Au pied des lettres Marseille, le parc Foresta laissé à l’abandon

Info Marsactu
le 24 Juin 2023
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Moins de deux ans après la reprise de Foresta par une association réunissant tous les acteurs du projet, le parc est à l'abandon. Les divisions internes ont fait fuir les structures. La Ville de Marseille envisage de récupérer le terrain.

La buvette du parc Foresta a pris feu mi-juin. (Photo : CMB)
La buvette du parc Foresta a pris feu mi-juin. (Photo : CMB)

La buvette du parc Foresta a pris feu mi-juin. (Photo : CMB)

Victoire, c’est le nom de la vache qui se traine seule au beau milieu de Foresta. Niché sur les hauteurs de Grand littoral, le parc du 15e arrondissement s’est transformé en décor de western. Au verger, les herbes folles prennent le dessus. Du côté de l’entrée, la buvette a pris feu. Sous une colline qui supporte les grandes lettres “Marseille”, deux colosses que rien ne pourra perturber s’entrainent à la boxe. Un chien fait la garde pour eux. Les vitres de containers autrefois aménagés sont brisées. Autour d’un bassin de rétention sans eau, trois ou quatre caravanes se sont installées là et des personnes précaires les ont choisies comme domicile. Tous les autres sont partis.

En 2016, l’association nationale Yes We Camp avait signé une convention d’occupation temporaire avec pour projet d’implanter ici des activités ludiques et écologiques. Petit à petit, le terrain de 16 hectares s’était peuplé d’associations, structures solidaires, ranch, verger et ferme pédagogiques. En 2022, Yes We Camp a donné les clés aux acteurs de terrain, réunis en association. Ce passage de témoin avait suscité un espoir nouveau : le parc allait-il enfin appartenir aux habitants du quartier ? Une année aura suffi pour qu’il soit abandonné. Selon nos informations, il ne resterait que deux occupants officiels : la ferme pédagogique, d’où la présence Victoire la vache, et le jardin pédagogique. C’est dans ce contexte très incertain que la Ville a fait savoir sa volonté de récupérer le terrain.

Victoire, la vache, peut profiter du grand espace sans être dérangée. (Photo : CMB)

La vague de départs commence à l’été 2022. Chadly Karamane, propriétaire du ranch, s’en va dans la nuit avec ses chevaux. Le contexte est trouble. Le ranch est accusé par la SPA de maltraitance animale. L’équipe se voit aussi reprocher par le conseil d’administration de ne pas respecter le règlement. Selon plusieurs de nos interlocuteurs, des personnes dorment au ranch chaque nuit. C’est interdit. Mais pas sans avantage : le parc Foresta était ainsi surveillé 24 heures sur 24. Avec le départ du ranch, d’autres personnes, plus précaires mais aussi plus marginales, et donc moins appréciées par l’association, vont investir les lieux.

Des tensions permanentes

Au sein du conseil d’administration de Foresta, on commence à s’inquiéter du manque de “sécurité”. Mais au-delà de cette problématique, le dialogue entre les acteurs est déjà presque rompu. Une entrepreneure marseillaise, partie cet automne, se souvient de “tensions permanentes. À l’époque de Yes We Camp déjà, il y avait du mécontentement, l’impression que le projet n’était pas tourné vers les habitants. Quand l’association Foresta a repris le terrain, tout s’est amplifié.”

Comme nous l’avions révélé en janvier 2022, le nouveau conseil d’administration avait pour ambition de réunir tous les acteurs du projet. On y retrouvait un ancien membre de Yes We Camp, le propriétaire du ranch, le directeur du centre social de La Viste, la présidente du CIQ, une élue de la mairie de secteur… En clair, des personnalités d’horizons différents avec comme objectif commun de créer une gouvernance horizontale. Sans grand succès.

“Certains voulaient que les locataires du parc soient au cœur des décisions, poursuit notre source. D’autres préféraient passer la main aux centres sociaux, ou à la Ville… Quoi qu’il en soit, on était nombreux à vouloir un projet tourné vers les habitants. Mais ce n’est pas la direction qui a été prise. Et les conflits ont fait que rien n’avançait”, poursuit cette porteuse de projet, qui a donc résilié son bail. Sur l’année 2022, au moins trois partenaires ont abandonné leur siège au conseil d’administration. Auxquels il faut ajouter les nombreuses structures qui ont tout bonnement quitté les lieux. Les personnes contactées par Marsactu regrettent une gestion “hors-sol”, de nombreux “conflits internes” et pointent le propriétaire du parc, Gurvan Lemée et sa société Mall95, soupçonné de ne pas vouloir “avoir affaire aux habitants du quartier”. Sollicité, ce dernier n’a pas répondu à nos appels.

La fin de l’association Foresta

Rim Mathlouthi, ancienne journaliste désormais responsable associative, nommée à la tête du conseil d’administration de Foresta, reconnaît être une “amie” de Gurvan Lemée et de sa compagne, qui dispose également d’un siège. “Mais j’espère que tout le monde fait bien la différence entre l’amitié et le business. J’ai une grande expérience en gestion de projets et en levées de fonds, c’est pour cela qu’on m’a appelée”, déroule cette dernière.

La présidente de l’association rêvait de faire du parc “un incubateur de start-up tournées vers la transition écologique”.

Mais selon Rim Mathlouthi, rien ne s’est passé comme prévu. Et la raison de cet échec serait avant tout financière. La présidente de Foresta explique s’être battue pour obtenir des subventions et avoir “tenu bénévolement, à bout de bras”. Le projet qu’elle avait imaginé était ambitieux, quoiqu’il ait fait très peu parler de lui : faire du parc “un incubateur de start-up tournées vers la transition écologique”. Installation de panneaux photovoltaïques, ateliers autour de la mobilité douce et de l’alimentation… Au total, Foresta avait planifié un budget de 220 000 euros annuels. Qui n’a jamais pu être atteint.

“Nous, on est en train de préparer la fin de l’association Foresta”, conclut Rim Mathlouthi. Celle qui est aussi présidente de l’association tunisienne de permaculture, tout en étant établie à Strasbourg, n’ignore pas être la cible de certaines critiques. “On me reproche de ne pas vivre ici, mais on ne peut pas me reprocher d’être une bobo parisienne”, se défend-elle, en ajoutant avoir “payé de [sa] poche tous les billets d’avion à chaque déplacement à Marseille”.

Projet de parc municipal

Si l’association Foresta prépare la fin du projet, qui en prendra la suite ? La question reste suspendue, mais elle suscite des convoitises. Contactée, la maire des 15/16 Nadia Boulainseur confirme à Marsactu une rumeur qui s’est récemment répandue sur les collines de Foresta : oui, “un projet de récupération dans le domaine public” est bel et bien “en cours de discussion” avec le propriétaire du parc.

La maire de secteur n’a jamais caché ses réserves quant au projet actuel. Lors du conseil d’arrondissement de septembre dernier, elle invitait déjà le propriétaire à “rétrocéder à la Ville ce parc”, l’accusant de ne pas avoir les pieds sur terre“. Dissuadée par Samia Ghali, la maire-adjointe, élue des 15/16, la Ville avait alors renoncé à voter une subvention de 30 000 euros à l’association. Deux mois plus tard, la somme était finalement octroyée.

Depuis début juin, de la terre est déversée sur une parcelle du parc Foresta. (Photo : CMB)

L’annonce d’un possible retour dans le domaine municipal coïncide avec la survenue d’un évènement troublant sur le parc. Depuis une quinzaine de jours, des camions de chantiers défilent. La parcelle qui jouxte le magasin Leroy Merlin est peu à peu transformée en grande terrasse de terre. Personne, sur place, ne sait pourquoi. Interrogée, la maire des 15/15, Nadia Boulainseur, qui suit le dossier Foresta de près depuis des années, n’en sait pas plus.

Ce jeudi matin, la terre déversée par les camions de chantier se tache de quelques gouttes de pluie. Le parc est désert. Géraldine Billon, voisine à l’origine d’un cercle de discussions citoyennes, Perspectives 2023, a été témoin jour après jour du délitement de Foresta. Elle plaide pour un projet “horizontal” et surtout “coopératif” porté par les habitants. En attendant, elle fait partie de ces figures familières du parc qui, sans jamais avoir été au cœur des décisions, connaissent tous les conflits qui les ont animées. À l’inverse de Kader* qui, croisé devant une caravane à Foresta, parle poliment de la pluie et du beau temps mais surtout pas du parc, surtout pas du propriétaire, par peur “d’avoir des problèmes”. Voilà deux facettes d’un même usage informel, devenu la norme ici.

Ce jour-là, des SUV étincelants sont alignés sur un chemin de terre. Une série policière se tourne pour TF1 avec Marseille en décor, au pied des grandes lettres blanches. En contrebas, il ne reste que les deux boxeurs et le chien, la vache Victoire et les autres animaux, moutons, poules, paons et le gérant de la ferme pédagogique. Entourés, faute de projet concerté, d’une nature qui reprend lentement ses droits.

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Commentaires

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  1. LOU GABIAN LOU GABIAN

    Comme toujours ces associations vertueuses mais toujours bancales décident a la place de la population et en leur nom
    LE seul objectif : obtenir des subventions : bon pourquoi pas
    Si ca n arrive pas ca se disloque

    CE qui a de marrant ces anarcho subventionniste se retrouvent souvent comme les tontons macoutes des sphères de la mairie quelque soit la couleur

    Il y a bien longtemps que ca ne sert plus de lieu d’expérimentation

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    • RML RML

      Oui…enfin…c’est pas parce que ça existe que toutes les associations sont comme ça…et sinon? Plus d associations ? Rien que des entreprises ?

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  2. polipola polipola

    Vous voyez, Lou Gabian, c’est exactement à cause de gens comme vous que rien ne changera jamais. Oui, il y a des assos qui n’aspirent qu’à pomper des subventions sur le dos de certains territoires. Mais il y a aussi des assos qui, incroyablement, se démènent avec très peu de moyens au regard de la tâche, même si ce peu, ce sont des subventions. Et croyez moi que dans le cas du Parc Foresta, c’est exactement ce qui s’est passé de 2016 à 2021.

    Mais ça, il faudrait un peu prendre le temps de le constater et c’est sûr que ça prend plus de temps que de juger.

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  3. Alceste. Alceste.

    “un incubateur de start-up tournées vers la transition écologique”.
    Le mot magique est lâché: start up.
    Et encore ,le préfixe “eco” n’est pas employé.
    Et pourtant,notre ex journaliste,ex présidente avait un beau projet à mener,le chichi fragile écologique de l’Estasque.
    Des terrains à disposition pour la culture du blé, mais il est vrai que le blé sous forme de subventions, cela est moins fatiguant que de le semer.Des huiles de vidanges des bateaux estaquéens à recycler en huile de fritures, mais cela risque de polluer. Dommage, pour ce projet.
    Mais ne soyons pas inquiets, ces professionnels de l’associatif se recaseront facilement, après tout les copains politiciens sont là pour cela.

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Transition écologique avec une présidente qui fait Strasbourg-Marseille en avion

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    • polipola polipola

      Hahaha j’avoue j’ai bien ri aussi

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    • Simon Moré Simon Moré

      C’est clair, le coup de l’avion ou comment se decredibiliser en 2 lignes… Aucune société/start-up ecolo ne voudra etre associée a ca…

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  4. Alceste. Alceste.

    Fregi et pas fragile,quoique c’est une denrée périssable.

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  5. Fabienne Fabienne

    Ça serait un endroit magnifique pour une zone jardins potager pour les habitants de l’arrondissement, avec 16 hectares ils peuvent en faire des centaines. Les locataires de jardins s’occuperont de garder le terrain en état. Ça seule augmenterait l’attractivité du quartier.

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    • Andre Andre

      Oui, soyons modestes. Des “start up” tournées vers l’écologie, ils pourraient peut-être en parler à Macron qui est de passage à Marseille…
      Plus sérieusement, de l’air de la nature des jardins potagers partagés, pourquoi pas? C’est ce qui manque à ces quartiers bétonnés, comme à tant d’autres à Marseille. Cessons donc ces “prises de tête” intello qui finissent en terrain vague. Personnellement, mais je ne veux pas en faire une généralité, je me méfie de ces assos qui courent les subventions pour satisfaire les élucubrations des quelques dirigeants qui les noyautent.
      La Ville de Marseille voudrait récupérer le terrain ? Ce n’est peut-être pas la plus mauvaise solution en l’état actuel des choses. Mais il faudra qu’elle apprenne à gérer ses espaces verts dont beaucoup sont à la ramasse quand ils ne sont pas fermés. Cette municipalité, pas plus que la précédente, n’a jusqu’alors guère brillé dans le domaine.

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  6. petitvelo petitvelo

    étonnant que ce soit épargné par les narcos , manque de sorties de secours ?

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    • polipola polipola

      On peut peut-être imaginer, je ne sais pas hein, que certains ont fait le taff pour que ça soit animé, protégé, préservé.

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  7. Alceste. Alceste.

    André, vous avez totalement raison.
    Que veulent les gens ,ce que l’on appelait dans le temps des “jardins ouvriers ” ou “jardins partagés “aujourd’hui pour passer du bon temps, assouvir une passion et cultiver son jardin et aussi se faire des fruits et légumes.Et en plus création de liens sociaux.
    Nul besoin de réflexions de pseudo intellectuels. La vraie écologie c’est celle là Le 1/4 de la subvention demandée par la présidente ecolo aviatrice serait suffisante pour réaliser un truc vraiment utile.

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