Pour se racheter une image, le Grand port de Marseille sort la carte de la concertation

Reportage
le 5 Juil 2021
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Après la "Charte Ville-Port" le Grand port maritime de Marseille s'est lancé dans le "Dialogue Ville-Port". Celui-ci consiste en une série d'ateliers de concertation avec habitants, associations et collectivités locales sur l'ouverture de son enceinte. Marsactu a participé à l'un d'entre eux.

Le premier atelier de la série était consacré au sujet de la digue du Large. (Photo VA)
Le premier atelier de la série était consacré au sujet de la digue du Large. (Photo VA)

Le premier atelier de la série était consacré au sujet de la digue du Large. (Photo VA)

Une salle spacieuse et climatisée, un rétroprojecteur, de grandes feuilles blanches soigneusement disposées sur des tables rondes… Confortablement assises sur des chaises face à un écran, une trentaine de personnes ont pris place dans cet espace d’ordinaire réservé aux mariages, dans le 16e arrondissement. Carmen Robillon, la trentaine, s’impatiente. “Je suis ici pour qu’il y ait plus de concertation entre le Port et les habitants, pour que l’on crée des accès au littoral et que l’on arrête de cloisonner”, débite sur un ton déterminé cette habitante de Saint-Henri, “là, à 800 mètres”. Autour d’elle, l’espoir est partagé. Certains font partie d’associations sportives ou de défense de l’environnement (Les libres nageurs, France nature environnement, Cap au Nord). D’autres sont membres des CIQ environnants, simples habitants de Mourepiane, la Joliette, l’Estaque…

La première phase des ateliers de concertation organisés dans le cadre du programme “Dialogue Ville-port” a démarré en 2019, avant le premier confinement. “J’y ai assisté, nous avons défini des thèmes que l’on doit maintenant développer”, explique Carmen Robillon. En ce début d’été, la deuxième phase vient tout juste de reprendre. Elle est censée déboucher sur des propositions pour ouvrir le port sur la ville. Propositions qui devront ensuite être présentées aux décideurs, “au niveau du port ou de la Ville”, annonce micro en main Stéphane Saint-Pierre qui représente Nicaya conseil, une entreprise spécialisée dans “l’intelligence collective pour la réussite des projets publics” missionnée par le port.

“Il y a comme un malaise”

Carmen Robillon et les autres participants présents ce mardi 29 juin, ont choisi de prendre deux heures de leur temps, un soir de semaine, pour parler de la digue du Large. Assis au premier rang, les représentants du Grand port maritime de Marseille (GPMM), mais aussi de la Ville ou encore de la métropole et même d’Euroméditerranée détonnent dans leurs costumes de bureaux. “Nous allons partir du principe que tout le monde a raison, amorce le spécialiste de la concertation. Essayons de ne pas dire ‘oui mais’ mais plutôt ‘oui et'”. Après une présentation de l’ouvrage long de sept kilomètres qui s’étend du phare de Sainte-Marie, à l’entrée du Vieux-Port, jusqu’à la pointe de Saumaty, des solutions d’ouvertures au public sont soumises à l’assemblée.

Pourquoi ne pas ouvrir plus que 1,5 kilomètre ? Cette digue en fait sept !

Celles-ci consistent essentiellement en ce qui se faisait jadis, comme à l’occasion de MP2013 avec une exposition, ou encore les “diners insolites” sur la digue Sainte-Marie. Des ouvertures localisées à l’extrémité sud de la digue du Large, concentrées sur 1,5 kilomètre. “On peut imaginer un programme de travaux terminé en 2023, qui coïnciderait avec une ouverture”, projette Sophie Choquerelle, responsable urbanisme et territoire au GPMM. Le micro tourne dans la salle et rapidement le ton monte. “Il y a deux ans ce n’était pas envisageable et aujourd’hui, oui ?”, fait remarquer un participant. “Pourquoi ne pas ouvrir plus que 1,5 kilomètre ? Cette digue en fait sept !”, lance un autre. Agacée par des années de silence radio et de dos tourné de la part du GPMM, une habitante s’indigne encore : “Vous êtes ici à Saint-Henri, vous avez des gens de Mourepiane, de l’Estaque et vous arrivez avec des propositions pour le Sud, qui défavorisent encore les quartiers Nord. Il y a comme un malaise !” 

Bol tibétain et note de synthèse

Face à ces remarques, la représentante du GPMM tente de se dépatouiller en apportant des réponses techniques. “La partie nord est occupée par des postes à quai et de la réparation navale. Une ouverture totale demanderait trop de travaux et une enveloppe plus grosse. On peut ajouter l’ouverture totale comme piste de réflexion, mais je ne peux pas prendre d’engagement ce soir.” Un représentant de la Ville, Bertrand Righo, de la direction des projets économiques, complète : “L’ouverture de la digue du Large était un engagement de campagne, mais le périmètre n’a pas été précisé. Rendre accessible la section sud sera plus rapide”. La salle bougonne. Puis, vient déjà l’heure du “brainstorming“. Les participants sont invités à s’assoir autour des tables rondes et des stylos leur sont glissés.

À chaque table, les participants sont invités à discuter “atouts”, “opportunités”, “faiblesses” ou “menaces”. Photo : VA

Sur les immenses feuilles blanches, ils doivent écrire ce que leur inspire les sous-thèmes proposés. Que ce soit à la table “atouts”, “opportunités”, “faiblesses” ou “menaces”, les idées fusent. “On pourrait créer une coulée bleue”, imagine une dame d’un certain âge pour les “opportunités”. D’autres imaginent des expositions, des manifestations sportives, des balades commentées… Sur la feuille “atouts” on peut lire “Observation de l’activité portuaire”, tandis que les participants qui réfléchissent aux menaces notent “les conditions météorologiques” et “les détériorations du patrimoine.”

Dix minutes par thème et il est déjà l’heure de changer de table. Au bout de vingt minutes, le gong – un bol tibétain – résonne. On affiche les feuilles au mur pour découvrir ce qui ressort de ce cadavre exquis. Déjà deux heures se sont écoulées et la séance prend fin. “Dans trois semaines-un mois, nous publierons une note de synthèse de cette séance”, explique à Marsactu Elise Ribardière de Nicaya conseil. Pourquoi autant de temps ? “Il faut le temps de la rédaction des verbatims, de ce qui a été écrit, puis la note doit être validée par l’équipe projet, c’est-à-dire la Ville, le GPMM, la métropole, la préfecture et la CCI.”

Entendus et écoutés ?

Parmi les participants, on salue l’initiative. Marie-Blanche Chamoulaud, présidente de la fédération des CIQ du 16e dit avoir le sentiment d’être, pour une fois, entendue si ce n’est écoutée par le GPMM. Celle-ci regrette tout de même de ne pouvoir aborder les questions d’accès au littoral que par petits bouts. “Lors de la première phase, nous avions formulé le souhait d’avoir une vue d’ensemble, de l’Estaque à la Joliette.[…] Ouvrir la digue Sainte-Marie, c’est un gadget. ” Chez d’autres, la méfiance est plus grande. “Je ne veux pas perdre mon temps, s’agit-il d’un débat stérile ?, se questionne une maman venue avec son fils en kimono de judo. Quel est le bornage exact de ces discussions ? Je me demande si je continue de participer ou pas.”

En fin de séance, les propositions de chaque groupe sont affichées. (Photo : VA)

Avant la rentrée, deux ateliers du même genre doivent encore avoir lieu. Ce mardi 6 juillet, le thème “lisière ville-port” sera abordé tandis que jeudi 8 juillet aura lieu l’atelier “perspectives pour le secteur de l’Estaque”. Cette série d’ateliers de concertation est censée prendre la relève de la “charte Ville-Port”, lancée en 2013. Signée par la communauté urbaine de Marseille (aujourd’hui la métropole), la Ville, la région, le département, le port, Euroméditerranée, la CCI et l’État, elle avait déjà un but similaire. “Un État dans l’État”, disait alors Jean-Claude Gaudin pour désigner le Grand port. Depuis, les portes ne se sont que très peu ouvertes.

La “bonne foi” du port

L’actuel directeur du GPMM, Hervé Martel a pris ses fonctions, il y a tout juste deux ans. En marge d’un long entretien accordé à Marsactu début juin dernier, il insistait sur le fait que le port a redressé la barre en termes de rapport aux habitants, que ce soit en ce qui concerne l’information ou les aménagements. “Cela se construit avec le territoire et donc en direct avec les riverains et les associations, mais aussi avec les collectivités”, assure-t-il. Avant d’expliquer qu’en ce qui concerne l’ouverture de la digue du Large, rien n’est fixé. “Est-ce que c’est tous les jours ? Est-ce que c’est le week-end ? Qu’est-ce qu’on y fait ? Quelles conditions de sécurité ? Quels investissements ? Sur quel linéaire de la digue ? Nous réfléchissons”.

On ne peut pas aller se baigner sur un quai, ce n’est pas une plage.

Hervé Martel, directeur du GPMM

Mais le patron du port ne compte pas pour autant vendre du rêve aux Marseillais : “Le dialogue Ville-Port c’est aussi assumer le fait que le port de Marseille reste un port et que dans les bassins Est et dans sa partie centrale, il y a une activité commerciale et industrielle.” Et de conclure : “Je suis persuadé qu’un port est un mélange d’intérêts, d’avantages et d’inconvénients. Cela apporte de l’économie, de l’emploi, mais aussi des nuisances, de la pollution, du bruit. On ne peut pas aller se baigner sur un quai, ce n’est pas une plage.” La garantie que les riverains seront écoutés, que ces ateliers débouchent sur un consensus ? Hervé Martel laisse un blanc, puis répond : “Il n’y en a pas. Il n’y a que la bonne foi.”

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Commentaires

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  1. Forza Forza

    Et le boulot énorme fait depuis le début est ici https://www.dialoguevilleportmarseille.fr/bibliotheque
    On peut toujours critiquer d’office toute tentative de concertation, reste que si tout le monde les menait aussi professionnellement que ces gens le font ce serait déjà une avancée.

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  2. MarsKaa MarsKaa

    Je trouve l’initiative intéressante et a priori le fonctionnement de ces ateliers aussi.
    Mais, 1. Qui vient à ces ateliers ? La population est-elle représentée dans son ensemble ? Le “socle” de la concertation est limité aux personnes libres 2h ce soir de semaine là, et en capacité de se déplacer jusqu’au lieu de l’atelier puis de rentrer tard chez elles.
    2. Comme le souligne l’article, cette concertation va-t-elle réellement être prise en compte dans les décisions futures ou sert-elle seulement la comm’ ? Malheureusement, en France, nous avons rarement vu une concertation aboutir à une réelle décision commune entre divers acteurs.

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  3. Alceste. Alceste.

    Ne serait-ce que le titre de cette commission souligne le problème , dialogue port-Marseille.
    Le port comme entité exogène à une ville-port,mais nous n’en sommes plus à une curiosité près ici.
    Alors Martel fait une commission, le compte rendu du déroulement est rigolo, la technique de la feuille blanche est à mourir de rire,bref passons.
    Un os à ronger ou vraie concertation,nous verrons,mais l’expérience locale m’incite plutôt à être circonspect. WAIT and SEE

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  4. barbapapa barbapapa

    Proposition immédiatement réalisable, et peu onéreuse :
    Faire immédiatement de la Grande Jetée une superbe réserve maritime, un des plus beaux spots de plongée du monde et aussi le plus beau parcours de nage et de snorkeling de Méditerranée. Il suffit de peu de moyens et de juste un peu de volonté politique.
    – Création d’une réserve maritime et d’un couloir de nage et aussi spot de snorkeling et de plongée le long de la grande jetée sur 1.5 km entre le pont tournant et le pont levant, avec interdiction de mouillage, de pêche et de navigation de tous engins sur une bande d’env. 75 mètres de large, avec pose de bouées jaunes tous les 50 mètres (30 bouées sphériques d’env. 40 cm de diamètre suffisent)
    – La grande jetée, avec ses blocs, failles, trous et profondeurs est propice à la présence de mérous, de chapons, de canthes, de dentis, de moustelles, de corbs, d’apogons, de congres et murènes, de petites et de grandes cigales, de homards, de langoustes, de gorgones, que l’on pourrait admirer au milieu de nuées de castagnoles roses et noires, sars, oblades, bogues, mandoules et autres mugelons… Sans prédation, ces espèces peuvent y revenir en grand nombre en 2/3 ans et y être le plus souvent admirées dans de l’eau limpide ! (point n’est besoin de dépenser des fortunes pour mouiller d’impressionnants récifs comme au large du Prado, pour des résultats peu probants car le lieu est trop profond, et il faut dire aussi que les autorités ont cédé aux pêcheurs pro pour en limiter grandement le périmètre)
    – Les accès Nord et Sud, cad pont levant et pont tournant pourraient se faire autorisées en mode doux à pied par les portes de la Madrague Ville et d’Arenc, avec marquages au sol à suivre pour ne pas s’égayer dans les quais, ou à vélo avec barres métalliques parkings à vélos au bas des escaliers de traverses de la jetée, ou par taxi ou mini bus accrédités. On peut imaginer devoir fournir une carte de licence de nage en eau libre, ou de la fédération française de natation. La Métropole, La mairie de Marseille, son maire et ses adjoints concernés : mer, sport et tourisme doivent avoir assez d’arguments et de poids pour enfin libérer ces kms de façade maritime face à l’incongruité de 20 années de plan Vigipirate ! La Mairie de Marseille et la Métropole prennent des décisions à beaucoup de niveaux qui mettent en jeu des milliards d’euros pour le GPMM, alors laisser passer quelques piétons c’est pipi de chat…
    – Quelques coups de tronçonneuse pourraient tailler 3 ou 4 marches dans 2 blocs de la jetée pour faciliter 2 entrées à l’eau, et une corde ou une corde échelle fixées aux blocs pour faciliter la sortie en cas de houle.
    Des panneaux explicatifs et préventifs pourraient être posés.
    Plusieurs bouées de mouillage pour bateaux de plongée et bateaux de plaisance venus faire du snorkeling pourraient être posées.

    Qui cela pourrait-il gêner ? Quelques pêcheurs sous-marins amateurs, quelques pêcheurs professionnels. Mais 1/ l’époque n’est plus à la prédation, mais à la protection des espèces 2/ ce serait dans leur intérêt puisque les espèces présentes en masse dans la zone iraient forcément peupler les zones limitrophes… Le Port Autonome ? il faudrait qu’il fasse avec, qu’il supporte le passage à pied ou à vélo ou en minibus de quelques sportifs vers la façade maritime, ce n’est pas la mer à boire, il suffit de s’organiser et d’un minimum de bonne volonté, il s’agit d’une population adulte, responsable, propre, sportive. Au pire ça peut s’encadrer avec un ou deux policiers municipaux…

    Ce serait l’occasion, à peu de frais, de créer une très forte action écologique, sportive et citoyenne pour Marseille. L’occasion de de faire du “démarketing positif” avec une communication telle que “Beaucoup mieux que les calanques : la Grande Jetée de Marseille, à vivre en plongée, snorkeling et en nage en eau libre !”(et à pied si la grande jetée est enfin accessible aux promeneurs et aux joggers)

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    • Alceste. Alceste.

      Et bien voilà de bonnes idées ,et pas besoin de l’exercice ridicule de la feuille blanche.

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  5. Sabine T Sabine T

    En synchrone à ces ateliers de dialogue pour une “traversée” vers le littoral par les usagers et résidents de la ville, je ne peux pas m’empêcher de sourire : je vous défie de trouver le moindre contact direct avec le port pour signaler l’inverse : le débordement des activités du port sur le territoire et vie de résidents de la ville en littoral. De la mer vers la terre cette fois… Sans parler de la pollution que nous connaissons déjà tous bien sûr (et pas que des bateaux de croisière : des signalements successifs sur les dépôts d’alumine dans le quartier depuis plus de 15 ans restent lettre morte par la Préfecture).

    Des files interminables de véhicules de vacanciers, arrêtés ou au pas, en attente d’embarquement, on en parle ? La solution ? la seule proposée par les services de la ville ou métropole (le port ne répond pas à son seul “formulaire de contact”) : signaler à la police municipale pour, s’ils ont des patrouilles disponibles, faire la circulation ! la circulation dans l’enceinte du port et non sur la voie publique, des “percées” entre le Port et la Ville en-dehors des cartes postales et vues sur mer,, activités culturelles ou sportives… ?

    Peut-être pas assez de temps ou moyens à dédier pour des ateliers participatifs avec “pages blanches” ? Oui, c’est super de commencer à dialoguer avec toutes les parties prenantes présentes mais… ah pardon, Oui ET cela permet au moins d’avoir l’occasion d’être entendus si on était informés et présents pendant cette tranche de 2h programmée…

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