Les anciens patrons des sapeurs-pompiers risquent la prison ferme à la barre du tribunal

Reportage
le 20 Jan 2021
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Le procureur a requis plusieurs mois de prison ferme à l'encontre des anciens responsables du service d'incendie et de secours du département. L'ancien député socialiste Jean-Pierre Maggi et le colonel Luc Jorda, directeur du service, sont notamment accusés de détournement de fonds et de favoritisme.

À la barre, Jean-Pierre Maggi a expliqué avoir fait confiance aux services et aux spécialistes juridiques du Sdis. (Dessin Ben8)
À la barre, Jean-Pierre Maggi a expliqué avoir fait confiance aux services et aux spécialistes juridiques du Sdis. (Dessin Ben8)

À la barre, Jean-Pierre Maggi a expliqué avoir fait confiance aux services et aux spécialistes juridiques du Sdis. (Dessin Ben8)

Luc Jorda plie et déplie nerveusement un mouchoir en papier. Assis à ses côtés sur le banc des prévenus de la 6e chambre bis du tribunal correctionnel, Jean-Pierre Maggi le lui emprunte un instant pour essuyer la buée de ses lunettes. Les gestes barrières sont loin. Quelques instants auparavant, le procureur Mathieu Vernaudon a requis à leur encontre des peines de prison ferme : 18 mois pour l’ancien président du service d’incendie et de secours (Sdis 13) sur quatre ans de peine au total. Un an pour le colonel du même service Luc Jorda, sur deux ans au total.

En sus, il demande la confiscation de biens saisis : la part d’un appartement à Montpellier pour l’ancien colonel des sapeurs-pompiers, un logement à Paris pour l’ancien maire de Velaux. Pire encore aux yeux de Jean-Pierre Maggi, le terrain qu’il a vendu à sa belle-fille “objet du délit” de favoritisme, est également menacé de confiscation en réparation des sommes prétendument détournées. L’ancien élu souffle : “C’est lourd. Ils ont construit sur ce terrain, les petits”.

Au bout de dix ans d’instruction, l’affaire du Sdis 13 vaudra peut-être ce jeudi de la prison ferme aux deux auteurs présumés. Le dossier rassemble les affaires familiales du président d’une part et d’autre part le tortueux dossier du Cireex. Pour ce centre de formation sur les risques industriels qualifié de “monstruosité juridique” par l’assesseur Pierre Jeanjean, l’ancien homme politique et le colonel sont poursuivis pour favoritisme et détournement de biens publics.

Lire le récit du premier jour d’audience : Le tribunal décortique les petites affaires familiales de Jean-Pierre Maggi

“Clientélisme et détournement”

Accusation et défense discutent de la matérialité des faits, mais au-delà, c’est aussi le caractère des pratiques qui est étudié. Insupportables pour le parquet, leurs auteurs les considèrent comme normales. Le procureur le dit en introduction de son réquisitoire : “On pourrait attendre qu’ils fassent leurs les valeurs d’altruisme et d’engagement des pompiers mais c’est plutôt clientélisme et détournement qui caractérisent l’affaire”.

Le procureur insiste sur la notion de clientélisme. (Dessin Ben 8)

Mathieu Vernaudon va plus loin : “Monsieur Maggi ne sait pas ce qu’est le clientélisme. Comme monsieur Jourdain faisait de la prose, il en fait sans le savoir“. Le procureur vise en particulier les embauches de ses proches au sein du Sdis 13 ou encore la proportion “surprenante” des administrés de Velaux et du canton de Pélissanne parmi les emplois saisonniers du service, des éléments décortiqués lors de la première journée d’audience. “Si on compare la population de Velaux à celle des Bouches-du-Rhône en 2008, on arrive à 0,4%. Pour le Sdis, la même année, c’est 51,3% parmi les saisonniers, soit une différence de 10 000 %.“, appuie-t-il.

“Pourquoi il se cacherait pour faire le bien”

En défense de l’ancien élu, Gilbert Sindres tique. Il ne voit dans les qualifications de prise illégale d’intérêt qu’un habillage formel. Les conflits d’intérêts n’auraient selon lui pas entraîné la commission de délits plus graves. Les personnes embauchées ont bien travaillé. Le terrain vendu a bien servi aux acheteurs pour y bâtir leur demeure.

Pour l’avocat, s’affrontent deux conceptions diamétralement opposées. “Il y a le regard que vous portez sur la déontologie, l’éthique que nous sommes tous en droit d’exiger du titulaire d’un droit électoral”, explique-t-il en s’adressant au tribunal. Et de l’autre, “le représentant d’un ancien monde qui se demande pourquoi il se cacherait pour faire le bien”.

Il a beaucoup été question du rôle de l’élu dans cette affaire. L’élu tient permanence, fournit des lettres de recommandations aux administrés en quête d’un emploi ou d’un logement, fussent-ils pour ses proches immédiats. Le même élu qui, censé gérer les deniers publics, s’en remet aux services pour assurer la légalité de ses actes.

“Il a pris une leçon de droit en accéléré durant ces deux jours ”

Gilbert Sindres, avocat de Jean-Pierre Maggi

“Il a pris une leçon de droit en accéléré durant ces deux jours”, assure son avocat qui à deux reprises souligne le “quotient intellectuel” de son client pour mieux inciter le tribunal à la clémence pour ce tenant “d’un ancien monde”. Au contraire, l’accusation y voit l’exemple d’une “atteinte durable et profonde au crédit des élus” qui fragilise le modèle démocratique.

Le cas d’école du Cireex

Dans cette lecture des faits, l’affaire du Cireex, examiné lundi par le tribunal, est un cas d’école. En 2008, le Sdis se lance dans la création d’un centre “unique en Europe” de formation aux risques industriels, consistant en un plateau technique créé en partenariat avec une société spécialisée baptisée EDI, qui prendra ensuite le nom de SCT pour Safety Center Training.

En mars 2008, Jean-Pierre Maggi signe au nom du Sdis une convention avec ladite société pour des actions de formation estimée à 163 000 euros. En septembre, s’y ajoute un avenant avec la même société qui prévoit les terrassements du centre pour un montant de 202 000 euros. Aucune des délibérations du conseil d’administration ne prévoit de publicité, de mise en concurrence alors qu’il s’agit clairement de marchés publics.

Le label américain introuvable

Pour justifier cette irrégularité, le colonel Jorda met en avant l’exclusivité d’un label TEEX, délivré par une société texane, mondialement reconnue en matière de risques industriels dont aurait bénéficié l’entreprise choisie. Cette exclusivité permet en effet de passer outre les règles de la commande publique. Problème, les investigations n’ont pas permis de confirmer cette détention exclusive.

C’est à la barre que le conseil de Luc Jorda, Gaëtan Di Marino exhume des documents signés par le patron de STC, censés prouver ce fait, tout en doutant lui-même de leur véracité. “Si tout cela n’était qu’une escroquerie…”, glisse-t-il en présentant ainsi son client comme une victime de ses anciens partenaires privés. Pour achever de le dédouaner et demander la relaxe, il souligne qu’en tant que directeur, il n’a rien signé de sa main et ne peut donc être l’auteur des détournements ou du favoritisme.

Le colonel Jorda risque un an de prison ferme. (Dessin Ben 8)

“J’ai fait confiance”

Le second argument invoqué pour justifier l’absence de passation de marché public est le caractère urgent de la réalisation des installations du Cireex, en septembre 2008. Un motif qui peine à tenir la route pour le tribunal. “Il doit être question de catastrophe naturelle pour justifier l’urgence, on en est loin”, constate le procureur. Les deux mis en cause ont autant de mal à le justifier. “J’ai fait confiance à un avocat qui s’occupait des marchés du Sdis. On travaille à la confiance quand on est élu”, plaide Maggi.

Au moment de l’enquête de personnalité, il a pourtant reconnu avoir examiné des milliers de marchés du conseil général lorsqu’il présidait la commission d’appel d’offres. Au Sdis, malgré les sommes en jeu, de plusieurs centaines de milliers d’euros à chaque fois, il a signé “en faisant confiance aux services”, se dédouanant ainsi à son tour de sa responsabilité.

Avocat de Jean-Pierre Maggi, Gilbert Sindres rejette la faute sur les services juridiques du Sdis. (Dessin Ben 8)

Son avocat Gilbert Sindres poursuit la même stratégie, fustigeant le responsable juridique du Sdis, l’avocat conseil auteur d’une “bouse” de 15 pages pour justifier l’absence de passation de marchés publics tout en soulignant les risques. Et puis si ce n’est pas eux, c’est le contrôle de légalité mené par la préfecture qui déraille ou le trésorier payeur qui paie sans barguigner, avant d’être sommé de rembourser par la chambre régionale des comptes qui constate les irrégularités quelques années plus tard.

Cerise sur ce dossier, en juillet 2010, la société partenaire fait faillite et le Sdis produit un nouvel avenant au contrat pour racheter les installations pour 500 000 euros. “L’eau ne remonte pas à la source, constate Jean-Pierre Maggi. Il fallait sortir par le haut de cette histoire”. Dix ans plus tard, c’est la justice qui doit décider, après deux jours de procès, d’une issue qui pourrait s’avérer funeste pour la paisible retraite des anciens patrons des sapeurs-pompiers. La décision est attendue pour jeudi.

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Commentaires

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  1. Happy Happy

    A la lecture des deux articles relatant l’audience, je n’ai pas compris : quels liens entre les faits reprochés exposés dans les articles (embauches de proches, passation de marchés publics critiquable…) et le réquisitoire qui demande la prison ferme et la confiscation de biens, comme un appartement à Paris. Cet appartement à Paris, il aurait été acheté par M. Maggi avec des fonds détournés ? De quelle manière s’est fait le détournement ? Je ne l’ai pas lu, ou alors j’ai lu trop vite. Merci si vous pouvez préciser.
    Quant à la citation de l’avocat sur le “quotient intellectuel” de son client… ??? Il a produit à la barre les résultats d’un test de QI ? Pour plaider l’irresponsabilité intellectuelle ?

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      bonjour, l’accusation n’a pas établi de liens entre cet achat et les sommes qui seraient détournées. En revanche, le procureur estime que les biens détournés (le terrain communal de Fos-sud-Mer et la mise à disposition de trois sapeurs-pompiers) doivent donner lieu à une compensation de la part des mis en cause : la part d’un appartement pour M.Jorda, l’appartement de M.Maggi et le terrain de Velaux. Quant à la citation sur le QI, c’est effectivement une citation de Me Sindres, destinée à minimiser le rôle joué par son client.

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    • Jacques89 Jacques89

      Notre pays est devenu le repère de la Mafia et PACA a repris les rênes perdues par la Sicile. Comme en Italie, va falloir que notre justice ne lâche rien. La reprise des biens mal acquis en est le symbole.
      Et en plus on se permet de dénoncer le Trésorier et le Préfet pour les contrôles qu’ils n’ont pas faits. Ces élus mafieux sont les premiers à faire jouer leurs relations dans les rouages de l’Etat pour museler ces services. A vomir !

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  2. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    rien d’autre à rajouter que désespérant!! et le petit mec de banlieue qui vole un scooter on vilipende!!

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