Vladimir Vochoc, le discret diplomate qui sauvait des vies sous l’occupation nazie
Une plaque rend désormais hommage à ce héros discret de la lutte contre la barbarie nazie. Au côté de Varian Fry, le consul de la Tchécoslovaquie à Marseille a permis à des milliers de personnes de quitter l'Europe où ils risquaient la mort. Retour sur un destin hors du commun.
Photo de Vladimir Vochoc lors de son séjour à Marseille. (Crédit : Archive personnelle d'Adam Hajek)
Uniformes kakis et casquettes vissées sur le crâne, une section de cuivre entame quelques mesures de l’hymne tchèque, au coin d’une rue de Marseille. Elle enchaîne avec celui de la Slovaquie puis La Marseillaise. En cet après-midi d’hiver, sur la petite place Varian-Fry, au pied du consulat américain, Vladimir Vochoc accède enfin à une forme de reconnaissance officielle, 86 ans après y avoir débarqué comme consul de Tchécoslovaquie, à Marseille.
Sur la scène installée par la mairie de Marseille, un dessin stylisé évoque le visage aux lunettes cerclées de fer de ce héros discret. Désormais, une plaque rappelle l’action essentielle de ce diplomate dans la capitale provençale, de 1938 à 1941. Armé de son courage et de ses tampons, il a contribué à sauver des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants fuyant la barbarie nazie parce que juifs, homosexuels, artistes ou résistants.
“Aujourd’hui, nous écrivons enfin son nom, nous dessinons enfin son visage. À l’heure où partout ressurgissent les idées criminelles de haine et de division“, insiste le maire de Marseille Benoît Payan, dans son discours, en référence aux bombes qui grondent en Israël, en Ukraine. “La guerre est aujourd’hui en Europe“, rappelle en écho l’ambassadeur tchèque, Michal Fleischmann, appelant chacun à devenir “les Vladimir Vochoc de notre temps“. Avant lui, son homologue slovaque, Jan Soth, a rendu hommage à ce fils d’un pays disparu qui “ne s’est pas égaré dans le dilemme entre être moral et loyal, pour se placer du bon côté de l’Histoire“.
Après tant d’années “à sommeiller dans l’oubli“, il trouve ainsi une juste place dans l’Histoire de Marseille. Avant cela, en 2016, le mémorial Yad Vashem l’a élevé au nom d’Israël au rang “de Juste entre les nations pour avoir pris des risques importants pour sauver des juifs en situation de grand danger“, comme 25 000 autres héros, souvent méconnus.
Le tampon comme une arme
“Ce n’était pas un héros romantique, idéal, positif, souligne la femme de son neveu, venue à Marseille, pour l’hommage municipal. Il était plutôt impulsif et se disputait fréquemment avec son père et ses frères. Il détestait être dérangé quand il savourait une tasse de café. Avec ce style de vie, il n’est pas étonnant qu’il ait fini par épouser Alice, une jeune femme française”.
Né un 14 juillet 1894 dans une famille qui voue un culte à la République, Vladimir Vochoc est déjà un diplomate accompli quand il débarque à Marseille le 2 mai 1938 comme consul de la Tchécoslovaquie. L’Europe s’apprête à basculer dans la Seconde guerre mondiale. Son pays est en première ligne face à l’expansion nazie. Un an plus tard, les accords de Munich achèvent de le disloquer, entre un état croupion en Slovaquie et un protectorat allemand, en Bohème-Moravie.
“Consul d’un pays qui n’existait plus”
“Il est alors devenu le consul d’un pays qui n’existait plus“, sourit Lenka Hornakova-Civade, romancière tchèque de langue française qui, avec La symphonie du nouveau monde (éditions Alma), a offert une postérité romanesque à Vladimir Vochoc. Dans ce roman paru en 2019, elle redonne avec exactitude une voix à ce diplomate. “C’était un bon juriste, un homme très articulé qui sait ce qu’il fait, raconte l’autrice qui, elle aussi, à fait le voyage jusqu’à Marseille pour l’hommage officiel. Il refuse de se rendre aux autorités allemandes. Pour lui, son supérieur n’est pas à Prague, mais à Londres où s’est installé le gouvernement en exil de la Tchécoslovaquie“.
Alors que son pays a été disloqué par le régime nazi, Vladimir Vochoc parvient à conserver l’aura d’un diplomate à Marseille.
Il conserve avec lui les tampons et les documents officiels, essentiels à la charge. Dans un premier temps, il vient en aide aux brigadistes tchécoslovaques qui fuient l’Espagne après la victoire franquiste. Après l’entrée en guerre de la France, en 1939, il s’efforce d’aider ses compatriotes et, plus largement, tous ceux qui fuient le régime nazi. Après la débâcle, il s’apprête à quitter son poste quand il apprend qu’une zone libre va être créée dans le Sud de la France. Il décide donc de rester à Marseille pour y poursuivre son travail de diplomate.
“À l’époque, il reçoit le soutien des autorités préfectorales à Marseille et notamment du préfet des Bouches-du-Rhône, André Viguié, raconte Lenka Hornakova-Civade. Ils auraient très bien pu le remettre aux Allemands qui sont déjà présents à Aix. Mais, au contraire, le préfet le reconnaît en tant que consul officiel de la Tchécoslovaquie. Il lui remet même à ce titre des bons d’essence. Vladimir Vochoc s’en félicite, même s’il n’a pas de voiture“.
Au côté de Varian Fry, il ouvre les voies de la liberté
Officiellement, son pays n’existe plus et pourtant le diplomate multiplie les passeports. Comme d’autres compatriotes avant lui, le journaliste américain Varian Fry vient d’arriver à Marseille en août 1940. Au nom de l’Emergency rescue commitee, il s’est donné pour mission de sauver les centaines d’artistes et intellectuels qui cherchent à quitter l’Europe. Pour cela, il a besoin de papiers officiels. Le bureaucrate fantôme fournit ainsi des centaines de passeports dont Varian Fry finance l’impression.
“Comme le papier vert manquait, les passeports qu’ils font imprimer à l’époque le sont sur du papier rose, sourit la romancière. Il y a donc plusieurs centaines, peut-être des milliers de ces passeports qui permettent à des personnes de toutes origines de fuir l’Europe, via l’Espagne et le Portugal. Malheureusement, on en a perdu trace“.
Sans ressources depuis la disparition de la Tchécoslovaquie, Vladimir Vochoc fait payer lesdits passeports en fonction des ressources des demandeurs. Mais le document n’est qu’un des rouages de la mécanique bureaucratique nécessaire pour recouvrer la liberté.
“Il faut, pour quitter la France, un passeport en règle, un titre de séjour, un visa de sortie, un autre pour traverser l’Espagne et entrer au Portugal, énumère Lenka Hornakova-Civade. C’est la force du tampon. Il a 20 ans d’expérience en tant que diplomate. Il sait où trouver les bons bureaux. Il se rend plusieurs fois à Vichy. Il est aidé en cela par Edmonde Charles-Roux, dont le père François a été ambassadeur de France à Prague et qui est alors en poste à Vichy. Avec la comtesse Lily Pastré, elle fait partie du réseau de Varian Fry“.
Consulat “en liquidation”
Comme son consulat n’a plus d’existence officielle à Marseille, Vladimir Vochoc a l’idée de se déclarer en liquidation. “Quand on lui demandait combien de temps allait durer cette liquidation, il disait qu’il ne savait pas, raconte l’écrivaine. Il y avait en lui une capacité à déjouer la réalité, qui correspond bien à la culture de l’absurde, typiquement tchécoslovaque“.
On ne sait pas combien Vladimir Vochoc a créé de passeports durant la longue année de liquidation du consultat de Tchécoslovaquie. On évalue à 2500 les personnalités sauvées par le réseau de Varian Fry. Parmi celles-ci, certaines ont reçu le précieux document du consul Vochoc, d’autres ont été aidés par ses homologues portugais, brésilien, panaméen ou roumain. En 1941, le diplomate perd ses appuis à la préfecture. Il est arrêté par les autorités françaises et placé en résidence surveillée en Corrèze. De là, il parviendra à s’enfuir à son tour en empruntant la même route de l’exil. Il rejoint alors le gouvernement tchécoslovaque à Londres.
En prison derrière le rideau de fer
Mais ce destin héroïque ne le tire pas d’affaires. Pour son pays qui a basculé dans le giron communiste, l’activisme au service de la liberté est synonyme de traîtrise. “Ils l’ont accusé d’avoir délivré des documents officiels contre de l’argent, raconte Lenka Hornakova-Civade. Mais comme cela ne suffisait pas, il a fallu inventer un mensonge et dire qu’il avait voulu trahir son pays“. Condamné à 13 ans de prison, il restera six ans dans les geôles communistes. Il faudra attendre les années 1960 pour que son honneur soit lavé. Il mourra en 1985, dans l’anonymat.
Mais encore aujourd’hui, il reste un héros méconnu. Il a vraiment frôlé l’oubli.
Lenka Hornakova-Civade
Il faudra attendre les années 2000 pour que son rôle durant la guerre soit reconnu dans son propre pays. La Tchéquie lui décerne alors le titre d’ambassadeur honoraire. “Mais encore aujourd’hui, il reste un héros méconnu, poursuit l’écrivaine. Il a vraiment frôlé l’oubli. C’est un attaché culturel à l’ambassade de Tchéquie qui m’a parlé de lui pour la première fois en me disant que c’était là un personnage de roman“. Le diplomate a eu vent d’un travail universitaire, un mémoire de maîtrise, rédigé par Adam Hajek qui, pour la première fois, en 2009, retrace ce destin hors du commun.
Il y a quelques mois, à Marseille, les consuls honoraires de la Tchéquie et de la Slovaquie sont venus ensemble taper à la porte de la mairie pour que Vladimir Vochoc trouve enfin une reconnaissance officielle dans une ville où il a œuvré au service de la liberté.
Commentaires
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Félicitations d’avoir mis en avant ce diplomate tchèque trop méconnu!
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Très intéressant ! Merci de mettre à l’honneur cet homme, le réseau Varian Fry (si peu connu à Marseille malgré son importance), et ce pays martyrisé par les nazis, la Tchécoslovaquie.
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c’est bien, il était temps.
il reste dans l’histoire le souvenir de la “villa air bel” réfuge du réseau varian fry, malheureusement démolie pour construire la cité.
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Merci pour cet intéressant article. Il comporte cependant une approximation surprenante sur l’actualité internationale lorsqu’il est écrit : « en référence aux bombes qui grondent en Israël, en Ukraine ». En effet les bombes grondent bien davantage en Palestine. Voir le site des Nations Unies : « Alors que les bombardements israéliens « intenses » sur Gaza se sont poursuivis lundi et les groupes armés palestiniens ont tiré des roquettes sur Israël, les agences humanitaires de l’ONU ont indiqué que plus de 25.000 personnes ont trouvé la mort dans l’enclave depuis le début de la guerre, le 7 octobre. » ( https://news.un.org/fr/story/2024/01/1142507 )
Et il n’y a plus de consul de quelques nation que ce soit avec des tampons pour faire sortir les palestiniens de Gaza …
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Merci !
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Merci ,
Vous sauvez l’ Honneur des français !
Bombes sur la Palestine !
Insoutenable pour un français !
les français n’oublient rien , ni le passé ni le présent !
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Dans la même veine des diplomates en poste à Marseille qui se sont distingué pourrait être cité le consul de Colombie en poste à Marseille en 1947.
Ce consul délivra des visas pour la Colombie aux juifs désirant s’embarquer sur l’Exodus à Sète.
Cette manouvre avait pour but de tromper les Britanniques en faisant croire que la destination officielle était la Colombie.
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Ce monsieur avec toute son entregent a fait plus que ceux qui sont au pouvoir à Marseille.
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Il y a toutefois une erreur dans le titre : ce n’est pas sous l’occupation nazie qui a débuté le 11 novembre 1942 pour la zone sud, mais sous le régime de Vichy, un régime “de chez nous”.
Ce dernier était très collaborationniste et globalement “à la botte” des allemands mais l’époque était un peu moins dangereuse que sous le régime nazi, ce qui n’enlève rien à son mérite.
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Pasca L ,votre correctif est tout à fait pertinent et mets en exergue des approximations historiques qui me gênent un peu, et même beaucoup.
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Il y a des hommes qui font honneur au genre humain, Vochoc en fait partie – et malheureusement d’autres beaucoup moins…
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