Faute de dialogue, la grève des femmes de chambre de l’hôtel NH s’enlise

Actualité
le 24 Mai 2019
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Plus de quarante jours de grève et toujours pas d'accord entre les 11 femmes de chambre grévistes de l'hôtel NH boulevard des Dames (2e) et leur sous-traitant Elior. Sous l'oeil de policiers présents au quotidien au pied de l'immeuble, la crise prend une ampleur inédite.

Jeudi matin, avant que les grévistes ne soient dispersées par la police.
Jeudi matin, avant que les grévistes ne soient dispersées par la police.

Jeudi matin, avant que les grévistes ne soient dispersées par la police.

C’est le 43e jour de grève. L’entrée principale de l’hôtel NH Collection est habillée de confettis de papier journal. Un mot signé de l’établissement 4 étoiles invite ses clients à emprunter la porte du restaurant. “Juste à gauche”, indiquent les sept policiers nationaux dépêchés sur place à l’adresse des visiteurs désorientés. La surveillance des forces de l’ordre est devenue quotidienne devant l’hôtel boulevard des Dames (2e).

Ce jeudi 23 mai, aux alentours de midi, du renfort rejoint la patrouille. S’enchaînent alors sommation de dispersion et saisie du matériel des grévistes. Un employé de l’hôtel procède au nettoyage de la devanture protégé par cordon policier. “On n’a jamais vu ça à Marseille”, souffle Lara Schäfer, juriste à la CNT-SO, syndicat libertaire qui s’est fait une spécialité des luttes des femmes de chambre. Quelques instants plus tard, elle et sa consœur Camille El Mhamdi sont embarquées puis placées en garde à vue au commissariat de Noailles. Libérées dans la soirée, elles seront à nouveau convoquées en octobre pour délit de “maintien d’un attroupement en dépit d’une sommation”.

Les conflits opposant les femmes de chambre et leurs employeurs se sont multipliés ces dernières années à Marseille. Une situation dont se lavent les hôteliers qui confient à des sous-traitants les taches de ménage, comme nous l’expliquions en 2016 après des grèves à l’Intercontinental et au Radisson Blu (lire notre décryptage). Mais il est rare que ces mobilisations s’enlisent, comme c’est le cas cette fois à l’hôtel NH Collection. Il est tout aussi rare, s’indignent les membres de la CNT-SO mobilisés, qu’une présence policière soit imposée quotidiennement à seulement quelques mètres des grévistes. Et ce, depuis presque le début de la mobilisation.

Astreintes et rappels à la loi

Une semaine après le début de la grève, l’employeur des femmes de chambre avait assigné les grévistes devant le tribunal de grande instance de Marseille pour tenter de stopper la grève. L’entreprise, Elior Services, a repris la sous-traitance au NH Collection en décembre dernier. Dans son ordonnance du 29 avril, le tribunal a autorisé la poursuite du piquet de grève, mais prononcé des astreintes financières de 100 euros si jamais la grève venait à “empêcher d’une manière quelconque l’accès des biens, services et personnes à l’hôtel”. Enfin, début mai, suite à des plaintes de l’employeur et de plusieurs commerces voisins, quatre grévistes et deux soutiens ont reçu un rappel à la loi pour “délit d’agression sonore”.

Depuis, les concerts de casseroles ont cessé, mais pas les revendications : paiement d’heures complémentaires effectuées, treizième mois, dimanche majoré à 50% contre les 20% actuels, augmentation de qualification… Contacté, Jérôme Bourbousson, directeur des opérations chez Elior Services, assure être “le premier à souhaiter trouver un arrangement” et rappelle que “les femmes de chambre sont 11 à être en grève, sur 24 en tout”. L’homme a pris part aux trois rencontres organisées avec les grévistes, sans succès : “elles ne veulent négocier qu’avec la CNT-SO à leur côté, mais ce syndicat n’est pas représentatif. Sans syndicat [représentatif au sein de l’entreprise, NDLR] dans la boucle, on ne s’en sort pas. Nous le regrettons, car à titre personnel, je sais que le métier est dur et je comprends les filles.”

“J’ai 20 ans et j’ai déjà le dos cassé”

“Les filles” ont 20, 22 ou 26 ans. Elles sont nées, pour beaucoup, au Cap Vert ou en Tunisie. Elles sont employées à temps partiel, gagnent 800 ou 900 euros par mois et rêvent parfois d’une autre vie : secrétaire, assistante maternelle, esthéticienne. “Avant qu’Elior ne prenne la sous-traitance, je gagnais en moyenne 200 euros de plus”, affirme la toute jeune Denise, qui travaille à NH Collection depuis son ouverture en 2017. “Le hall tout propre que vous voyez là, c’est moi qui l’ai nettoyé à la fin du chantier !” sourit-elle. “En théorie, je fais du 14h-19h. En vérité, je ne sais jamais à quelle heure je vais sortir. On doit faire une quinzaine de chambres, on nous parle mal et on est livrées à nous-mêmes. Le résultat, c’est que j’ai 20 ans et que j’ai déjà le dos cassé.”

Comme Denise, Nascimento, mère célibataire de 22 ans, affirme que son employeur lui doit des heures complémentaires : “j’ai un contrat à 25 heures par semaine, comme d’habitude, mais depuis décembre j’ai perdu beaucoup de salaire. Il y a une vraie différence. Je me sens esclave, je n’ai jamais connu ça. Je peux travailler 8 heures sans pause.” C’est la norme dans ce type de conflit social : les femmes de chambre se plaignent d’être payées “à la tâche”, c’est-à-dire au nombre de chambres selon les jours. Une variable qui se répercute fatalement sur l’heure de sortie… mais pas toujours sur les salaires.

Au centre, Denise, 20 ans.

Ainsi, la réclamation d’heures impayées tient une place centrale dans le conflit. Jérôme Bourbousson reconnaît “des erreurs sur les premières fiches de paie, mais réglées depuis”. C’est pourquoi lors de la dernière réunion le 17 mai, Elior a cru approprié de proposer aux grévistes la mise en place d’“entretiens individuels pour régler les incompréhensions de bulletins de salaire”, explique le directeur. Du côté du CNT-SO, chez qui plusieurs grévistes se sont syndiquées, Lara Schäfer assure que “nos premiers calculs laissent clairement apparaître des heures manquantes. Mais ça, c’est une chose que nous réglerons si besoin aux prud’hommes. La principale revendication de la grève, c’est l’augmentation des salaires.”

Médiateur et délégation à Madrid

Concernant la revalorisation salariale et le treizième mois, le sous-traitant renvoie aux accords de branche. “Il est courant que l’entreprise sous-traitante soit frileuse à négocier. C’est pourquoi généralement, c’est la direction de l’hôtel qui finit par mettre la pression pour trouver un accord”, analyse Lara Schäfer. Or, les responsables de l’établissement sont muets depuis le début de la grève, tant auprès des grévistes que de la presse, Marsactu compris.

Cette situation inédite, dans sa forme et sa durée, a convaincu les militants du CNT-SO d’envoyer début juin une délégation au siège de NH Hôtel à Madrid pour tenter de les associer aux négociations. Du côté d’Elior, on se félicite d’avoir accordé certaines nouveautés aux employés comme un repos de deux jours consécutifs ou l’achat d’une badgeuse pour le pointage. Mais le dialogue reste rompu. Si bien que le sous-traitant s’est résolu, la semaine dernière, à faire appel à un médiateur. De quoi cristalliser les espoirs de sortie d’une crise pour le moment bien installée au pied de l’hôtel de luxe.

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Commentaires

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  1. Happy Happy

    Merci marsactu, continuez à mettre dans la lumière le courage de ces jeunes femmes, le mépris de leurs employeurs et la dérive sidérante du droit et des autorités publiques qui inventent des délits aberrants pour réprimer les luttes sociales : délit dattroupement, agression sonore, on voudrait en rire si il n’y avait pas une violence concrète des institutions.

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