Michea Jacobi vous présente
Les nouvelles heures marseillaises

Les nouvelles heures marseillaises : épisode 19

Chronique
le 15 Août 2020
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En 1876, le journaliste Horace Bertin publiait un délicieux ouvrage intitulé Les Heures marseillaises. Il offrait aux lecteurs, heure après heure, vingt-quatre croquis de sa ville, du Nord au Sud. Cent quarante-deux ans plus tard, Michéa Jacobi reprend le principe et en fait un véritable feuilleton : Les nouvelles Heures marseillaises.

Illustration : Michea Jacobi
Illustration : Michea Jacobi

Illustration : Michea Jacobi

Résumé des épisodes précédents : Le match est plié, il pleut doucement sur Marseille, la nuit promet d’être belle.

Vingt-trois heures

Le football terminé, c’est toute la ville qui reprend un peu de vigueur. Tandis que les nantis de la tribune Jean Bouin rejoignent leur banlieue en écoutant les résultats du championnat sur leur autoradio, dans le métro, les couillons des virages goûtent une dernière fois le plaisir d’être une foule, en rang serré.

Certains rentrent directement, d’autres descendent à la station du cours Julien et de là, rejoignent les bistrots de la Plaine. Ils ont fumé des joints dans les tribunes, ils en fument encore dans les ruelles peintes de lettres tordues et de drapeaux jamaïcains. Ils errent de reggae-shop en bars associatifs, se pressent au bar du club Marseille Trop Puissant, puis se perdent dans le néant de l’arrière quartier : rue Nau, rue Terrusse, rue Horace Bertin.

Cependant les restaurants attaquent un deuxième service. Les mangeurs calmes du début de soirée laissent la place aux troupes excitées qui arrivent du stade. Devant l’assaut, Iliès et Angelina quittent discrètement le Femina.

Comme ils cherchent une promenade romantique, ils se retrouvent naturellement le long des quais du port. Ils passent devant les pontons et les baraques des clubs nautiques. Le tronc peint de blanc d’un figuier brille dans la nuit, ses feuilles esquintées par les embruns tremblent sous la brise. Les lampadaires laissent vaguement nager leurs lumières sur l’obscurité des eaux, le chant des haubans gagne peu à peu sur le bruit de la circulation automobile.

Sur le trottoir d’en face, les bistrots à la mode débordent à présent. Le match est plié, les écrans sont éteints, les garçons regardent à nouveau les filles. Elles ont abaissé leurs étoles et relevé leurs jupes, insensiblement. Ils sont allés regominer leurs crêtes aux lavabos. C’est l’heure où il faut se décider pour une boîte ou pour une autre. Certains organisent déjà des caravanes vers le Warm up ou vers la Marronaise. D’autres s’en vont à pied au Trolley ou au Pourquoi pas.

Illustration : Michea Jacobi

Un baiser, un petit vent venu du large, les lumières d’un ferry paresseux glissant sur l’horizon. Iliès et Angelina ont eux aussi envie d’aller danser. Ils n’ont pas à se demander où. Il leur suffit de suivre le bord de mer pour arriver au Vamping, entre les sucres Giraudon et le bain des Catalans.

Sous son néon de cursives rouges, la porte de la discothèque est digne de celle d’un temple ou d’une prison. Lourde, hermétique, muette. Lorsqu’on sonne sous la plaque “Club Privé”, il s’y ouvre un guichet où apparaissent les sourcils en broussaille d’un vigile maussade, avec qui il faut toujours négocier, pour le principe. Angelina laisse ce soin à son mari et se dirige vers la rambarde qui donne sur la plage.

Illustration : Michea Jacobi

Sur cette sorte de balcon, encombré le jour durant de voyeurs et de rêveurs, de garçons impatients qu’arrivent leurs petites amies et de types qui n’attendent plus rien, de vieux du quartier et de jeunes touristes, traînent quelques rares noctambules. Un géant créole qui sur son banc lutte contre le sommeil, un couple qui se dispute en sourdine, un type qui regarde l’écume rider légèrement la mer.

Angelina s’installe non loin d’elle, les bras croisés sur la rampe. Elle écoute le ressac, et, lorsqu’elle ferme les yeux, elle perçoit dans son chant une variété et un désordre presque contraires à la monotonie des vagues qu’elle regardait tout à l’heure. Elle conçoit alors un lieu différent du tout au tout de celui où elle se trouve, mais lorsqu’elle rouvre les paupières, tout se remet en place en un instant, la mer dans la mer, le sable sur le sable et Mme Cingratti à ses côtés, qui naturellement ne peut s’empêcher de lui adresser la parole : “Y a plus rien à la télé depuis qu’ils ont levé le Palmarès des Chansons, vous comprenez mon Lexomil, je ne le trouvais pas, c’est que, vous savez, mon mari, remarquez que les jeunes y sont pas tous méchants, tenez cet après-midi même au cimetière…”

Mejdoub vient heureusement l’arracher à cette conversation non consentie. Le dancing a enfin accepté de s’ouvrir. Par la porte entrebâillée, on entend déjà s’échapper des bribes de musique. Le disc-jockey a l’air de préférer Johnny Hallyday aux transes électroniques.


Michea Jacobi
Michéa Jacobi est graveur et écrivain. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages. Chroniqueur à Marseille l’Hebdo pendant plus de dix ans, il a rassemblé ses articles dans un recueil intitulé Le Piéton chronique (Éditions Parenthèses) et il a écrit pour le même éditeur une anthologie littéraire Marseille en toutes lettres.

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