Michea Jacobi vous présente
Les Nouvelles heures marseillaises

Les nouvelles heures marseillaises : épisode 24

Chronique
le 6 Fév 2021
1

Dans les pas d'Horace Bertin, Michéa Jacobi traverse Marseille en 24 heures, à travers ses personnages dispersés aux quatre coins de la ville. Après deux ans de ce feuilleton, la boucle est bouclée et voici venu l'épisode conclusif.

Résumé des épisodes précédents : c’est fait, 24 heures se sont écoulées. Tous les personnages de cette histoire : Luc et Marc, les supporters de l’OM venus de l’autre bout de la France, les chauffeurs de la Régie des Transports, Bernadette, la femme de ménage pour édifices religieux, Kliffa le clochard, Jacques Santiago, l’écolier intermittent, Iliès et Angelina Mejdoub, les pêcheurs côtiers, Reboul le retraité, ferment le ban.

Ils sont installés dans le wagon encore éteint. Seuls les carreaux blafards du centre de tri postal et le panneau lumineux qui signale le Réfectoire des Roulants leur indiquent qu’il existe encore quelque chose en dehors de leur compartiment.

Ils somnolent. Des ombres passent le long de leur wagon. Au-delà, la ville n’est plus qu’une abstraction.

Le dernier travesti du boulevard de la Libération embrasse son feu rouge et va se coucher. Les premiers engins du nettoyage s’amènent.

Plus personne dans la cabine téléphonique. L’absence est chose acquise, il est trop tard pour appeler.

Les Mejdoub rentrent chez eux main dans la main et trouvent le petit Jacques sur le seuil, les yeux écarquillés. Ils l’avaient presque oublié. Ça ne fait rien : ils le cajolent, ils le rassurent et remettent à plus tard le couronnement de leurs retrouvailles.

Passent la lumière jaune d’un convoi qui entre en gare, puis, dans le couloir, le pas d’un employé de la compagnie qui s’attarde au bout de la voiture. Le train s’éclaire enfin.

Luc ouvre un œil. Du silence incertain, Marc essaie d’extraire un bruit qui pourrait appeler au départ : un choc des tampons, un appel, un coup de sifflet.

Mais rien n’arrive que les éclats lointains d’une dispute ponctuée de coups sourds.

Le clochard est resté sous le hall de Saint-Charles. Il essaie vainement de soutirer une canette de bière à un automate. Mais il ne réussit à faire dégringoler que des boîtes de Coca. Alors, il donne des coups de pied et injurie longuement la machine, puis il tente à nouveau le coup. Toutes les pièces qu’on lui a données vont y passer, c’est certain.

Le train démarre.

Au rythme lent des premières traverses, défilent les silhouettes fantomatiques des immeubles du premier rang : trois fenêtres, encore trois, encore trois. Parfois, tout imprégnés d’obscurité, des sureaux, des figuiers, des vernis du Japon viennent interrompre le cortège. Parfois c’est une grande lumière qui apparaît entre deux séries de bicoques : des bureaux qu’on nettoie avant l’arrivée des employés, un stade qu’on a oublié d’éteindre.

Les deux voyageurs ont collé leur regard à la vitre du train. Ils scrutent l’aube noire, ils rivalisent d’attention. Pas un trottoir désert, pas un réverbère ne leur échappe. Comme s’il y avait quelque chose à espérer de cette lente sortie de l’agglomération, quelque chose à retenir. Mais rien ne leur est donné. C’est seulement lorsqu’ils seront loin que la ville consentira à s’éveiller.

Bientôt c’est la banlieue qui pousse contre la nuit le ciment de ces cités.

Là-bas, dans un de ces immeubles, habite Bernadette : elle est déjà levée, déjà propre, déjà prête à y aller. Son chauffeur aussi est prêt à partir. Et tous les chauffeurs de tous les numéros ont rejoint ou rejoignent leur poste : celui des Escourtines qui appelle ses passagers : sa ramasse, celui de la Busserine qui distingue entre eux les poissons de roche et les poissons de haut-fond, celui de la Marine qui est une dame blonde, toujours affable, toujours sereine.

Viennent les lumières de l’Estaque et celle du port, puis le calcaire blanc du massif d’où monte une nuit opaque et fière, toute revigorée de s’être débarrassée de la ville. Convaincus, autant par l’obscurité que par le balancement désormais puissant et régulier de leur voiture, Marc et Luc détachent le nez du paysage, cherchent une position propice au repos, et s’endorment aussitôt qu’ils l’ont trouvée.

Loin de là un homme se réveille mécaniquement. Il regarde le cadran. Il sent derrière les persiennes le mistral qui s’est levé. Il n’ira pas à la pêche. Aujourd’hui, les Parisiens du quai de Malmousque pourront dormir tranquilles.

 


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En 1876, le journaliste Horace Bertin publiait un délicieux ouvrage intitulé Les Heures marseillaises. Il offrait aux lecteurs, heure après heure, vingt-quatre croquis de sa ville. Cent quarante-deux ans plus tard, Michéa Jacobi reprend le principe et en fait un véritable feuilleton : Les nouvelles Heures marseillaises.

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Commentaires

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  1. Fraelnij Fraelnij

    Toujours aussi magnifiques, poetiques, on les suit avec délectation.
    Et ces illustrations,sont des oeuvres d art absolues, J adore .
    Chères chroniques vous allez me manquer !
    Où les retrouver en livre ?
    Merci Michea, merci marsactu
    Fra h

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