À Gardanne, pour son kérosène “vert” Hynovera laisse tomber le bois pour du CO2 industriel

Info Marsactu
le 25 Avr 2024
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Après la forte contestation citoyenne de fin 2022, l'industriel Hy2Gen poursuit la refonte de son projet de production de carburants pour l'aviation. Le CO2 entrant dans la composition du produit fini ne serait plus obtenu avec du bois, mais capté depuis des usines de la région.

La centrale de Gardanne. (Photo : Clémentine Vaysse)
La centrale de Gardanne. (Photo : Clémentine Vaysse)

La centrale de Gardanne. (Photo : Clémentine Vaysse)

Fini le bois. Initialement, adossé à la centrale biomasse de Gardanne, le projet Hynovera, projetait de produire des carburants “verts” pour bateaux et avions à partir de ce matériau. Mais ce projet, véritable pierre angulaire de la transition industrielle de l’ancien basin minier de Provence, a dû se réinventer. Forcé de le faire sous la pression des riverains, venus par centaines mettre le oaï dans les réunions de la concertation publique à l’automne 2022. La société Hy2Gen, promotrice de la future usine, revoyait ses ambitions à la baisse en février 2023, annonçant abandonner la production de méthanol pour la marine pour se concentrer sur le seul carburant pour l’aviation. Désormais, l’entreprise allemande envisage de recourir au CO2 d’origine industrielle et locale plutôt que de l’extraire sur place à partir de bois, a appris Marsactu.

Pas n’importe quel CO2. Le gaz carbonique qui serait utilisé est qualifié par les dirigeants de Hy2Gen de “biogénique”, car issu de la combustion de biomasse. Pour eux, pas question de recourir à du CO2 d’origine fossile. “C’est dans les valeurs du groupe de favoriser la sortie des énergies fossiles”, expose Cyril Dufau-Sansot, cofondateur et président de la société. Ainsi, le nouveau projet d’Hynovera ne se présente pas comme une solution de décarbonation pour la demi-douzaine d’industries des Bouches-du-Rhône recensées parmi les 50 plus grosses émettrices de CO2 en France, comme la pétrochimie de Lyondellbasell, la cimenterie de Lafarge et l’aciérie de ArcelorMittal.

Moteur de l'”avion vert” de Macron

Le CO2 proviendrait donc de sites qui transforment de la biomasse, comme la centrale de Gardanne, bien sûr, ou la papèterie Fibre Excellence à Tarascon. Pour l’heure, Hy2Gen ne donne pas de nom d’industriel avec lequel elle pourrait contracter pour obtenir cette matière première. Contacté, Gazel Energie, propriétaire de la centrale gardannaise, ne nous a pas répondu dans les temps impartis à la publication de cet article.

Le projet Hynovera en est encore au stade des études. Il fait partie des pistes de décarbonation des industries du département – soit 18 millions de tonnes de CO2 par an et 25 % des rejets industriels nationaux – poussées par les pouvoirs publics, via le programme Syrius. Quatre millions d’euros ont été mis sur la table par le ministère de l’Économie en 2023 pour “une trentaine d’études d’ingénierie et de faisabilité” visant à faire émerger une adaptation industrielle pour aller vers la neutralité carbone d’ici 2050.

Le projet ne mégote pas sur les coups de pouce financiers : Hy2Gen sera soutenu par 6,5 millions d’aides publiques pour ses études de faisabilité. Hynovera est dans le créneau de la volonté d’“avion vert” d’Emmanuel Macron. En juin 2023, le président de la République promettait 300 millions d’euros de soutien au développement des carburants non fossiles pour l’aviation. Hynovera pourrait capter une bonne part de ces aides pour la construction de l’unité industrielle, si son projet va au bout.

Son promoteur espère produire 30 000 à 35 000 tonnes de kérosène par an à Gardanne-Meyreuil. Soit “20 % des besoins d’un aéroport comme Marignane”, expose Cyril Dufau-Sansot. Pour ce faire, son usine réaliserait une chimie de l’hydrogène et du CO2. 130 000 tonnes de CO2 annuelles seraient nécessaires. Et l’hydrogène serait produit sur place, grâce à un électrolyseur de 120 mégawatts, “qui permet de casser la molécule d’eau”, image Cyril Dufau-Sansot. Ainsi, H2O voit ses deux atomes d’hydrogène (H) séparés de son atome d’oxygène.

La puissance de l’électrolyseur est importante, représentant 80 % de celle de la centrale biomasse voisine, pensée pour produire l’électricité équivalente à la consommation des ménages de Marseille. Comme dans la première mouture du projet Hynovera, l’électricité ne proviendra pas de la centrale de Provence, mais plutôt d’éolien et de solaire de la région. Une “électricité renouvelable”, que Cyril Dufau-Sansot pose comme un gage supplémentaire de durabilité du carburant qu’il veut produire. “La molécule finale qui le composera sera carboneutre, d’autant plus qu’il se substituera à du kérosène issu du pétrole”, argumente-t-il. De la biomasse venue de productions forestières ou agricoles, transformée dans un premier temps pour fabriquer du papier ou de l’énergie, puis qui retourne à l’atmosphère après avoir été brûlée dans un réacteur d’avion, le carbone vivra “un cycle de plus”, ajoute le responsable d’Hy2Gen. Pour l’entrepreneur, la boucle est vertueuse : l’équivalent du carbone émis finira par être capté par la croissance des arbres et des champs, avant d’être extrait à nouveau pour exploiter la biomasse.

Les opposants toujours sur la brèche

La nouvelle version d’Hynovera ne convainc toujours pas l’association de lutte contre les nuisances et la pollution (ALNP), en première ligne contre le projet. Elle souligne notamment que le CO2 finit dans l’atmosphère, quoi qu’il arrive. “Si on veut décarboner demain, il faut trouver une autre technologie que la combustion. Je ne vois pas en quoi ça marcherait, si tous individuellement, on continue de produire du CO2 en excès”, expose Olivier Beuret, coprésident de l’association et ingénieur industriel de profession. Il partage l’analyse des 500 scientifiques qui avaient alerté en 2021 les dirigeants mondiaux sur les risques pour le climat et la biodiversité d’un développement industriel de la biomasse à des fins énergétiques. “Un kilogramme de carbone brûlé – peu importe d’où il vient – augmente la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Même si des forêts sont replantées, ce CO2 ne sera absorbé de nouveau que des décennies plus tard”, avait alors expliqué au Monde l’écologue Wolgang Cramer, directeur de recherche au CNRS et membre du conseil scientifique du Grec-Sud, le groupe d’expert sur le climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

L’opposition de l’ALNP repose avant tout sur des arguments locaux. “On n’a pas demandé à modifier le projet, on demande le rejet du projet. On ne veut pas de carburants sur notre zone. L’industriel s’entête, défend Olivier Beuret. La dangerosité explosive de l’hydrogène est toujours la même. Ici, on n’est pas sur le port autonome de Fos, il y a beaucoup de résidences à proximité”, précise-t-il.

“C’est une des conclusions qui nous a fait abandonner la production de méthanol et ainsi ne plus être classé en Seveso seuil bas, répond Cyril Dufau-Sansot d’Hy2Gen. Dans l’imaginaire du public : Seveso égale danger. Dans la réalité, c’est l’inverse, parce que les normes et les contrôles sont plus importants”. Pour rassurer, il prend l’engagement de s’appliquer tout de même les contraintes d’un site Seveso seuil bas, même si son usine n’en a pas le label.

“Acceptabilité sociale”

La perception du public est un enjeu de taille pour le dirigeant d’Hy2Gen, qui ne méconnaît pas l’impératif “d’acceptabilité sociale” de son projet. Il affirme présenter aujourd’hui une feuille de route qui prend en compte “une meilleure compréhension des attentes du territoire”. Conscient qu’il ne parviendra sans doute pas à convaincre tout le monde, il s’affiche toutefois confiant pour “amener des éléments factuels” et “acculturer à [son] projet”.

La marche pourrait être haute. La bronca de centaines de citoyens dans les réunions publiques, une pétition signée par 26 000 personnes contre la première version d’Hynovera, ont fait refluer le soutien des maires de Gardanne et de Meyreuil. “Nous ne passerons pas en force, avait affirmé le sous-préfet Bruno Cassette à La Marseillaise. Maintenant, c’est au porteur du projet de convaincre. La question est de savoir s’il a la volonté, et s’il est capable de proposer un projet qui serait susceptible de répondre aux exigences posées”.

Le projet sera soumis à un complément de consultation publique – dont les modalités restent à définir – d’ici à la fin de l’année, puis à enquête publique courant 2025. Lors de l’annonce de son lancement en 2021, il était prévu que la production démarre en 2026. La nouvelle version pourrait démarrer en 2029. Les citoyens se remobiliseront-ils pour faire pression ? Le débat sur Hynovera à Gardanne est loin d’être clos.

Actualisation le 25/04 à 10h45 : Hynovera produirait 30 000 à 35 000 tonnes de kérosène et non 30 à 35 tonnes comme nous l’avions écrit initialement.

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Commentaires

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  1. olivier olivier

    30 à 35 tonnes de production par an c’est peu ! A peine le plein d’un seul gros porteur.
    Il manque sans doute quelques zéros.

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    • Pierre Isnard-Dupuy Pierre Isnard-Dupuy

      Bonjour,
      Oui c’est une coquille, 30 000 à 35 000 tonnes. Nous avons corrigé.

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  2. Andre Andre

    J’ai du mal à comprendre l’opposition radicale à ce projet. Les avions vont ils se passer du jour au lendemain de kérosène? Je ne le crois pas. Si la solution de carburant issu de la bio masse, même en faible quantité, est abandonnée, ils continueront à voler en totalité avec du carburant fossile, c’est tout.
    Cette production que l’on voudrait développer à Gardanne serait me semble a-t-il une solution transitoire avant que l’on invente l’avion solaire ou… à pédales.
    Avant cela, il faudrait peut être cesser de prendre l’avion pour aller à Nantes ou à Paris, comme ont probablement pu le faire pas d’opposants au projet et…comme j’ai pu le faire moi-même, le coût du billet de train étant en cause.
    Voilà, même si ce n’est pas exactement le sujet, une réflexion à poser sur la table du développement durable. Est-ce normal que le prix du billet de train soit aussi prohibitif, poussant les gens à prendre l’avion pour des trajets courts?…

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    • Félix WEYGAND Félix WEYGAND

      +1 l’avion … ou la voiture, sur des petits déplacements comme sur de longues distances la voiture restant encore et toujours le moyen le moins cher pour voyager dès que l’on est deux… Et même seul : Marseille-Toulon en voiture revient à 2 fois moins cher que Marseille Toulon en train…

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    • Marc13016 Marc13016

      +1
      Entre du Kérosène issu de pétrole fossile et du carburant provenant de combustion de bois, il n’y a pas photo, question bilan carbone :
      – L’un est un apport brut de CO2, qui avait été stocké il y a des millions d’années sous la terre, qui se restockera dans des arbres s’il y en a assez pour l’absorber, et qui n’a pas eu d’autres utilités que de pousser un avion.
      – L’autre est un relargage de CO2 qui avait été stocké il y a 50 ans dans des arbres, qui se restockera dans les même arbres d’ici 50 ans (enfin, dans la même quantité d’arbres), et qui avant de pousser un avion, a été une production secondaire lors d’une combustion, donc quelque chose à priori utile au confort des humains.
      Je serais curieux de savoir ce qu’en pense l’ingénieur industriel qui semble tenir un raisonnement différent.
      Et au delà de cette arithmétique, il y a la question des emplois dans le bassin industriel de Gardanne, certes aussi bien sûr des maisons et de son cadre de vie. Mais est-il réellement menacé ?

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  3. richard13015 richard13015

    Son promoteur espère produire 30 à 35 tonnes de kérosène par an à Gardanne-Meyreuil.
    Il doit manquer le mot mille pour pouvoir comprendre les enjeux

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    • Pierre Isnard-Dupuy Pierre Isnard-Dupuy

      Bonjour,
      Oui c’est une coquille, 30 000 à 35 000 tonnes. Nous avons corrigé.

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  4. Pascal L Pascal L

    “Pas n’importe quel CO2” : de ma vie, je ne pense pas avoir vu un argument aussi stupide et j’aurais mis 0 à un étudiant qui serait venu avec un mémoire dans lequel figurerait cette phrase.

    Le CO2 c’est le CO2, ils est le même partout et on a intérêt à le capter là où c’est le plus simple et, surtout, où c’est le moins énergivore. Si c’est dans les échappements de Lafarge ou d’Arcelor Mittal eh bien c’est là qu’il faut aller le chercher.

    Les escrocs qui font du vert à la noix, il y en a beaucoup trop. Iil est urgent que des citoyens qui ont fait un peu d’études scientifiques se présentent aux élections car cela commence à sérieusement manquer.

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Tellement vrai! En quoi le recyclage de CO2 “vert” (qu’ès acco?) serait plus vertueux que celui du “non-vert”? D’autant plus que la combustion de la biomasse en grandes quantités entraînera très rapidement la disparition de pans entiers de forêts fragilisées par les changements climatiques.

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    • Andre Andre

      Nous sommes bien d’accord. La bio masse serait à utiliser avec beaucoup de discernement et le CO2 reste du CO2 quelle que soit son origine et il paraît bon d’utiliser celui déjà produit par l’industrie. Une fois de plus, je ne comprends pas l’opposition radicale à ce projet.

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  5. Oreo Oreo

    Hélas, vue par les industriels, la “transition écologique” accélère les désastres écologiques. Une telle transition voudrait que l’on s’inserre dans le fonctionnement des grands cycles des écosystèmes de la planète sans les perturber. Les recherches (et les crédits qui leurs sont nécessaires) pour cela n’en sont qu’à leur balbutiements. En revanche les milliards pleuvent sur le greenwashing. La planète et ses habitants ont du souci à se faire.

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  6. Oreo Oreo

    Hélas, vue par les industriels, la “transition écologique” accélère les désastres écologiques. Une telle transition voudrait que l’on s’inserre dans le fonctionnement des grands cycles des écosystèmes de la planète sans les perturber. Les recherches (et les crédits qui leurs sont nécessaires) pour cela n’en sont qu’à leur balbutiements. En revanche les milliards pleuvent sur le greenwashing. La planète et ses habitants ont du souci à se faire.

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