendhal fit à deux reprises son entrée dans la ville) le vrai nom de cet auteur, Henri Beyle. Quant à Horace Bertin, l’auteur des Heures marseillaises, il est resté pour toujours dans le quartier où il vécut, La Plaine, d’où il traçait jadis le croquis suivant :
“Sept heures du matin : Quelques gamins, leurs livres tachés d’encre sous le bras, s’arrêtent sur la place Saint Michel pour assister aux exercices des conscrits : A droite… Alignement ! Tête… droite !”
C : CHATEAUBRIAND
Balzac appelle “tartines” les discours creux que Marseille, depuis au moins trois siècles, semblent inspirer aux gens de plume. Dans Illusions perdues, il résume le genre ainsi : “Une tartine patriotique, le tout entrelardé de tirades sur Marseille, sur le Levant, sur notre commerce…” Chateaubriand a écrit : “Que peut avoir à désirer une ville à qui Cicéron adresse ces paroles, dont le tour oratoire a été imité par Bossuet : « Je ne t’oublierai pas, Marseille… »”. Tiendrait-on une “tartine” ?
D : DUMAS, DANTÈS
À Marseille, les rues n’ont pas seulement des noms de romanciers, elles ont aussi des noms de héros de romans. C’est au moins le cas pour Le comte de Monte-Cristo celui d’Alexandre Dumas. Il y a une rue Dantès, une rue de l’abbé Faria, une rue Monte-Cristo. C’est grâce à Chave, promoteur immobilier qui fit appel, par l’entremise de Méry, à Dumas pour convaincre la grande Rachel de venir jouer dans son théâtre. Et se débrouilla ensuite pour que la ville lui offrit ces trois rues, en guise de remerciement.
E : ERNEST (RENAN)
“Ma mère avait un vieux livre qu’elle appelait les Cantiques de Marseille ; elle l’aimait beaucoup ; je l’ai encore ; il s’y trouve des choses charmantes.”
Qui a écrit ça ? C’est Ernest Renan, le terrible philologue breton, l’auteur d’une géniale Vie de Jésus. Est-ce pour les récompenser, lui et sa maman, que la ville lui a donné une petite rue, près du boulevard Baille ?
F : FARIA (voir DANTÈS)
G : GOZLAN
Qui se souvient de Léon Gozlan, secrétaire de Balzac, qui écrivit à propos de son maître un délicieux Balzac en pantoufles. Qui se souvient de son heureuse manière et de sa description au petit poil du port de sa ville natale ?
“Il est des villes qui jouissent d’un carnaval perpétuel : Marseille peut être comptée parmi celles-là. Son port voit passer à toute heure, sous un soleil ardent, sur des briques rouges, le long de ses maisons hâlées comme des matelots, le long de son bassin huileux et calme, des masques qui viennent de tous les pays, sous le cafetan de Constantinople et sous la barrette de Tunis, dans les larges brayes du marin dieppois ou dans l’étroite tunique du pilote persan…”
H : HOMÈRE, HUGUES
Il y a des centaines de ville en France qui honorent Victor Hugo, ce pauvre type qui ne trouva à pondre sur notre ville que le jugement suivant : “Marseille est un amas de maisons sous un beau ciel, voilà tout”. Mais lesquelles célèbrent Homère ? Lesquelles ont de plus la délicatesse de le faire en bord de mer, dans une ruelle de Malmousque ? Et lesquelles osent aussi rendre hommage, au cœur de la Belle de Mai, à Clovis Hugues, ce Rouge qui dans un de ses quatrains évoqua à la fois sa ville et l’antique poète :
“E Marsiho es aqui, coumo èro
Souto lou cèu
Quand li Diéu que cantavo Oumèro
Eron de Diéu !”
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I : ISAAC
Jules Isaac est un des auteurs du fameux manuel d’Histoire de France Malet-Isaac. Sa rue est une artère assez longue du quartier de Mazargues. Qui veut méditer sur l’incompréhension entre Juifs et Chrétiens (et sur l’Histoire plus généralement), peut la parcourir en se répétant l’avertissement que formula Jules Isaac afin d’améliorer les rapports entre les deux religions :
“Se garder d’affirmer que Jésus en personne a été rejeté par le peuple juif, que celui-ci a refusé de le reconnaître comme Messie et Fils de Dieu, pour la double raison que la majorité du peuple juif ne l’a même pas connu, et qu’à cette partie du peuple qu’il a connu, Jésus ne s’est jamais publiquement et explicitement présenté comme tel.”
J : JALOUX
Marseille a exilé Edmond Jaloux, écrivain au style précieux, au bout du Canet, derrière la Caisse d’allocations familiales. C’est peut-être justice. Celui-ci ne recommandait-il pas aux visiteurs de Notre-Dame “de faire le tour de la basilique et de tourner le dos à la Corniche pour regarder la cité au lieu de la mer et voir s’étendre à ses pieds ce corps admirable, mystérieux et gigantesque, qu’est une ville à vol d’oiseau”.
K : KENNEDY
Le dictionnaire historique des rues de Marseille d’Adrien Blès signale une rue Joseph-Kessel. Comme celle-ci a disparu corps et biens disparu, le pauvre alphabéticien est obligé de se rabattre sur la corniche Kennedy, non pour les discours du président traduit en 1963 en français sous le titre Le tournant, mais pour le livre de Maylis de Kerangal (avec un K) Corniche Kennedy. “SPIDER-MAAAN ! ZIDANE REVIEEEENS ! ALLAH AKBAAAAAR !” comme disent les jeunes plongeurs de ce roman.
L : LAROUSSE, LUCRÈCE
La traverse Larousse se trouve près de l’usine Haribo qui souffle sur le souvenir du dictionnariste une puissante odeur de réglisse. La rue de la Lucrèce à l’Estaque est à deux pas de la mer. La Lucrèce devait être une villa. Lucrèce était un poète épicurien qui, ayant entrepris de décrire la nature entière en six chants, s’arrêta assez longuement sur l’accouplement des hommes et de femmes et le plaisir paradoxal que, pensait-il, ils en tiraient. Il écrivait : “Les amants se pressent avidement, mêlent leur salive et confondent leur souffle en entrechoquant leurs dents…” On peut retrouver une vie brève de ce poète dans mon dernier livre : JOUIR, vingt-six vies consacrées à cet art.
M : McKAY, MÉRY, MONTE-CRISTO
Le Jamaïcain Claude McKay (alias Banjo, le titre de son merveilleux roman marseillais) est le dernier écrivain à avoir cédé son nom à une artère de la ville. C’est grâce à Jean-Max Guieu, professeur à la Georgetown University et résident sur les lieux mêmes que l’opération a pu se faire et qu’un passage McKay existe maintenant, quai de Rive-Neuve.
Méry “que Marseille la grecque, heureuse et noble ville /Blonde fille d’Homère, a fait fils de Virgile”, écrit Victor Hugo, était un poète prolixe. Pour Monte-Cristo, reportez-vous à Dantès.
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N : NOUVEAU
Les rues ont parfois des noms trompeurs. La rue Nouveau à Saint-Mauront ne doit pas son nom à Germain Nouveau, versificateur né à Pourrières et mort après un long et volontaire jeûne dans le même village, mais à un ancien fermier des lieux. L’amateur de promenade et de littérature doit parfois savoir et se taire et se répéter intérieurement les vers de ce poète :
“L’esprit des sages te contemple
Mystérieuse Humilité
Porte étroite et basse du temple
Auguste de la vérité !”
O : OLYMPE (DE GOUGES ?)
Parions que ce double panneau perché sur le Roucas (et féminin des deux côtés) célèbre Olympe de Gouges, la révolutionnaire rédactrice de la DÉCLARATION DES DROITS DE LA FEMME ET DE LA CITOYENNE, laquelle commence par cette terrible question “Homme, es-tu capable d’être juste ?”
P : POE, PLAUTE, POINT D’INTERROGATION
Pourquoi ce square à Poe ? Pourquoi cette rue (à l’enseigne passablement défraîchie) dédiée à Plaute ? Point d’interrogation !
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Q : QUINET
Quinet est l’exemple même des auteurs que l’on ne lit plus. La prière qu’il a formulée en préface d’un de ses livres :
“Oh ! Combien doit être douce la patrie que se sont faite en commun les esprits immortels… ! C’est là qu’il ferait bon habiter avec ses frères. Puisse d’abord cette paix, trouvée à la source des choses, se communiquer au lecteur !”,
a fait depuis longtemps long feu.
R : RIMBAUD, ROSTAND
Arthur Rimbaud fait les cent pas devant les Baumettes, Edmond Rostand grimpe derrière la préfecture. Morale : les poètes sont près de la taule et les académiciens près du pouvoir !
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S : SARTRE
Quel nom et quelle artère nous montrent ici l’omnipotent monsieur Google ? Mais oui, vous savez bien, c’est cette bruyante rocade qui passe devant le Bateau bleu du conseil départemental et s’en va vers Malpassé. Comment l’a-t-on nommée ? Avenue Jean-Paul-Sartre pardi ! Pensez-y, insouciants automobilistes et méditez, la prochaine fois que vous l’emprunterez, cette déclaration du maître de l’existentialisme :
“L’homme qui s’engage et qui se rend compte qu’il est non seulement celui qu’il choisit d’être, mais encore un législateur choisissant en même temps que soi l’humanité entière, ne saurait échapper au sentiment de sa totale et profonde responsabilité.”
T : TOLSTOÏ
Déambulant de la gare à la Joliette et du Vieux Port à Endoume, ouvrant les yeux et les oreilles et s’adressant à tous ceux qui voulaient bien lui répondre, ouvriers, pêcheurs ou simples passants, Tolstoï constatait : “Le peuple français est presque tel qu’il se croit : habile, intelligent, sociable, libre-penseur, et, en effet, civilisé”. Et se posant la question : “Où donc a-t-il appris tout cela ?”, il trouvait aussitôt la réponse : “Dans les rues, les guinguettes, les cafés-concerts, les musées, les ateliers, les docks, les librairies de Marseille”. Vive Tosltoï ! Vive sa rue, près de l’église d’Endoume !
U : URFÉ
C’est à Marseille qu’est né en 1557, Honoré d’Urfé, l’auteur de L’Astrée, le premier roman français. Le livre est interminable mais la rue, situé à la Joliette, est assez courte. Un Ehpad s’y est récemment installé.
V : VAUVENARGUES
Je ne sais pas si la rue Vauvenargues doit son nom à l’auteur des Maximes et pensées. Si tel est le cas on pourrait sans trop de frais assortir la plaque de la rue d’une citation de cet écrivain. Je propose la suivante :
“Les grands hommes entreprennent les grandes choses parce qu’elles sont grandes ; et les fous, parce qu’ils les croient faciles.”
Et j’appelle la municipalité à étendre le principe de la citation à tous les gens de lettres immortalisés par l’onomastique urbaine.
W : WILLIAM (BOOTH)
William Booth (son boulevard se trouve entre La Grognarde et Les Caillols) n’est pas un écrivain. C’est le créateur de l’Armée du Salut. Il doit sa place ici à la première lettre de son prénom et à son aptitude à résumer avec une rigueur toute protestante son projet auprès des démunis : Soup, Soap and Salvation, “Soupe, Savon, Salut”.
XAVIER (PROGIN)
On écrivait autrefois à la plume, on passa à la machine à écrire, on en est à l’ordinateur. Les littérateurs aussi suivent la pente de la modernité. S’ils se servent aujourd’hui d’un clavier, c’est grâce au marseillais Xavier Progin, inventeur en 1833 d’un des premiers systèmes de dactylographie.
Y : YANN DE L’ÉCOTAIS
Il en est des écrivains comme des saints de l’Église catholique. Les uns sont béatifiés (ou accèdent aux noms de rue) longtemps après leur décès, les autres chaussent l’auréole à peine froids. C’est ainsi que notre ville a décidé de propulser Yann de l’Écotais, auteur d’une trilogie phocéenne, au panthéon de la toponymie urbaine de son vivant même. Errant du côté du chemin de Sormiou, j’ai cherché vainement la plaque correspondante. Infoutu de la trouver dans ce quartier bouleversé par la promotion immobilière, je me suis rabattu sur ce véhicule récemment incendié.
Z : ZOLA
Pourquoi nommer Zola un institut de beauté ? Parce qu’il se trouve rue Zola, dans le quartier de Mazargues ? Oui, bien sûr. Mais aussi (c’est moins probable) parce que les propriétaires des lieux, férus de naturalisme, se rappellent ce qu’écrivait Zola dans un article sur Manet :
“C’est en nous que vit la beauté et non en dehors de nous.”
JEU-CONCOURS : Quel auteur de langue germanique a écrit :
“Chacun traîne son pays à la semelle de ses souliers et l’apporte jusqu’à Marseille.”
Indice : Deux écrivains américains portent le même nom que cet auteur.
Le premier à déposer la bonne réponse en commentaire recevra un magnifique collage de Michéa Jacobi : « ALEXANDRE DUMAS CHEZ LE GRAVEUR » (47 sur 35 cm)
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Je pense à Joseph Roth…
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J’aurai bien tenter Walter Benjamin, mais il me semble que j’aurais perdu.
En tout cas merci pour tous ces abécédaires qui ont egailler de nombreux week end.
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BRAVO. Votre collage vous attend à la rédaction du journal. M.J.
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à propos de La rue de la Lucrèce, il est fort probable que l’appellation corresponde à celle du poisson nommé “lucrèce” à Marseille. C’est un “roucaou” que les pêcheurs du coin nomment ainsi, mais sans que l’on sache quelle espèce précise : http://www.marseille-sympa.com/bergylta.html ou http://www.marseille-sympa.com/roucaou.html
Les rues parallèles à la rue de la Lucrèce qui plongent plein sud vers la mer portent elles aussi des noms de poissons : rue de la Rascasse, rue du Rouget…
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c’est encore mieux, merci MJ
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Merci pour ce cadeau, cet article réjouissant !
Les commentaires souvent savoureux se collent à mes souvenirs de certaines de ces rues….très distrayant et formateur.
Je m’interroge : qui décide de baptiser, rue, avenue, boulevard, passage…..Si ces appellations sont souvent correctes au vu de l’ampleur de la voie concernée, quelquefois c’est définitivement incohérent je connais quelques avenues, ou boulevards (dans le 12e) qui font 100 mètres de long sur 3 mètres de large….
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Il y a une commission des noms de rue au conseil municipal. DEs élus de toutes les sensibilités politiques y siègent. Elle nomme les nouvelles voies mais aussi peut parfois en renommer certaines… Mais je n’ai aucune idée de sa date de création.
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oui, ok pour le nom des voies, merci de la précision…mais qui caractérise la voie et décide que c’est une rue, une traverse, un boulevard…..??
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