Les nouvelles heures marseillaises | Épisode 2

Chronique
le 29 Déc 2018
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En 1876, le journaliste Horace Bertin publiait un délicieux ouvrage intitulé Les Heures marseillaises. Il offrait aux lecteurs, heure après heure, vingt-quatre croquis de sa ville. Cent quarante-deux ans plus tard, Michéa Jacobi reprend le principe et en fait un véritable feuilleton : Les nouvelles Heures marseillaises.

Le train parti de Toul la veille (à 21h 58 exactement) se présente avec plus d’une heure de retard à l’entrée du tunnel de l’Estaque. Miché Jacobi
Le train parti de Toul la veille (à 21h 58 exactement) se présente avec plus d’une heure de retard à l’entrée du tunnel de l’Estaque. Miché Jacobi

Le train parti de Toul la veille (à 21h 58 exactement) se présente avec plus d’une heure de retard à l’entrée du tunnel de l’Estaque. Miché Jacobi

Les principaux personnages (par ordre d’entrée en scène) 

Maurice Reboul : retraité (il partage son temps entre pêche et jardin)
Les chauffeurs de la Régie des Transports
Bernadette N’Guyen : femme de ménage, résidant à la Savine, spécialisée, dans les édifices religieux
Rhéda Ben Amor : épicier
Arnold Kliffa : clochard
Luc et Marc : supporters de l’OM résidant à Toul (Meurthe et Moselle)
Jacques Santiago : écolier en rupture de ban
Madame Cingratti : veuve, des Catalans
Iliès et Angelina Mejdoub : pêcheurs côtiers

Résumé des épisodes précédents : A cinq heures, tandis que Reboul partait à la pêche, les chauffeurs de la RTM se sont installés sur les principales hauteurs de Marseille pour effectuer leur première rotation. Celui de la Savine n’a trouvé qu’une petite dame pour passagère.

Six heures

Le train parti de Toul la veille (à 21h 58 exactement) se présente avec plus d’une heure de retard à l’entrée du tunnel de l’Estaque. Les deux voyageurs qui occupent le troisième compartiment de la voiture 14 viennent juste d’émerger d’un sommeil haché de nombreux arrêts et de rêves obsédants de football. Ils ont passé les huit heures de leur voyage à jouer en imagination des matchs d’anthologie. Pas seulement à marquer des buts mais aussi à faire des passes, des actions collectives, à produire du beau jeu. Maintenant ils sortent le nez de leurs écharpes Droit au but. À peine ont-ils le temps de découvrir le rocher blanc et nu du massif, que la nuit les reprend. L’obscurité dure trois kilomètres. Au sortir, c’est à la fois toute la rade et tout le ciel qui leur sont offerts. Ils n’en croient pas leurs mirettes de tout ce bleu. Décidément, ça valait le coup de faire le voyage dont il rêvait depuis si longtemps.

Mais la lumière n’a pas encore gagné partout. Dans les jardins profonds qui se succèdent entre les immeubles du boulevard Longchamp, l’obscurité humide s’accroche encore aux écailles des palmiers. Au pied la grande faille de Notre-Dame, les amandiers défleuris tremblent et se contractent sous la dernière brise de la nuit.

En bas de la Savine, au bord de cette route pleine d’ombre et de nostalgie qui a pour nom Vallon des Tuves, les pavillons désuets, leurs longs potagers et leurs treilles rouillées s’éveillent frileusement. Le doyen du quartier est déjà debout. Ayant bricolé un moment dans sa resserre, il s’avance sous la vigne afin de donner à la douce épagneule Rita la liberté de faire sa promenade du matin. En tirant le portail, il regarde la colline où ne brille encore que la lueur du temple cambodgien.

Le bouddha géant fraîchement redoré ouvre un œil lui aussi et commence à compter les autos qu’expectore et qu’engloutit le tunnel de l’autoroute Nord. Il vient juste de voir disparaître un autobus.

Le véhicule ne transporte qu’une seule passagère. Il est rejoint, au niveau de la sortie des Arnavaux, par un fourgon blanc, plutôt sale, plutôt déglingué. C’est Rhéda qui vient de faire le plein de fruits et les légumes au Marché d’Intérêt National et file vers sa boutique.
Le chauffeur de la Régie et l’épicier roulent l’un derrière l’autre quelques minutes, la Bonne Mère en ligne de mire.

À la porte d’Aix, l’un tourne vers la gare et l’autre abandonne son unique cliente.

La pelouse autour de l’Arc de Triomphe est encore déserte, de rares lumières s’allument aux façades des bâtiments alentour. Dans le ciel à moitié endormi, passent des goélands qui, venant de leur cité-dortoir des îles du Frioul, s’en vont prendre un peu partout dans la ville leurs postes de prédateurs insolents.

La petite dame du bus ne les voit pas. Elle est déjà concentrée sur la tâche qui l’attend. Elle s’appelle Bernadette et elle est née à Hô-Chi-Minh-Ville. Comme elle se dirige vers la mosquée de l’avenue Camille Pelletan, un type chancelant se met en travers de sa route.

— Vous avez pas une cigarette ?
— Non.
— Du feu ?
— Non plus.

Elle n’a même pas de feu. Tout juste peut-elle lui donner, à ce pauvre type décati, son sourire le meilleur et le plus miséricordieux.

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