Les nouvelles heures marseillaises | Épisode 1

Chronique
le 1 Déc 2018
8

En 1876, le journaliste Horace Bertin publiait un délicieux ouvrage intitulé Les Heures marseillaises. Il offrait aux lecteurs, heure après heure, vingt-quatre croquis de sa ville. Cent quarante-deux ans plus tard, Michéa Jacobi reprend le principe et en fait un véritable feuilleton en 24 épisodes : Les nouvelles Heures marseillaises.

Les nouvelles heures marseillaises | Épisode 1
Les nouvelles heures marseillaises | Épisode 1

Les nouvelles heures marseillaises | Épisode 1

Cinq heures du matin

Dans le petit port de Malmousque, un pêcheur qui depuis longtemps n’a plus dix-huit ans met en marche le moteur de son pointu. C’est un Baudoin au pof-pof régulier et mélodieux, mais dont le niveau sonore réveillerait le plus farouche des partisans du sommeil matinal. Dans la maison la plus proche des quais, un couple de Parisiens s’en mord les doigts d’avoir acheté une demeure si près de l’eau.

Tandis que le bonhomme s’éloigne, bientôt rejoint par d’autres barques et d’autres capitaines, rêvant d’extraire des eaux encore noires quelque immense Saint-Pierre ou quelque denti merveilleux, la ville laborieuse renfile discrètement son collier.

Les personnages principaux  (par ordre d’entrée en scène) :

Maurice Reboul : retraité (il partage son temps entre pêche et jardin)
Les chauffeurs de la Régie des Transports

Bernadette N’Guyen : femme de ménage, résidant à la Savine, spécialisée, dans les édifices religieux

Rhéda Ben Amor : épicier

Arnold Kliffa : clochard

Luc et Marc : supporters de l’OM résidant à Toul (Meurthe et Moselle)

Jacques Santiago : écolier en rupture de ban

Madame Cingratti : veuve, des Catalans

Iliès et Angelina Mejdoub : pêcheurs côtiers

Les autobus rejoignent en brimbalant le départ de leur première rotation. Très loin, dans la périphérie, certains sont déjà à leur poste.

Perché sur les hauteurs des Riaux, le N° 35 veille sur l’Estaque encore endormie. De la cascade des toits dégringolant vers la mer, de l’ombre des venelles, du secret des cours, le chauffeur qui attend ne saurait extraire le moindre signe de vie. Seulement, c’est un gars du quartier et, sans les voir, il devine tous les symptômes du réveil : les soupiraux des boulangeries qui diffusent d’un trottoir à l’autre leur mince signe de vie, les chambres insomniaques qui s’allument à l’étage des bistrots, la belle poissonnerie qui lentement se met en route, comme un grand paquebot. Quelquefois, dans la tension de l’aube, il croit même percevoir les voix de la mer : le trafic tranquille et familier des petits pêcheurs autour de leurs proies incertaines, des cris sur la digue du large, quelqu’un qui nage ou qui se noie peut-être, allez savoir.

Le conducteur de la ligne 27 (premier départ 5 h 25) pourrait peut être le renseigner. Il a, de sa cabine, une vue directe sur les bassins de l’Estaque. Planqué entre les croix du cimetière Saint-Louis et la silhouette longue et massive du lycée Saint-Exupéry, il pourrait presque compter les feux des navires et des barques, les grosses ampoules des lamparos, les plis blancs que l’écume fait sur la nappe étale des eaux.

Et ce qu’il ne peut voir, un autre chauffeur, sur une autre hauteur, pourrait sans doute le lui révéler. Car au bout de chaque vallon, contre la roche blanche qui voudrait empêcher Marseille de jamais s’éveiller, il y a un terminus qui se dresse contre la nuit.

On pourrait ainsi, du nord au sud, parcourir, de vigie en vigie, l’arc qui encercle la ville. Parti de l’Estaque, sur la chaîne du même nom, on parviendrait, en passant par la Batarelle, la Fève et les Trois Luc, jusqu’au terminus du 22, devant la prison des Baumettes qui est, contre le massif de Marseilleveyre, un autre massif, un bloc de taulards, aussi silencieux pour l’heure que les blocs de calcaire.

Bien des garçons des quartiers Nord au fait ce voyage, en passant plus ou moins par la case Palais de Justice. Ayant, depuis des mois, quitté les pièces étroites des appartements de leurs cités, ils en écrasent à présent dans une chambre unique, en compagnie de plusieurs types qui, comme par hasard, viennent des mêmes endroits qu’eux.

Ils sont du Plan d’Aou, de la Bricarde, de la Marie. Celui-là est de la Savine et il rêve naïvement qu’il prend le 30 pour rentrer chez lui.

À la même heure, au cœur de sa cité, l’autobus auquel il songe est effectivement à son poste.
Le chauffeur est sorti de sa cabine. Il attend l’heure sur le trottoir de cette citadelle à loyers modérés qu’on se partage comme on peut, entre Vietnam, Comores et Maghreb. Entre les disques de la lune et ceux des paraboles, il contemple la structure calcinée de l’abri qui lui semble, dans l’aube froide, être la seule chose réelle.

Il a laissé tourner son moteur mais aucune mécanique ne saurait le délivrer du mystère des rochers et des tours qu’il sent peser sur lui.

Plus haut, c’est la cité de la Solidarité. Les immeubles y sont plus élevés, la rocaille plus proche, la solitude plus pathétique.

La nuit, avant de se résoudre à la clarté du jour, se fait plus nuit encore. Les pierres à peine rafraîchies par les ténèbres se font plus dures et plus coupantes. Les escarguillons blancs gavés d’asparagus retournent aux ombrelles de leurs fenouils, les pins balaient le ciel de leurs rameaux d’aiguilles. Tout se tend et se durcit avant d’affronter la lumière.

Une petite femme brune attend sous l’auvent de béton de l’arrêt. Le 97, en provenance de l’hôpital Nord, viendra la chercher bientôt. Il l’emmènera vers son travail, en ville. En principe, elle sera seule dans l’habitacle.

À suivre…

Commentaires

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  1. mrmiolito mrmiolito

    Bien des garçons “ont” fait ce voyage… 😉 Très joli texte par ailleurs, merci !

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    • Germanicus33 Germanicus33

      Belle chronique…Je ne connaissais pas les Heures marseillaises.
      Sur Marseille, j’aI deux livres de cette époque:
      Horace Bertin-MARSEILLE INTIME 1874
      Jules Mery-MARSEILLE ET LES MARSEILLAIS 1884
      Toute une époque…

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  2. japo japo

    ah! que c’est chouette. Merci Michéa

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  3. barbapapa barbapapa

    Belle ambiance !
    “Ils sont du Plan d’Aou, de la Bricarde, de la Marie” Je ne connais pas “la Marie” c’est “la MariNe” blanche, ou bleue, à Saint Gabriel ?

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    • Michéa Michéa

      C’est la CITE LA MARIE. AVENUE FOURNACLE 13013 Marseille . Mais j’aime beaucoup les deux Marines.

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  4. LN LN

    Il nous manquerait juste l’odeur acre et salée….

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  5. Fraelnij Fraelnij

    le decors est planté, les escarguillons a leur place , je reprends cette serie apres avoir attaque les derniers episode du 5/09/2020

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  6. Fraelnij Fraelnij

    le decors est planté, les escarguillons a leur place , je reprends cette serie apres avoir attaque le dernier episode du 5/09/2020

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