Le tribunal décortique les petites affaires familiales de Jean-Pierre Maggi

Reportage
le 19 Jan 2021
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Après dix ans d'instruction judiciaire, les deux anciens hommes forts du service des sapeurs-pompiers comparaissent depuis lundi pour des délits présumés de trafic d'influence, détournement de fonds publics et favoritisme. Un avant-goût de l'affaire Guerini dont le service incendie était une succursale.

Céline Ballerini, son assesseur, Pierre Jeanjan interrogent Jean-Pierre Maggi. Dessin : Ben 8.
Céline Ballerini, son assesseur, Pierre Jeanjan interrogent Jean-Pierre Maggi. Dessin : Ben 8.

Céline Ballerini, son assesseur, Pierre Jeanjan interrogent Jean-Pierre Maggi. Dessin : Ben 8.

Jean-Pierre Maggi flotte dans son costume marron, comme trop grand pour lui. L’ancien député socialiste, maire de Velaux pendant 43 ans, conseiller général de Pélissanne 20 ans durant, comparaît ce lundi devant le tribunal correctionnel de Marseille pour détournement de fonds publics, trafic d’influence et atteintes à l’égalité des marchés. Il est depuis quelques mois “à la retraite” comme son ancien compère du service d’incendie et de secours, le colonel Luc Jorda, renvoyé comme lui.

Les deux hommes ont vieilli, blanchi en même temps que cette longue information judiciaire, déclenchée voici dix ans par deux lettres au procureur, signées par trois sapeurs-pompiers, insurgés de ce qu’ils estimaient être des manquements de la part de leur hiérarchie. La chambre régionale des comptes saisie des mêmes faits ajoutait une couche conséquente à ces reproches initiaux.

Ce lundi matin, la présidente, Céline Ballerini s’inquiète de la santé des prévenus. Elle promet des pauses, le temps de souffler. Il y a de quoi. Elle mène son affaire tambour battant, bouscule, prend la presse à témoin, joue l’ironie et l’anti-phrase. Prévu sur quatre jours, ramené sur trois à l’ouverture, le procès devrait finalement être bouclé en deux, avec un jugement attendu pour jeudi.

“Élu de proximité”

Le vieux routard de la politique bucco-rhodanienne affecte un ton paterne quand on l’appelle à la barre. Lui l’enfant d’ouvrier de Saint-Barnabé, l’ancien de Shell, syndicaliste CFDT, joue l’homme de terrain : “je suis un élu de proximité. Moi ce qui m’intéresse, c’est d’aider les gens.” Il sera beaucoup question de ces “aides” que Jean-Pierre Maggi a fournies dans le cadre de ses mandats et notamment de celui de président du conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours (SDIS).

La première partie du procès a trait aux embauches de ces “petits, ces jeunes” que Jean-Pierre Maggi voyait passer dans ses permanences d’élu pour trouver un job d’été. Demandes qu’il recevait ensuite le mardi, lorsqu’il posait sur son crâne lisse sa casquette de pompier en chef. Jean-Pierre Maggi le maire recommandait à Maggi le président ces jeunes en quête d’aide. En 2009, 61% des saisonniers sont recommandés par l’élu, un record. Les années suivantes, le taux baisse mais reste constant : toujours beaucoup d’habitants de Velaux ou du canton de Pélissanne dans les employés administratifs du SDIS.

“Pas le SDIS de Velaux”

Jean-Pierre Maggi minimise. “Ils permettent d’armer les vigies qui surveillent les feux de forêts nuit et jour, assurent la sécurité des plages, sont présents dans la caserne. Cela fait beaucoup plus de monde que cela”. “Mais tout de même, rétorque la présidente. 8000 habitants sur les 2 millions que comptent le département. Ce n’est pas le SDIS de Velaux”. “Je suis d’accord”, souffle Jean-Pierre Maggi. Mais il noie cela dans un contexte. Il tient à la disposition de la justice un plein classeur de demandes venues “de France et de Navarre”, recommandées par des élus de tous bords. “Et puis personne n’a été refusé”, élude-t-il.

Pourtant ces postes payés à la vacation, sans charges sociales, ne faisaient l’objet d’aucune publicité si ce n’est parmi les pompiers et les élus. “Je ne regardais pas la couleur politique”, insiste-t-il encore. D’ailleurs, il n’en a tiré aucun profit, lui qui a été réélu maire “au premier tour” sans discontinuer de 1977 à 2014. “Ce n’était pas moi qui gagnais, ce sont mes adversaires qui perdaient”.

“Pas une erreur, un délit”

En réponse à l’instruction musclée de la présidente, Jean-Pierre Maggi commence toutes ses phrases par “honnêtement” avant de souffler ici et là un “c’est vrai” ou “maintenant que vous le soulignez” comme s’il avait fallu attendre le renvoi pour que le délit se constitue à ses yeux. L’élu parle surtout “d’erreur” et se fait reprendre de volée par le procureur Mathieu Vernaudon : “Je vais dire quelque chose que je répète souvent devant le tribunal pour enfants : ici on ne juge pas des erreurs mais des délits. C’est cela qu’on vous reproche monsieur Maggi”. Des délits qui s’apparentent au clientélisme déjà évoqué sous ses formes pénales lors des procès récents de Karim Zéribi ou d’Henri Jibrayel.

Mais l’ancien socialiste ne voit pas de clientélisme dans tout cela. “Ah ça jamais, balaie l’ancien maire. Un élu est là pour rendre service, sans contrepartie. Si ce n’est la satisfaction d’avoir offert un emploi à un petit”. Parfois la satisfaction ressemble à une grosse ficelle comme le cas de cet employé du conseil général, recommandé par le directeur de cabinet du président Guérini qui est embauché et titularisé, malgré un casier plein, des insultes et menaces et de l’absentéisme. “Je n’ai pas signé l’arrêté de nomination”, s’insurge Jean-Pierre Maggi.

Jean-Pierre Maggi, ancien président du SDIS et Luc Jorda, colonel des sapeurs-pompiers. Dessin : Ben 8.

“La plus grosse pression” de Sarkozy

Lors d’une interception téléphonique avec un certain Jean-Marc, l’élu évoque “le dossier des pompiers qui lui casse les couilles”. Il promet même de balancer les emplois fictifs qu’on lui impose, à commencer par une demande qui aurait émané du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy. “La plus grosse pression que j’ai subie”, réitère Maggi au micro.

Mais les soupçons portent aussi sur son cercle proche : il y sa compagne, Josyane. Son dossier est arrivé par la même voie épistolaire jusqu’au bureau de Luc Jorda, le colonel et directeur. Elle est aussitôt embauchée pour trois ans à la pharmacie du SDIS 13. Jean-Pierre Maggi a signé l’arrêté de nomination puis son contrat mais ne s’en souvient pas, “c’était noyé dans les parapheurs”, puis enfin reconnaît “une erreur” : “j’aurais dû m’absenter du conseil d’administration”.

La femme, le gendre et le gendre de la femme

En 2008, un avenant améliore substantiellement le traitement de sa concubine, lui permettant ainsi de passer à un contrat de 60% sans perte de salaires. “C’est une chose qui se fait dans la fonction publique à proximité de la retraite, plaide Maggi. Je l’ai fait pour tout le monde”. Il est ennuyé quand le tribunal évoque le “discrédit porté sur la fonction d’élu”, les lois qu’il a votées en tant que député. Mais les avantages ne s’arrêtaient pas à sa seule compagne. Son gendre Jean-Philippe trouve aussi refuge au SDIS 13. “Mais il était désespéré après une affaire qui a mal tourné avec son oncle qui buvait”, résume Maggi, en peintre social.

Jean-Philippe verra son arrêté de titularisation signé par son beau-père. “Un peu comme dans une république bananière ?”, ose Céline Ballerini. “N’y voyez aucune malice”, tente-t-il. Après son beau-fils, arrive le tour du gendre de Josyane, embauché pour ses qualités de sportif et titularisé malgré un arrêt maladie. Cette fois-ci, par un autre que lui.

Le nageur et son épouse viendront conclure ces affaires familiales qui amènent Jean-Pierre Maggi devant le tribunal. L’instruction a fait un détour velauxien pour examiner les conditions d’achat d’un terrain municipal par les deux rejetons du couple. Mis en vente à plusieurs reprises au prix des Domaines, il trouvera finalement preneur par le biais d’une agence et d’une cliente qui se présente comme “la belle-fille du maire”. La commission touchée par l’agence n’est que 1000 euros, soit 0,1% du prix de vente lorsqu’elle est de 5 à 7% d’ordinaire.

Là encore, Jean-Pierre Maggi plaide l’erreur : “Mais vous comprenez, c’est un secret de Polichinelle. J’ai deux ex-femmes qui habitent Velaux. Tout le monde me connaît, m’appelle Jean-Pierre”. Il argue ensuite le manque de formation des élus, la faute “aux gens qui [me] conseillent” avant de dire “je ne vais pas me défausser sur Pierre, Paul, Jacques”.

Pourtant il passera l’après-midi à se délester de toute responsabilité dans le calamiteux projet du Cireex, “monstruosité juridique” qui devrait encore occuper une bonne part des débats de ce mardi.

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Commentaires

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  1. petitvelo petitvelo

    Qu’il semble loin le président à vie de la “Maggi-cratie” , il semble ne rester qu’une victime qui voulait seulement “faire plaisir”.

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  2. Alceste. Alceste.

    Nous allons avoir droit au légendaire : “mais il n’y a pas eu d’enrichissement personnel” ou alors ” au complot politique”

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  3. Jacques89 Jacques89

    La population a tellement pris l’habitude de s’adresser à des gens qui ont des « manches longues » qu’ils en oublient qu’ils sont élus pour gérer l’intérêt général. Et ce qui garantit l’intérêt général c’est le respect des règles. Maggi, Sarko… même combat : au trou ! Si on commençait par ça, les élus réfléchiraient peut être à deux fois avant de jouer les gros bras.

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  4. Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

    Défense maggique au tribunal des grands enfants…

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