Le pompier Tayeb Kerboub ou la solitude du lanceur d’alerte

Portrait
le 25 Jan 2018
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(De nos archives) Cette nuit, le Mucem accueille un forum consacré aux lanceurs d'alerte. À cette occasion, Marsactu revient sur la trajectoire de Tayeb Kerboub, capitaine des sapeurs-pompiers qui tente depuis 8 ans d'obtenir un procès après avoir dénoncé des délits dans la gestion de sa hiérarchie.

Le pompier Tayeb Kerboub ou la solitude du lanceur d’alerte
Le pompier Tayeb Kerboub ou la solitude du lanceur d’alerte

Le pompier Tayeb Kerboub ou la solitude du lanceur d’alerte

Il s’appelle Tayeb Kerboub et vit depuis huit ans dans la peau d’un lanceur d’alerte. Avec tout ce que cela charrie d’espoir et de désillusion, de nuits blanches et de solitude. Par dessus, il porte l’uniforme de capitaine des sapeurs-pompiers au sein du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) des Bouches-du-Rhône. Depuis 2010, il y dénonce des manquements graves dont il a été témoin. Ses soupçons sur des délits d’ordre économique et financier ont notamment débouché sur la mise en examen de l’ancien président divers gauche du SDIS, ancien député et toujours maire de Velaux Jean-Pierre Maggi et de son directeur, le colonel Luc Jorda, “pour des chefs de favoritisme, trafic d’influence et détournement de fonds publics”. Huit ans après la saisine du procureur, l’instruction est toujours en cours.

Depuis septembre 2016, date à laquelle il a obtenu le soutien de Transparency International, partie civile dans ce dossier, nous avons décidé, avec son accord de dévoiler son identité. Nous avons fait ce que la déontologie nous interdit : donner le nom de celui qui nous informe. Nous l’avons fait et nous le refaisons aujourd’hui car Tayeb Kerboub a déjà tout subi. Le harcèlement, la mise au placard, les multiples plaintes à son encontre pour dénonciation calomnieuse. La plupart ont été classées. Portée par un subordonné, chauffeur du président et du directeur du SDIS, l’une d’elles a prospéré et l’amène aujourd’hui à être déféré devant le tribunal correctionnel.

Même pour se défendre sur ce cas précis, Tayeb Kerboub ne parle plus. Vous ne trouverez pas ici ses mots. Il espère seulement poursuivre sa carrière de pompier, voir grandir sa fille et travailler en paix. S’il s’impose ainsi le silence, c’est qu’il a déjà beaucoup parlé et écrit. Il a commencé par alerter sa hiérarchie quand il estimait que les règles de l’administration publique n’étaient pas respectées. On lui a alors fait comprendre qu’il devait se taire. Avec ses collègues Jean-Luc Frau et Bernadette Cailleux-Puggioni, ils ont publié un premier rapport remis au procureur de la République Jacques Dallest en 2010. En 2012, il complète ce premier rapport par un second rédigé cette fois-ci avec Jean-Luc Frau.

En uniforme dans le bureau du proc’

Ils y décrivent ce qu’il estime être des actes délictueux commis dans la passation des marchés publics notamment concernant le CIREEX, centre international de ressources et d’expertise, construit et géré en violation des règles encadrant les marchés publics. Ils dénoncent également les embauches préférentielles des citoyens de Velaux, la commune dont Jean-Pierre Maggi est maire, dont celle de sa propre compagne [lire notre article]. Autant de faits qui ont nourri un sévère rapport de la chambre régionale des comptes en 2013, donné corps à l’ouverture d’une information judiciaire et permis à l’OLAF, le service anti-fraude de la Commission européenne de demander, après enquête, le remboursement d’une subvention indûment perçue.

On pourrait saluer ici la saine réaction de l’État de droit dont tous les dispositifs d’alerte ont réagi. Pourtant Tayeb Kerboub a le sentiment d’avoir échoué. Froidement, quand il regarde les efforts fournis, les conséquences subies et le résultat, c’est ce sentiment d’échec qui domine. Huit ans après, les personnes incriminées n’ont toujours pas été renvoyées en correctionnelle. Ils le seront peut-être cette année ou la prochaine. Ce sentiment d’échec motive aussi son silence. Son collègue, Jean-Luc Frau, parle pour lui.

“Le 18 juin 2010, nous avons mis nos uniformes pour rencontrer le procureur, explique l’ancien commandant. Nous nous sommes même pris en photo devant le tribunal de grande instance”. L’entretien se passe bien, le procureur Jacques Dallest les reçoit et se dit convaincu de la gravité des faits qu’ils soulèvent. “Ils nous a renvoyés vers les gendarmes car il y avait un problème avec la police à ce moment-là. Les gendarmes nous ont entendus pendant 5 heures séparément. Ils ont pris au sérieux notre histoire”.

Retour de bâton

Ils ont ainsi respecté l’article 40 du code de procédure pénale qui oblige tout fonctionnaire à dénoncer les infractions dont il aurait connaissance. Ils ont aussi prévenu le préfet par fax de leur saisine du procureur. Il est l’autorité de contrôle de l’action du SDIS et du conseil général en matière d’incendie et de secours. “Nous avons rencontré Jacques Dallest en juin. En novembre, il transmettait notre rapport au préfet de l’époque, lequel a transmis le rapport que nous signions à notre direction”. Sans se soucier des conséquences.

Le retour de bâton est violent pour les trois signataires. Bernadette Cailleux-Puggioni est mutée. Tayeb Kerboub subit pressions, brimades et harcèlement de sa direction. Quant au commandant Jean-Luc Frau, il voit ressurgir des vieux dossiers. “Au début des années 2000, j’ai créé une société qui fournissait le SDIS. En contrepartie, ma société finançait un stagiaire, des colleurs d’affiche, distribuait des enveloppes. En 2005, j’ai mis fin à ce que je savais être des activités illégales. Pendant 5 ans, j’ai été payé à rien faire, contrepartie de mon silence. Mais quand j’ai vu ce que Tayeb subissait pour avoir ouvert sa gueule, j’ai décidé de prendre le risque de l’aider”.

À l’époque, Jean-Luc Frau prend le risque de voir ressortir les vieux dossiers et pense s’en tirer avec une sanction. “J’avais confiance en Dallest. J’avais aussi confiance dans le juge Duchaine qui avait en main l’affaire Guérini”. En décembre 2012, une perquisition a bien lieu au siège du SDIS 13, ce satellite du CG 13, pris dans la tourmente judiciaire. “Mais après cela, plus rien”. Au sein de la section de recherche de la gendarmerie, un seul homme suit leur dossier, qui n’avance pas. En 2013, Jean-Luc Frau est convoqué devant un conseil de discipline. Au bout de la procédure, il sera révoqué sans jamais pouvoir se défendre.

Déçu par l’alternance politique

Quant à Tayeb Kerboub, il poursuit sa croisade en solitaire. Il nourrit abondamment le magistrat de la chambre régionale des comptes, saisi par le procureur pour un contrôle du SDIS 13. Il rencontre aussi de nombreux journalistes dont l’auteur de ces lignes. De ce combat dans l’ombre, il obtient quelques victoires comme lorsque le trésorier payeur est sommé de rembourser les 700 000 euros du CIREEX puisqu’il a déclenché les paiements en faisant fi des irrégularités.

Mais ces victoires ne sont rien en regard des désillusions qu’il rencontre. C’est notamment le cas quand le rapport préliminaire de la chambre régionale des comptes, de 84 pages, ne tient plus qu’en 27 dans sa version définitive, élaguant au passage une grande partie de son apport au contrôle. Pendant des mois, il alimente Martine Vassal, administratrice du SDIS 13 et principale opposante de droite à Jean-Noël Guérini. Elle est élue à sa place en 2015, le SDIS 13 est désormais présidé par Richard Mallié (LR). Tayeb Kerboub ne voit pas vraiment sa situation évoluer et sa hiérarchie reste en place. Le colonel Jorda est parti à la retraite mais l’ensemble des cadres est toujours là contrairement à la “réorganisation” promise. Quant à l’ancien conseiller occulte de l’opposante, il a du mal à sortir de son placard.

“Les lanceurs d’alerte ne sont pas protégés”

Entre temps, le capitaine Kerboub a perdu une grande part de ce qui le construisait en tant qu’homme, en tant que fonctionnaire. Cet amour de la justice, des valeurs de la République, de tout ce que charrie le roman national qui l’a nourri durant son enfance. Il ne croit plus à la notion d’intérêt général, au formalisme de l’action publique. Il a perdu ses illusions en portant sa cause auprès de l’État sans jamais être entendu comme il l’attendait. “Le système est fait pour protéger ceux qui ont le pouvoir, constate Jean-Luc Frau. Les lanceurs d’alerte ne sont absolument pas protégés. Ils sont livrés à eux-mêmes, isolés.”

De cet isolement, Tayeb Kerboub a longtemps fait une force. À Fourques, la petite commune du Gard où il a grandi, sa famille d’origine berbère était la plus pauvre du village. Il parle avec émotion de l’odeur du toril, des courses camarguaises, de ce monde rude où la xénophobie et le racisme tutoient parfois l’amour des traditions. L’école est donc l’échelle salvatrice qui permet de s’élever.

Un service militaire chez les marins-pompiers

La fibre du pompier viendra plus tard. Il commence comme sauveteur en mer et se destine à une carrière dans la sécurité. Les deux se croiseront durant son service militaire. A Marseille, depuis la résidence Saint-Charles où il vit étudiant, il surplombe la caserne de Strasbourg où il voit un peu de la vie d’un poste de secours. Le choix se fait dans la foulée quand il décide de faire son service militaire au sein du bataillon des marins-pompiers. C’est là aussi qu’il se décide pour une carrière d’officier pour ne pas être comme ceux qu’il a vu en opération, surplomber les hommes en action, comme dans la peinture d’une bataille sous l’ancien régime. Apeès des études pousées jusqu’au master 2, il réussit le concours externe et devient capitaine des sapeurs-pompiers, en Gironde.

C’est donc bardé de diplômes, trilingue en anglais, français et berbère qu’il débarque dans les Bouches-du-Rhône, au SDIS 13, pour se rapprocher de ses parents et du pays d’Arles. A l’époque, on lui déconseille ce retour, le SDIS 13 et son directeur ont déjà une réputation. Dix ans plus tard, ce qu’il a traversé donne raison à ces mauvais augures.

Il cherche désormais à se reconstruire. Et à finir le mas arlésien dont le chantier dure depuis autant de temps. Retrouver foi en soi  et dans la maison commune.

Forum des lanceurs d’alerte, ce jeudi 25 janvier de 18 h à minuit au Mucem. Marsactu sera présent pour parler du “rôle des médias dans l’alerte”. Plus d’infos ici.

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Commentaires

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  1. Dark Vador Dark Vador

    La corruption, le clientélisme et la prévarication ont encore de très beaux jours devant eux. Il y a je crois quelques petites avancées concernant les lanceurs d’alertes mais dans ces dossiers, la justice suit apparemment son cours, mais sa lenteur extrême désespère le citoyen qui veut y croire, encore…

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  2. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Le capitaine Tayeb Kerboud défendait l’honneur de la République et de la Démocratie mais cela fait déjà longtemps que la France n’est pas une République ni une Démocratie quand bien même elle l’aurait déjà été.

    La soi disant protection des lanceurs d’alerte est un rideau de fumée comme de nombreuses affaires le montre.

    La justice et ses astuces de procédure est faite pour défendre des élus délinquant (qui paient souvent leurs avocats aux au frais du contribuable) et elle n’est pas prête d’acquérir son indépendance (cf. les options annoncées par Marcron & Co).

    Par conséquent il est nécessaire d’instaurer en France une véritable République fonctionnant démocratiquement.

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