Michea Jacobi vous présente
Le nouveau piéton de Marseille

I comme Conversation en I

Chronique
le 4 Nov 2017
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Tous les mois, la chronique du nouveau piéton de Marseille regarde la ville à travers le prisme de l'abécédaire. Il s'attaque cette fois-ci à la lettre I.

I comme Conversation en I
I comme Conversation en I

I comme Conversation en I

Cette chronique, piochant alternativement aux deux bouts de l’alphabet, un coup le Z, un coup le A, un coup le Y, un autre le B, se propose de faire en 26 ABC un portrait de Marseille qui se terminera au M, lettre médiane et symétrique. 26, séries, 26 thèmes déclinés eux-mêmes en 26 photos sans prétention photographique, en 26 textes éventuellement. Arrivé à la lettre I, l’auteur, ne trouvant aucune idée, a décidé d’inverser le principe. Ce sont des mots finissant et non débutant par I qui sont ici répertoriés. Le provençal, l’italien, le corse, l’arabe ont fourni en effet quantité de mots de ce genre à la toponymie, l’onomastique et la conversation marseillaises. Ils se prononcent tous à l’italienne, en plaçant l’accent tonique sur l’avant-dernière syllabe. En voici quelques-uns !

ACCIDENTI, AÏOLI, ASSETTI

Venue de la langue italienne, l’interjection ACCIDENTI (souvent muée en ATCHEDE ou FATCHEDE) peut inaugurer toute phrase exclamative ; l’AÏOLI est une émulsion à base d’ail et d’huile d’olive pas toujours facile à digérer ; un ASSETTI désigne, dans la langue provençale, tout ce qui peut servir à s’asseoir : un siège, un pouf, une pierre. D’où la phrase : Accidenti ! Il a fait tomber l’aïoli sur mon assetti ! 

BABI, BAGALETI, BALLETTI, BALDACCINI, BELLE DE MAI, BOTINELLY

Les BABI, comprenez les Italiens, habitaient en masse à la Belle de Mai. Les moins entreprenants étaient surnommés BAGALENTI, ils fuyaient les BALLETTI. Le sculpteur César (né BaldaccinI) est né dans le quartier. Ça n’est pas le cas de son confrère BOTINELLY qui, de la Jeanne des Réformés au dresseur d’ours de Saint-Laurent, a semé ses œuvres dans toute la ville. Au Baletti de la Belle de Mai, Babi et bagalenti discutent de sculpture ; les uns sont pour Baldaccini, les autres pour Botinelly.

CANTINI, CHAOUI, CHICHI

CANTINI, marbrier et sculpteur, fit entre autres legs, le don à Marseille d’une copie du David de Michel-Ange. Comme il était nu, ce jeune berger fut installé en bord de mer. C’est une sorte de contresens, comme celui qui consiste à qualifier de CHAOUI (fière tribu berbère) un garçon un peu juste… ou un sale type. Mais ne tentons pas de donner une définition, personne ne sera d’accord. Il ne fait pas de doute par contre que le CHICHI est un beignet spiralaire et estaquéen dont la dernière partie s’appelle le bada. Pas de chichi ni de chaoui au musée Cantini !

DENTI, DESTRUSSI

Le DENTI est un succulent poisson. Le mot indique bien à quoi il doit son nom. De même, un DESTRUSSI est, en provençal, un individu incapable de prendre un objet en main sans le démonter, le détériorer, le rendre inutilisable. D’où cette admonestation mise à la disposition des parents d’enfants terribles : Tu es un diable, un destrussi, un denti !

 EMBARRI

Mon ami Éric, excellent constructeur, devait monter un abri dans le jardin de mon ami Alain. Il est allé voir les lieux, il a réfléchi et il a dit : « Non. Je le fais pas. Ça va te faire un embarri. » Un EMBARRI (rempart en provençal) désigne toute chose qui peut « boucher la vue ». Exemple : A la gare Saint-Charles, allez savoir pourquoi, ils ont mis un embarri devant le panneau des horaires. 

FADOLI, FANNY, FIFI (Turin), FINI-PARTI

Le FINI-PARTI : on s’en va quand le travail est fini, passe pour une pratique scandaleuse de certains employés municipaux. On est cependant obligé de lui reconnaître une certaine logique. Ce n’est pas un truc de FADOLI (fada modérément visité par les fées) ; ça n’a rien à voir avec cet absurde usage des boulomanes d’aller baiser le cul d’une virtuelle FANNY quand ils n’ont pas réussi à marquer un seul point. Quant à FIFI TURIN, c’est le pseudonyme d’une résistante communiste du quartier qui a donné son nom à une de ses rues. Rue Fifi-Turin, on pratique le parti-fini. Puis on s’en va, pas fadoli, baiser Fanny. 

GARRI, GUANGUI, GAUFRIDI, GUERINI, GOBI

Il y a peut-être autant de rats que d’habitants à Marseille. C’est pourquoi il est tout à fait pertinent que certains de nos concitoyens se donnent le nom de GARRI (rat en provençal). GAUFRIDI, abbé des Accoules brûlé pour sorcellerie, les GUÉRINI, ceux du banditisme et ceux de la politique, sont à coup sûr des GARRI de référence. D’autres individus, bien moins célèbres, sont qualifiés de GOBI : leur immobilité et leur bouche ouverte les feraient ressembler à ces poissons qui vivent sur le fond. Et que l’on peut éventuellement trouver au fond des filets appelés GUANGUI. Oh garri, tu connais pas Gaufridi, ni les Guérini ? Y a rien dans ton guangui, t-i-es un vrai gobi.

HENRI

C’est à Saint-André et à Saint-Henri que Marseille fabriquait et fabrique encore ses tuiles. HENRI peut être donc considéré comme le désastreux saint patron de ce qui accumule les revers. D’où le dicton : Saint-Henri, ne priez pas pour moi !

IAM

Pour le I, cet abécédaire redevient ordinaire. Le nom ne finit pas mais commence par I. C’est celui d’IAM qui, souvenons-nous, évoquait dans la chanson : le Mia, les chaussures Nebuloni et les survêtement Tacchini.

JACOBI

Il ne s’agit pas ici de faire l’éloge de l’auteur de cette chronique, mais d’un autre Jacobi, autrement important pour Marseille. Il s’agit du savant russe Moritz von Jacobi (1801-1874) inventeur du procédé de galvanoplastie qui a servi à souder entre eux les quatre pièces dont est composée la vierge de Notre-Dame-de-la-Garde.

KAKI

C’est la couleur des uniformes des soldats qui arpentent depuis quelques mois nos trottoirs. C’est le nom des fruits du plaqueminier, ces sphères orange qui illuminent nos jardins. Ne faisons pas de phrase.

LANDOLFI, LUMINY

“Tu t’es rendu à Paris ? Tu l’as vu LANDOLFI ? Non. Alors il est mort.” Beaucoup connaissent cette blague. Elle est plutôt moyenne. On pourrait remplacer le nom de la capitale par celui du campus des Calanques. “Tu t’es rendu à LUMINY ? Tu l’as vu LANDOLFI ? Non. Alors il est mort.” C’est pas mieux.

MAUVESTI, M’EN FOUTI, MENPENTI, MICELLI, MONTICELLI

MENPENTI, M’EN Penti, je m’en repends en provençal, est devenu le nom d’un quartier. M’EN FOUTI, je m’en fous, n’en a naturellement pas eu l’énergie. Et pourtant il y a plus d’une part de Marseille qui, défaut d’entretien oblige, mériterait ce nom. MONTICELLI était un peintre qu’admirait beaucoup Van Gogh, ce MAUVESTI, ce mal vêtu. MICELLI est une conserverie d’anchois qui œuvrait à Bellevue avant de s’exiler dans une lointaine banlieue. Le square Monticelli, la rue des Mauvesti, M’en fouti ! Je suis de Menpenti ! 

NARI, NEBULONI, NIAÏ, NOVI

Ari, c’est une erreur en provençal. Soudée à son article, c’est devenu le mot NARI, qui désigne un lancer désastreux à la pétanque. Les NÉBULONI sont des chaussures italiennes à forte semelle à la mode dans les années 70, un NIAÏ est un simple d’esprit (ou un peu moins, ou un peu plus), les NOVI, les jeunes mariés. L’équipe était formée de novi et d’un niaï en nébuloni. Il fallait s’attendre à voir des nari !

OLI

Le merveilleux goût de l’huile d’olive s’écrit en trois signes dans la langue provençale. OLI. Un O pour la plénitude, un L pour la longueur, un I pour l’entêtement, et son point pour aller chercher les cieux.

PORI

Sur les buttes des ronds-points, les bas-côtés des voies rapides, les terrains pas encore hérissés de résidences aux noms ronflants, on voit des vieux, le sac plastique dans une main et l’opinel dans l’autre, déterrer de place en place des machins inconnus. Ce sont des PORIS, de minces et forts poireaux sauvages. Une goutte d’OLI, et ce soir, ce sera un délice.

QUI TIES TOI ?

Marseille n’est pas toujours une ville facile. QUI TIES TOI ? vous demanderont certains types dans certains endroits. Ne pensez pas que c’est une question, c’est un défi. N’ayez pas peur non plus. Sachez que les types qui vous apostrophent se posent le soir sous le point de la lune une autre question : Qui suis-je ?

RACATI, RAVI, RICIOTTI, RODOCANACHI

Coincé entre la fac Saint-Charles et l’autoroute Nord, le quartier du Racati a vu naître plusieurs célébrités : le torero Bernard Marsella, le jazzman Marcel Zanini et son fils, l’écrivain Marc Edouard Nabe. Le RAVI (excellent journal satirique par ailleurs) est sans doute le personnage le plus mystique de la crèche, il est pris au sens propre de ravissement. RICCIOTTI est l’architecte du MuCEM ; RODOCANACHI n’est pas un vieux notable corse mais un médecin anglais, ancien élève du lycée Thiers qui sauva quantité de Juifs avant d’être arrêté et de mourir à Buchenwald. Du Racati au boulevard Rodocanachi, tout le monde lit dans le Ravi un portrait de Ricciotti.

SANTIBELLI, SIAN BEN AQUI, SIFFREDI, SLIMANI

Les SANTIBELLI, espèce de grands santons, sont réputés pour leur immobilité : toute personne qui tarde à agir peut du coup recevoir ce nom. SLIMANI, c’est le grand boucher halal du marché aux puces. SIFFREDI, avant d’être le nom d’une star du porno et celui d’Alain Delon dans Borsalino, était le patronyme d’un régisseur marseillais qui voulut bien le céder au film qu’on tournait dans sa ville. On avait interdit en effet au réalisateur l’utilisation les noms de Carbone et Spirito. La sentence SIAN BEN AQUI (Nous sommes bien ici) sert de nom de plusieurs cabanons, c’est une sorte de résumé de la philosophie cabanonnière. On n’est pas Siffredi, ni Slimani. Mais sian ben aqui, tranquilles comme des santibelli.

TOTI, TOURSKY

Un TOTI (une souche en provençal), c’est un garçon un imbécile. TOURSKY le nom d’un poète qui a donné le sien à un théâtre. En principe, les toti ne vont pas au Toursky.

US NAVY

Lorsqu’un porte-avions de l’US NAVY fait escale à Marseille, la prostitution connaît un pic et les bars montant des environs de l’opéra, ou ce qu’il en reste, font le plein.

VINCI, VALLETTI

VINCI (Mais comment un bétonneur peut-il s’approprier le nom d’un grand artiste ?) est cette entreprise qui, après avoir commis à Marseille de nombreux méfaits, a commencé, avec la bénédiction de l’abbé Gaudin, à enfouir sous une de ses mochetés une carrière datant de l’antiquité grecque. Ça se passe à la Corderie et le maire, soudainement épris de propreté, fait encore en sorte que les modestes affiches protestataires posées sur le site disparaissent régulièrement. Serge VALLETTI est un auteur dramatique. Notre-Dame, faites que Valletti jette les promoteurs avec sa grand-mère dans le Vieux Port.

WAÏ

Le WAÏ ou OUAÏ peut être défini comme une sorte de protestation joyeuse et désordonnée. Quel waï, il vont faire les lecteurs quand ils s’apercevront que Jacobi a oublié ALIBOFI, CASSELY, CECARELLI, TRAQUANDI…

XI XI

La langue française nous dit que les cigales stridulent. Elle n’a d’évidence jamais entendu chanter cet insecte : il ne stridule pas, il fait XI XI, il xidule.

YA PAS KELKUN KI VEUX TOMBÉ AMOUREUX DE MOI ?

La question commence par un Y et finit par un I. Tout le monde a eu l’occasion de la voir un jour : elle est peinte en grandes lettres en haut d’un mur situé entre l’église des Augustins et la Canebière, face au quai des Belges. Elle est là depuis de longs mois et aucun Marseillais n’a songé à la compléter en écrivant son nom. Ce n’est pas une question qui appelle une réponse. Elle est faite pour être reprise à un moment ou l’autre en silence par chacun de nous : Ya pas kelkun ki veux tombé amoureux de moi ?

ZANINI

Vous souvenez-vous de la clarinette, de la petite moustache et du drôle de chapeau de Marcel ZANINI chantant Tu veux ou tu veux pas avec à la télévision ? Si vous ne vous en souvenez pas, Youtube le fera pour vous.

FOOT BONUS (à l’occasion de l’exposition Nous sommes foot du MuCEM)

Beaucoup de footballeurs : des bons, des moyens, des mauvais, sont passés par l’Olympique de Marseille. Assez pour faire une équipe en I aussi complète qu’un alphabet : Alessandrini, Boli, Casoni, Dessailly, Echouafni, Francescoli, Gili, Hemdani, Invernizzi, Jacky Novi, Khaoui, Liberati, Malusci, Nasri, Omrami, Passi, Ravanelli, Spinosi, Truqui, Ugolini, Vanucci, Wagner (Charly), Yahiaoui, Xuereb (Dany), Zatelli.


Écrivain, dessinateur et linograveur, Michéa Jacobi a fait de l’alphabet le bâton de marche d’une quête littéraire. Celle de lire le monde à travers les 26 lettres de l’alphabet. Aux éditions la Bibliothèque, il a entrepris un grand œuvre baptisé humanitas elementi réunissant 26 ensembles de vies humaines réunies par leur obsession commune. Chacune de ces classes comprenant 26 biographies, cela porte à 676 les vies ainsi rassemblées. En parallèle, pour Marsactu, il a croisé cette obsession alphabétique du monde avec sa passion de piéton arpentant sa ville. Il le fait souvent avec son complice, le photographe Luc Barras. Vous pouvez trouvez ci-dessous les inventaires déjà parus.

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Commentaires

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  1. menpenti menpenti

    Sympa. Mais si on s’attache aux lettres, autant doubler quelques consonnes, par exemple Valletti qui a deux l ou Ceccarelli qui a deux c.

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  2. corsaire vert corsaire vert

    Ah que ça fait du bien ce parler marseillais aussi imagé !
    Un bel exemple de mélange des cultures ..
    .

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