Les 700 000 euros de dépenses irrégulières des sapeurs-pompiers

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le 16 Jan 2014
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Après onze pages très détaillées, le jugement de la chambre régionale des comptes tombe comme un couperet. "Monsieur X est déclaré débiteur envers le service départemental d’incendie et de secours des Bouches-du-Rhône" de plus de 700 000 euros pour les exercices de 2008 à 2010. Ces sommes réclamées correspondent à cinq charges que la chambre reproche au comptable. Trois d'entre elles font référence à des indemnités versées indûment, les deux autres concernent le fameux Cireex, ou plus pompeusement Centre international de ressources et d'expertises sis à Fos-sur-Mer.

Il apparaît sous la lettre W dans le jugement de la chambre. Quant à monsieur X, il s'agit du trésorier payeur départemental qui a réglé les dépenses du conseil général et des établissements qui en dépendent durant de longues années, avant de prendre sa retraite à la fin de l'année 2012. Ce jugement sévère vient compléter le rapport définitif sur la gestion du service départemental d'incendie et de secours, rendu public en septembre dernier.

"Ce jugement ne concerne pas l'ordonnateur [le président du conseil d'administration du SDIS 13, ndlr]. Au contraire, il vient souligner l'indépendance du comptable. La chambre est là dans son rôle de contrôle des comptes, précise Louis Vallernaud qui a pris la suite de Danielle Lamarque, à la présidence de la CRC Paca. Nous jugeons les comptes d'un comptable qui a payé les dépenses de personnel sans avoir l'ensemble des pièces justifiant ces dépenses. Ou encore, dans le cas d'un marché, nous regardons si dépense a été régulière ; c'est-à-dire si le paiement a été effectué avec toutes les pièces justifiant cette dépense. En l'occurrence, il a payé irrégulièrement sans avoir toutes les pièces nécessaires ou des pièces contradictoires. Il est donc considéré débiteur des sommes versées car il y a préjudice pour la collectivité pour quatre des cinq charges".

Volontaires et professionnels

En clair, le payeur départemental aurait pu ou dû refuser de payer en l'absence de ces pièces surtout pour des montants aussi importants. Si ce jugement est distinct du rapport provisoire, il recoupe en partie les faits qui étaient reprochés aux gestionnaires publics du SDIS 13, pour cette période : Jean-Pierre Maggi pour la présidence et Luc Jorda en tant que directeur. Les trois premières charges peuvent être considérées comme minimes tant au niveau des sommes en jeu que concernant les irrégularités constatés. La première charge concerne des indemnités versées "pour travaux supplémentaires" à un officier par ailleurs logé par nécessité de service. Les charges 2 et 3 concernent des indemnités de sapeurs pompiers volontaires versées de manière irrégulière à des sapeurs pompiers professionnels en 2010. Il s'agit respectivement de 6981 euros et 13 440,99 euros.

Pour les quatrième et cinquième charges, les sommes s'affolent : 500 000, 200 000 euros… il s'agit là de paiement à la société Safety Center Training (SCT) pour la réalisation (et le rachat) d'un centre d'entraînement destiné à former les personnels des entreprises industriels aux risques technologiques et industriels. Or, la création de ce centre en 2008 est en soi une curiosité en termes de respect des règles des marchés publics. A l'origine, en 2007; il est présenté comme un partenariat public-privé entre le SDIS 13 et une société spécialisée dans la sécurité industrielle dans le but de réaliser un centre commun sur un terrain jouxtant la caserne des sapeurs-pompiers à Fos-sur-Mer. 

Urgences industrielles

Effectivement quelques mois plus tard, en mars 2008 une convention est soumise au vote du conseil d'administration. Elle lie le SDIS 13 et "la société Safety Center Training", aujourd'hui liquidée. La convention prévoit que le SDIS fournisse un terrain de 7000 m² attenant à la caserne de Fos-sur-Mer (dont le foncier appartient à la commune) tandis que la société apporte l'ensemble des installations et fournit une offre de formation sur le risque industriel dans le but de former le personnel du SDIS. Cette offre de formation s'appuie sur des méthodes américaines dont la société a l'exclusivité "en France, Espagne, Italie et Belgique". Elle est facturée 163 000 euros par le SDIS : "versement sur service fait". Curieusement, ladite convention est validée et la signature du président apposée alors même qu'aucun nom ne figure au-dessus de celle du représentant de la société.

Mais comme l'urgence prévaut toujours, en mai 2008, la convention est assortie d'un avenant qui modifie son article 3. Là encore, la tournure est pour le moins folklorique : "Afin de permettre l'exploitation rapide du Cireex compte tenu de la demande importante des entreprises et des besoins du SDIS 13, les partis conviennent que la société SCT réalisera, sur Ie terrain qui est mis à la disposition du Cireex par le SDIS 13, le terrassement, les dalles bétons et les réseaux incendie. Ces prestation qui seront réalisées directement par la société SCT feront l'objet d'une facture adressée au SDIS 13 qui la règlera". Là encore, la facture est payée rubis sur l'ongle sans que le conseil d'administration du SDIS ou le payeur départemental n'y trouve à redire.

En septembre, la chambre avait considéré dans son rapport que "cette convention s'apparentait à un marché public passé sans respecter les règles de liberté d'accès et d'égalité des candidats". Dans son jugement d'octobre concernant le comptable, elle réitère ses critiques et considère qu'il aurait dû refuser de payer les 202 160,68 euros correspondant aux travaux "sans que le périmètre de ces constructions et prestations ainsi que leur prix ne soit définis". Il est donc jugé débiteur de cette somme.

Travaux payés deux fois ?

La chambre parvient aux mêmes conclusions concernant la somme de 500 000 euros qui correspond cette fois-ci au prix de rachat de ce même Cireex par le SDIS 13 en 2010. En effet, comme l'indique la chambre dans son rapport sur la gestion du service incendie, la lune de miel avec la société SCT a brusquement cessé en 2010. Dans un rapport soumis au conseil d'administration, le SDIS souligne ainsi que "l'ensemble des travaux initialement prévus dans convention initiale (sic) n'a pas été entièrement terminé". Pire : "Le SDIS a pu constater que ses compétences internes et la qualifications de ses agents permettaient d'exploiter le Cireex sans le concours de la société SCT"

Mais comme la société a réalisé des travaux que le SDIS a payé avec l'argent public, le conseil d'administration décide tout de même de racheter ses installations à un prix ramené à cette somme rondelette d'un demi-million d'euros. Dans son rapport, la chambre souligne qu'il n'existe "aucun document, procès-verbal de réunion, relevé de décisions faisant état de négociations entre les parties" et estime plus loin que "le cadre contractuel ne prévoyait ni prix, ni modalités de détermination de celui-ci". Là encore, le payeur départemental a payé sans barguigner. Là encore, la chambre a jugé que sa responsabilité était engagée du fait de l'absence des pièces justificatives lui permettant de savoir s'il n'était pas en train de payer deux fois le même immeuble.

Remise gracieuse

Dans les faits, le comptable public désormais à la retraite ne paiera jamais les 700 000 euros dont la chambre l'estime débiteur. Outre qu'il peut interjeter appel devant la cour des comptes, "le système est régulé". Comme nous l'a indiqué le président de la chambre, "il va pouvoir demander une remise gracieuse au ministre des Finances. Il restera à sa charge de petites sommes". Mais cette décision judiciaire vient souligner les reproches graves que la chambre formulait en septembre dans son rapport sur la gestion du SDIS 13. Pourtant, lors du conseil d'administration qui examinait justement ledit document, certains administrateurs allaient jusqu'à minimiser la portée de la charge en moquant le faible nombre de pages du rapport (27) et le peu de recommandations formulées (4). Quelques semaines plus tard, le payeur public a payé le prix fort pour avoir effectué des paiements irréguliers suite à des actes eux-mêmes irréguliers pris par ces mêmes administrateurs.

Quant au fameux Cireex, il était également à l'ordre du jour du conseil d'administration de septembre. Le président du SDIS 13, Jean-Noël Guérini envisage désormais la disparition du centre, ou plutôt sa fusion avec l'école départementale des sapeurs-pompiers de Velaux dans le courant de l'année 2014. Il  recevra peut-être d'ici là la visite des gendarmes qui enquêtent à ce sujet pour le compte du juge Duchaine. Lequel, on le sait, est déjà fort occupé par d'autres affaires politico-financières.

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Commentaires

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  1. Richard Richard

    oups!! juste une remarque, deux petites phrases ont concentré trois fautes de frappe 🙂 Inhabituel!! 🙂

    “Outre qu’il peu(T) interjeté(ER) appel devant la cour des comptes, “le système est régulé”. Comme nous l’a indiqué le président de la chambre, “il va pouvoir demandé(ER) une remise gracieuse au ministre des Finances. Il restera à sa charge de petites sommes”. “

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  2. JL41 JL41

    On peut être bon en orthographe, mais il faut aussi s’améliorer en postant les commentaires. Un peu de patience, en ouvrant une fenêtre sur autre chose par exemple, pour que le commentaire ait le temps de passer dans les « tuyaux » un peu encombrés ce matin. Les commentaire multiples se multiplient et rendent inefficace l’affichage où l’on peut les choisir. Les gestionnaires du site pourraient d’ailleurs supprimer ces doublons.

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  3. JL41 JL41

    Moi aussi j’ai fait une faute, mais c’est à cause du clavier, depuis que j’ai posé le Bescherelle dessus. Pour ceux qui ont des insomnies : http://www.bescherelle.com/
    Pour égayer le sujet, je rappelle l’excellent commentaire de Zaqsa dans l’article précédent sur les œuvres de Maggi à propos de ses proches : « L’échelle des pompiers plus efficace que l’ascenseur social … ».

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  4. Candide Candide

    HHHHHHAAA, le statut de Comptable public…C’était un inspecteur des impôts qui m’y avait iniié, plein de rancune qu’il était de ne pas avoir plutôt passé le concours du Trésor : Comptable public c’est LE PIED. Outre qu’ils ne risquent ps grand chose comme démontré ci-dessus, ils se tapent des prîmes à faire rougir un douanier, primes précisément justifiées par…sa soit-disante responsabilitée, exhorbitante pour un fonctionnaire.
    Bon, allez, les dernières primes seront moins grosses et sa retraite de même, mais il serait temps qu’on remette à plat ces us et coutumes moyenageux.
    TOUT LE SYSTEME FRANCAIS EST PERCLUS DE CES RHUMATISMES, vouloir réformer est illusoire, même Sarko n’est pas allé bien loin quand il a voulu juste imaginer d’essayer : ‘pas touche au Trésor, Petit, le chef en Frââânce c’est la haute administration.
    Tenez-le vous pour dit, les Gueux.

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  5. Anonyme Anonyme

    monsieur B Gilles ronge l’os jusqu’à la moelle…

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