Olaf l’Européen tacle le système de vidéo-surveillance en bois des feux de forêt

Enquête
le 1 Oct 2016
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En 2013, le service anti-fraude de la commission européenne débarque à Marseille pour contrôler le service incendie du département, bénéficiaire de subventions européennes. Ils s'intéressent à cinq caméras de détections de feu de forêts et aux irrégularités de leurs marchés publics. Marsactu vous livre le détail de leur rapport incendiaire.

Un homme regarde le feu se déployer en face de son quartier aux Pennes-Mirabeau cette nuit.
Un homme regarde le feu se déployer en face de son quartier aux Pennes-Mirabeau cette nuit.

Un homme regarde le feu se déployer en face de son quartier aux Pennes-Mirabeau cette nuit.

Nous l’appellerons Olaf. Ce fonctionnaire du service anti-fraude de la commission européenne (l’OLAF donc) ne porte évidemment pas un nom viking. Il n’a pas non plus de moustache afférente et de casque à cornes. Lui et certains de ses collègues sont venus visiter le service départemental d’incendie et de secours des Bouches-du-Rhône en 2013. Marsactu a eu l’occasion d’évoquer cette descente des gendarmes européens et la demande de remboursement des aides communautaires qui a suivi leur contrôle. Ils s’intéressaient en particulier à l’installation d’un système de détection de feux de forêts par vidéo-surveillance en divers points culminants du département pour lequel l’Europe a versé plus de 227 434 euros du fonds européen de développement régional (2007-2013).

Compte tenu ce montant global et des millions d’euros que le service incendie aurait dépensé pour installer ces caméras de 2005 à nos jours, le montant du redressement de 56 858,50 euros qu’Olaf recommande pour “les irrégularités” qu’il a constatées paraît un brin dérisoire. Il l’est encore plus quand on lit par le menu son rapport d’enquête. Les faits décrits sont graves. Ils pourraient même intéresser le juge Guillaume Cotelle qui instruit en ce moment un dossier concernant des marchés irréguliers passés par ce même service pour lesquels il a notamment mis en examen l’ancien président, député et maire de Velaux, Jean-Pierre Maggi, et l’ancien directeur aujourd’hui retraité, Luc Jorda.

Mais plantons d’abord le décor : les quelques 1500 hommes du service incendie du département protègent nos massifs forestiers au péril de leur vie. Les dramatiques feux de cet été et le prix qu’ils ont eu à payer illustrent parfaitement l’héroïsme dont ils savent faire preuve. Par juste retour des choses, ils bénéficient d’une opinion très favorable dans la population et d’un budget de près de 150 millions d’euros annuels pour mener à bien leurs missions. Mais ces deniers publics ne sont pas toujours dépensés dans le respect des règles des marchés publics. Pire, la légèreté coupable avec laquelle des centaines de milliers d’euros passent du coffre public vers des poches privées se doublent d’une certaine cécité des services de l’État chargés de les contrôler.

Cécité coupable

Lanceur d’alerte européen…

L’installation du dispositif Fire Watch dans divers points culminants du département et les irrégularités des marchés afférents fait partie des dossiers soulevés par le capitaine Tayeb Kerboub lors des rapports remis en 2010 et 2012 au procureur de la République par lui-même et deux de ses collègues. Ils ont également fait partie du champ d’investigation de la chambre régionale des comptes à la même époque pour être finalement retirés du rapport final. Quant à la section de recherche de la gendarmerie, elle n’a effectué aucun acte d’enquête sur le sujet. C’est ce qui a conduit le capitaine Kerboub à alerter le service anti-fraude de la commission européenne.

Une cécité qui concerne paradoxalement les yeux électroniques dont le SDIS 13 souhaitait se doter pour améliorer la détection précoce des feux de forêt avec l’aide financière de l’Europe, via le fonds européen de développement régional (FEDER). Le projet consistait en l’installation de 5 caméras visant “à déceler 100% des départs incendie dans les 5 premières minutes de leur survenance (…) dans une distance de 10 à 20 kilomètres” selon les termes de la demande de subvention à l’Europe. Celles-ci venaient compléter un dispositif de 11 caméras implantés à la suite d’une expérimentation lancée dès 2004 avec la société suisse Firewatch.

Or, si l’on en croit le gendarme européen, le marché de 2007 pour lequel une subvention européenne a été octroyée à titre rétroactif comporte des incongruités qui auraient dû déclencher des alarmes à tous les étages du siège de l’avenue de Boisbaudran (15e). Trois sociétés y concourent : la société Sogetrel associée à Firewatch, Paratronic et une société allemande. L’offre de cette dernière est jugée non conforme et rejetée dès l’examen des plis.

En revanche, celle de Sogetrel est jugée recevable alors même qu’elle est envoyée le 5 mars 2007 de Saint-Pierre d’Irube dans les Pyrénées-Atlantique et reçue le même jour par courrier à Marseille, date limite de remise des plis. Après un tel exploit postal, personne au Sdis ne s’offusquera du fait que l’offre est rédigée sur un papier à en-tête qui comprend le logo du SDIS 13. Quant au second concurrent, Paratronic, son offre stipule qu’il a nécessité de paramétrer son dispositif afin de l’adapter “aux spécificités géographiques du département”. Une adaptation qui nécessite plusieurs mois. Un détail…

Tests par grand vent

Peu importe puisque des tests grandeur nature sont tout de même organisés quelques jours plus tard. Olaf fronce un sourcil, peu dupe quand il détaille les conditions du test. Ces deux jours-là, il souffle un fort mistral bien froid sur le site de la vigie de Sainte-Baume où Sogetrel est testé, comme sur celui de Régagnas où Paratronic doit déployer sa caméra.“Ce qui rend peu plausible (…) la détection de 30 départs d’incendie”, commente le rapport d’enquête. Sur la vigie de la Sainte-Baume, Sogetrel réalise son test avec une caméra Firewatch déjà installée depuis 2005. Pendant ce temps, son concurrent découvre le terrain du Régagnas. Il finira par renoncer à effectuer le test pour les raisons exposées plus haut.

Les conditions réelles de ces tests ne pourront pas être vérifiées par l’Olaf puisqu’aucun “compte-rendu technique” des tests n’a été établi par le SDIS 13. Le gendarme européen se borne à relever que les performances demandées lors de ces tests ne sont pas les mêmes dans le rapport d’analyse des offres et dans le cahier de clauses techniques. Dans un cas, il s’agit de détecter “à plus de 90% d’occurrence des brûlages à 10 kilomètres et dans l’autre à 10 et 20 kilomètres en moins de 5 minutes”.

Les “irrégularités” ne s’arrêtent pas là. Une fois le marché attribué à Sogetrel, la publication au bulletin officiel exclut clairement le recours à un sous-traitant. Or, Sogetrel a très clairement présenté son offre avec la société suisse Fire Watch comme fournisseur exclusif des caméras et de leur maintenance. Le Sdis 13 était parfaitement au courant puisqu’il a payé certaines factures directement à son ami suisse de 2010 à 2012. Comme le conclut Olaf à la hache : “le marché était donc bien verrouillé“.

Mais la distribution de claques ne se limite pas aux seuls responsables du Sdis 13. Fin septembre 2013, les gendarmes européens se sont rendus en préfecture pour s’étonner de la faiblesse du contrôle de l’État pourtant en charge de la gestion des subventions FEDER. “Un certain nombre de mesures palliatives” doivent être prises en urgence, indiquent les enquêteurs.

La responsabilité des services de l’État

Ils se sont ensuite rendus à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) en charge de l’instruction, de la certification et du paiement du dossier de subvention. Malheureusement, les personnes responsables au moment des faits ont quitté la Dreal depuis. Les inspecteurs auraient bien aimé rencontrer la personne qui a instruit le dossier. “Nous n’avons pas pu joindre cette personne, en dépit de l’aide de la gendarmerie nationale”, se désolent-ils. Ils voulaient notamment savoir comment elle avait pu rédiger un rapport d’instruction en novembre 2012 ; c’est-à-dire après la certification finale du service fait, “sauf à admettre une rédaction a posteriori”.

De la même façon, ils s’étonnent que la même dame ait pu certifier la réalisation de l’investissement pour le compte de la Dreal, sans avoir aucune connaissance spécifique en surveillance des feux de forêt. Pire, elle a réalisé ce rapport essentiel pour que le SDIS 13 perçoive la subvention européenne en ne visitant que deux sites sur cinq. Pour le reste, elle s’est contentée des photos fournies par le SDIS 13. Quant à la personne de la préfecture qui l’accompagnait dans sa visite, elle n’était là que pour se former “aux opérations de certification”.

Dans leur visite à la préfecture, l’OLAF a également visité le service de contrôle de légalité (deux personnes et un stagiaire en 2007) qui a examiné 2954 marchés cette année là sur l’arrondissement de Marseille. Ils ont reconnu a posteriori que ce marché aurait au moins dû faire l’objet d’observations.

Quatre bandeaux noirs sur onze

Enfin pour couronner le tout, l’équipe de l’Olaf s’est rendue au siège du Sdis 13 pour constater l’état de fonctionnement du pupitre de commande des caméras. En octobre 2013, il n’y avait pas grand risque qu’ils voient le moindre incendie à l’écran. Ils ont pu constater que l’écran présentait “quatre bandeaux noirs” correspondant à quatre caméras hors d’état de fonctionner sur les 11 existantes. Pour le reste, le système leur a paru fonctionnel “dans la limite de leur compréhension du système” mais le SDIS 13 a indiqué qu’il nécessitait une vérification humaine systématique pour confirmer le risque et l’évaluer avant de déclencher l’alerte. Ils n’ont pas pu fournir la moindre statistique sur le nombre de primo-détection réalisées par ce système et les interventions qui y ont fait suite.

“Pour autant, le SDIS 13 était dans l’incapacité de chiffrer la contribution spécifique de ces caméras à 100 000 euros l’unité”, note le rapport en soulignant non sans fiel, que le SDIS 13 fait état d’un taux de détection de 100% des départs de feux dans sa communication. Le responsable du SDIS 13 interrogé par les fonctionnaires européens affirme que le dispositif contribue à fiabiliser la détection des feux, à la rendre plus précoce même s’“il n’est pas possible de mesurer de manière fiable la contribution intrinsèque de ce dispositif”. C’est ainsi que l’argent public part en fumée.

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Commentaires

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  1. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    “L’argent public part en fumée” ou plutôt il sert a enrichir des sociétés, en bon termes avec certains élus, qui vendent des matériels qui ne fonctionnent pas tout cela au détriment de la sécurité de la population.

    Dans le même temps, lorsqu’il s’agit de maintenir des services à la population et de lutter contre les inégalités ces mêmes élus nous disent qu’il n’y a pas d’argent.

    Par ailleurs, le silence du procureur de la république, alerté par un lanceur d’alerte, est vraiment surprenant et semble relever de l’art 40 du code de procédure pénale …
    de même le silence de la cour des compte qui a sans doute du être alertée elle aussi.

    Autant de dysfonctionnements scandaleux qui s’ajoutent les uns au autres avec une gravité accrue.

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  2. JL41 JL41

    C’est un bel exemple d’appel d’offre dévoyé et d’un fonctionnement inacceptable de la classe politique (sans vouloir généraliser), mais aussi de certains de ceux (je ne veux pas généraliser) qui sont sous leur autorité, ne les oublions pas. Peut-être moins exposés mais parfois plus cupides encore.

    Mais on ne se fait pas toujours une idée exacte de ce qu’est un appel d’offre, qui théoriquement nous protège de la gabegie. Il permet de cadrer le sujet et d’éviter au moins en partie les dépassements de coût. Ceux-ci ont plusieurs façons d’arriver après…

    Que le jeu ait été correctement joué ou qu’il y ait eu favoritisme, on aimerait au moins que le travail soit fait correctement et que l’administration (les fonctionnaires recrutés sur concours de l’Etat sont en général bons, pour les territoriaux, qu’il y ait concours ou non…) elle aussi fasse son boulot de contrôle. Sur ce coup même le préfet a été muet semble-t-il ?

    Les réponses à un appel d’offres sont très dépendantes de la qualité du cahier des charges, souvent en deçà de la réponse. Parfois le demandeur fait appel à une société spécialisée pour rédiger le cahier des charges.

    Il faut admettre qu’il y a dans la société civile, dans les entreprises, des compétences difficiles à mobiliser dans une institution publique, malgré ses grands effectifs et des talents parfois exceptionnels, mais rares. Je tire cela de 20ans d’expérience du métier. La collectivité ferait en interne une étude sur le sujet, dans la plupart des cas elle serait moins bonne que celle d’un prestataire qui en a déjà fait plusieurs, dans des contextes différents et qui passe son temps à perfectionner son art. Evidemment qu’il y a aussi de mauvais bureaux d’études. Il est aussi arrivé qu’on me mette derrière une Scoop, un bureau d’études qui a fait faillite, pour des raisons idéologiques. Alors que je sais que ma réponse était meilleure.

    Ce sont « les services » comme on dit qui rédigent les appels d’offre et leur cahier des charges. On est confronté là aux limites des agents : culture insuffisante, pas grande connaissance d’autres théâtres d’opération comparables, incapacité de penser à tout.

    Ces services peuvent aussi recevoir des consignes, venues de l’entourage de grands élus, ou de la crème des tutelles privées ou publiques. La connaissance que nous avons des enjeux est faible, les savoirs et ses références interprétatives ne sont pas les mêmes entre nous ici et « plus haut ». Et que dire de la population qu’il faut informer avec pédagogie, si l’on ne veut pas que ces électeurs se transvasent tous au FN qui n’a évidemment pas de solutions crédibles ou acceptables.

    Il y a des prestataires avec lesquels on ne veut pas travailler, parce qu’ils on beau promettre, ils ont mal travaillé avant ou ailleurs. Il peut y avoir aussi une volonté d’ouvrir davantage au hors Marseille et là les services ont un certain pouvoir. Les grands élus et les hauts représentants des tutelles ne sont pas des cons, il y a des dialogues en confiance.

    Ce sont ensuite les services qui établissent les grilles de notation. Plusieurs candidats restent en général en lice au terme du processus où un jury, auquel participent les élus, fera le choix du lauréat. Voyons le cas de l’italienne Paola Vigano pour la Plaine. Associée à un « local » un cas de figure assez courant observé aussi pour la tour de Saadé.

    Après, il faut suivre le chantier. Je suppose que pour sa Grande Forme le port a été très exigeant dans son appel d’offre, il semble que ça a été pour ce type de travail le meilleur choix (qualité et sécurité). Mais le suivi a-t-il été à la hauteur ? Les boulons doivent être correctement serrés sur tous ces rails.

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  3. leravidemilo leravidemilo

    Tout semble bien en panne, et en même temps, dans ce pays : – Des tests privés de comptes rendus techniques. – Des rapports écrits avant la chose rapportée et antidatés… – Des bandeaux noirs sur les écrans. – Des fonctionnaires mutés et restant introuvables, malgré la contribution de la gendarmerie…? – Un service de contrôle de légalité à 2,5 “contrôleurs pour 3000 contrôles/an. – Des lacunes dans le rapport final de la cour des comptes ! – La gendarmerie n’effectuant aucun acte d’enquête, durant plusieurs années (ce capitaine Kertoub a bien du mérite) … et tout à l’avenant…
    Bon, rien de tel qu’un bon article de Marsactu pour se remettre (d’un seul coup d’un seul) dans le bain après un petit voyage hors des terres bucco-rodhaniennes , qui n’ont rien perdu de leurs relents de marigot. Pas de doute, on est bien arrivés! Bon, pour ce pauvre Olaf, par contre, ça a du lui faire drôle… Risque pas de revenir, le scandinave!

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