Bras de fer autour du relogement des derniers habitants de la Renaude, cité à l’abandon

Reportage
le 21 Fév 2024
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La cité de la Renaude, dans le 13e arrondissement, est promise à la démolition. Son bailleur social, Habitat Marseille Provence a relogé la majorité de ses habitants dans les cités alentours. Mais treize familles refusent toujours de partir, insatisfaites des propositions de logements dans des quartiers qu'elles jugent dangereux.

Les derniers habitants de la cité attendent d
Les derniers habitants de la cité attendent d'être fixés sur leur futur lieu de vie. (Photo : AA)

Les derniers habitants de la cité attendent d'être fixés sur leur futur lieu de vie. (Photo : AA)

“Chez moi, il fait froid, humide et ça sent mauvais”, maugrée Yamina Amara, retraitée de 70 ans. Dans le salon de cette habitante historique de la Renaude (13e), une longue entaille balafre le plafond. Autour de la cicatrice, la peinture est gonflée et forme de petites cloques. Les murs, naguère blancs, sont tachés de traces jaunes ou rouges et de champignons noirs. En mai 2023, un dégât des eaux au plafond a provoqué l’inondation de la pièce de vie de l’appartement situé au troisième étage. “Mon frère Nordine qui vit avec moi est venu me réveiller à quatre heures du matin. On marchait dans plus de dix centimètres d’eau”, raconte Yamina Amara. Après avoir nettoyé la pièce, la résidente a contacté son bailleur social, Habitat Marseille Provence (HMP). Mais, depuis, aucune réparation n’a été engagée.

Lors des averses du 9 février dernier, la pluie s’invite de nouveau chez elle. Des bassines, serviettes et serpillères traînent encore dans les coins, témoins du découragement de leur propriétaire. “Des fois, je me mets à crier et à pleurer toute seule”, confie-t-elle, à bout de nerfs. La septuagénaire a commencé récemment à prendre des médicaments contre les problèmes respiratoires et se plaint d’avoir des difficultés “à cause de l’humidité” du logement.

Une fissure sur le plafond de Yamina Amara attend d’être réparée depuis des mois. (Photo : AA)

Je n’allume plus le chauffage. C’est tellement humide que ça ne sert à rien”, explique-t-elle. “Dès qu’il y a un peu de soleil, j’ouvre toutes les fenêtres pour réchauffer l’appartement”. D’autres taches d’humidité sont également visibles dans les sanitaires, la cuisine ou encore la chambre. L’une des canalisations de la salle de bain est rouillée et fuit. Le 17 février dernier, après être rentré en contact plusieurs fois avec HMP, son fils Morad Laroussi a décidé de saisir Michaël Sibilleau, le préfet délégué pour l’égalité des chances des Bouches-du-Rhône.

Une cité historique des quartiers nord de Marseille à l’abandon

Yamina Amara habite depuis 1968 dans la résidence Renaude. “J’ai grandi ici, je suis allée à l’école ici et je me suis mariée ici !”, assène-t-elle fièrement. La cité des quartiers Nord dans laquelle elle a élevé cinq enfants n’a maintenant plus rien de semblable à celle qu’elle a connue. Livrée en 1965 à HMP, la Renaude et ses 111 appartements étaient majoritairement habités par des familles algériennes comme la sienne. En contrebas, un bidonville où résidaient des gitans sédentarisés a été remplacé à la fin des années 80 par des logements individuels regroupés sous le nom de résidence Hérodote. Sur les clichés du photographe Gilles Favier, datés de 1992, les deux communautés semblent vivre ensemble, en plutôt bons termes. Au fil des années, la vitalité du quartier a disparu, en même temps que la majorité des habitants. La cité vit à l’écart, enclave de pauvreté au milieu des petites villas de Saint-Jérôme.

En novembre 2022, lors d’une réunion d’information, Habitat Marseille Provence fait part aux habitants de sa volonté de détruire la Renaude pour y installer un nouveau projet immobilier. Progressivement, les locataires partent d’eux-mêmes ou sont relogés dans des cités environnantes. Depuis deux ans, le bailleur social n’accepte officiellement plus de nouveaux résidents. Actuellement, sur les cinq bâtisses que compte la résidence, deux sont définitivement fermées. Mais treize familles habitent toujours dans ceux restants. Dans le bâtiment de Yamina Amara, les logements des locataires partis ont été murés.

Le local du bailleur, aujourd’hui muré comme de nombreux appartements. (Photo : AA)

À chaque étage, les visiteurs sont accueillis par des portes dont on ne peut passer le pas. Dans le couloir, la retraitée a installé un encens contre les odeurs d’humidité, donnant l’impression que l’immeuble est toujours habité. De l’extérieur, la cité semble tout aussi abandonnée. Des vitres manquent aux fenêtres de certains appartements, laissant entrer le vent dans les bâtiments encore occupés. La loge d’HMP est aussi murée. Seul le miaulement de chats sauvages vient briser le calme général.

Des solutions de relogement refusées par les habitants

“Je ne partirais pas tant que je n’aurais pas une bonne solution de relogement”, affirme cependant Yamina Amara. HMP lui aurait proposé une option sur les trois légalement obligatoires : les Oliviers. Une cité confrontée à des problèmes de violences, liées au trafic de drogues, dont la retraitée a peur. Elle se dit “traumatisée” des règlements de compte survenus à la Renaude en 2021 et ne souhaite plus vivre dans un contexte similaire. Son frère, Nordine Amara, 62 ans, s’est vu proposer deux logements dont un aux Oliviers. Deux offres qu’il rejette pour les mêmes raisons que son aînée.

Yamina Amara dans sa chambre, où elle garde un stock de serviettes en cas de dégât des eaux. (Photo : AA)

Thérèse Nabet, elle, a peur pour son fils. Âgée de 45 ans, cette aide à domicile élève seule ses quatre enfants. Le bailleur social lui aurait proposé un logement aux Oliviers et à Frais-Vallon. Selon elle, son fils de 18 ans a déjà travaillé pour des dealers et a été arrêté. “Je ne veux pas qu’il recommence en étant là-bas”, avoue la mère inquiète avant de se promettre : “Mon fils ne deviendra pas un teneur de murs !” Depuis deux ans, elle connaît aussi des problèmes d’infiltration. De la moisissure est apparue dans sa cuisine à cause de l’humidité de son logement. “Il y a trois mois, j’ai décidé d’aller vivre chez ma cousine. Notre foyer commençait à être insalubre”, commente-t-elle en montrant des photos de son appartement. Thérèse Nabet affirme qu’elle acceptera de déménager quand HMP lui fournira “des propositions convenables”.

Un permis de démolition inexistant

Patrick Pappalardo, président du conseil d’administration d’HMP, le reconnaît : “Il faut que les gens partent vite pour vivre dans des situations plus confortables. On va démolir donc forcément on ne fait pas de rénovations”. Concernant les propositions de relogement, il assure que les cités Frais-Vallon, Oliviers et Rosiers sont les seules où HMP a “de la place”. Mais précise qu’il a sollicité l’aide de deux autres bailleurs sociaux pour présenter d’autres solutions aux mécontents.

Lors du conseil municipal, ce vendredi, l’élu de secteur (GRS), Sami Benfers, a soulevé le problème d’insalubrité rencontré par les habitants, en interpelant la métropole, dont dépend le bailleur. L’adjoint au maire chargé du logement, Patrick Amico, a aussi adressé un courrier à HMP en début de semaine pour rappeler que la mairie ne lui avait pas accordé le permis de démolition de la résidence. “Nous avons accordé en 2019 une autorisation qui ne concerne qu’Hérodote, pas la Renaude. HMP a pris la décision seul de reloger toutes ces personnes”, explique l’élu à Marsactu. “Nous ne bloquons pas la démolition, mais demandons à ce qu’un projet clair nous soit présenté”, ajoute-t-il tout en précisant que le permis sera donné “si les familles sont relogées au mieux et au plus vite”.

Des arguments que nuance Patrick Pappalardo. “Depuis le début de ce projet, nous sommes en discussion avec la Ville”, affirme ce dernier. Le président du conseil d’administration d’HMP confirme que le permis de démolition a été rejeté par la mairie de Marseille en octobre 2023 et, qu’entre-temps, le relogement a déjà commencé selon “la procédure normale dans ce genre d’affaires”. Le bras de fer qui s’installe pourrait se desserrer à l’occasion d’une réunion entre le bailleur, la Ville, la métropole et l’État, annoncée pour le 4 mars prochain. Mais le débat pourrait rebondir dès ce jeudi à l’occasion du conseil de métropole.

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Commentaires

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  1. Vincent Squale Vert Vincent Squale Vert

    Pour que l’État et les partenaires soient saisis de ces situations il faudrait que les locataires fassent un signalement de leurs logements sur la plateforme Histologe.

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