Vente du couvent des Prêcheurs : le coup de pression de l’Église sur la Ville d’Aix

Enquête
le 11 Mai 2022
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La Ville d'Aix-en-Provence cherche à vendre l'ancien couvent des Prêcheurs, depuis 2017. L'église de la Madeleine, jouxtant ce monument historique, est venue compliquer la sélection des candidats. Les trois-quarts des projets ont été recalés faute de respecter ces conditions.

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L'église de la Madeleine et l'ancien couvent sur la place des Prêcheurs à Aix. (Photo : ML)

L'église de la Madeleine et l'ancien couvent sur la place des Prêcheurs à Aix. (Photo : ML)

C’est la dernière ligne droite dans le feuilleton de la vente de l’ancien couvent des Prêcheurs. Deux candidats présentent ce mercredi 11 mai leurs projets pour la reprise de ce monument historique de 7000 mètres carrés en plein centre-ville d’Aix. Leurs noms ont été dévoilés par le média spécialisé TPBM en avril. D’un côté, l’entreprise du numérique One point avec l’architecte Corinne Vezzoni et de l’autre le promoteur Coffim en collaboration avec Christophe Gullizzi.

Depuis l’ouverture de l’appel à projets en mars 2021, la vente de ce bien par la Ville d’Aix-en-Provence suscite la convoitise des investisseurs. Plus d’une centaine d’entre eux ont manifesté un intérêt, 22 dossiers ont finalement été déposés pour 20 retenus.

À l’origine, la municipalité a élaboré un cahier des charges ouvert, se contentant d’exclure les projets composés exclusivement de logements. Dans une délibération du conseil municipal du 12 juillet 2021, la Ville assume ce choix pris pour “ne pas prendre le risque, en raison d’a priori trop marqués, de rater un projet exceptionnel”. Toutefois, une grande partie du travail de sélection a été influencée par la question du lien entre les projets et l’église de la Madeleine.

Une sortie de secours pour l’église

Cet édifice religieux est fermé depuis 2006 pour travaux. Mais sa réouverture, avec la fin du chantier, est attendue dans les prochaines années. L’appel à candidatures exige ainsi que les projets présentent une “aptitude à s’insérer dans l’environnement, notamment cultuel (église de la Madeleine)”.

Ce qui sous-entend par exemple de prendre en compte la galerie Sud, qui relie l’édifice religieux à l’ancien couvent. Cette dernière sert de déambulatoire, mais aussi de sortie de secours à l’église. Elle bénéficie à ce titre d’une affectation cultuelle permanente selon la loi de 1905. Elle est ainsi rattachée à l’édifice religieux.

La municipalité demande donc aux repreneurs de rédiger une note écrite présentant plusieurs éléments de son projet, dont des éléments indiquant que ce dernier ne “porte pas atteinte à la destination de l’église de la Madeleine”. L’avis d’appel à candidatures, qui évoque ce sujet à plusieurs reprises, précise que “la cession de cet espace se fera sous condition suspensive de déclassement”, c’est-à-dire en retirant l’affectation cultuelle de la galerie.

L’accord de la préfecture et du diocèse d’Aix-en-Provence et d’Arles est nécessaire pour obtenir ce déclassement. Or, le diocèse est totalement opposé à cette hypothèse. “Le libre exercice du culte n’était pas l’objet de ce concours d’architectes”, souffle Michel Desplanches, vicaire général du diocèse d’Aix-en-Provence et d’Arles. Ce blocage a été à l’origine de l’exclusion de la plupart des projets.

Le vicaire invité de la commission de cession

Les repreneurs imaginaient qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient de ce couloir.

Michel Desplanches, vicaire

Michel Desplanches est venu exprimer son opinion sur la vente de l’ancien couvent des Prêcheurs devant la commission de cession. Celle-ci, qui l’avait invité, souhaitait “avoir son sentiment et éviter de se mettre le diocèse à dos”, résume un témoin à Marsactu. Cette intervention a lieu lors de la dernière réunion, à la toute fin du processus de sélection.

Invité à prendre la parole, l’homme d’Église a rappelé aux membres de la commission le principe juridique d’affectation cultuelle et les règles concernant le déclassement. “Nous nous sommes rendus compte que les personnes n’étaient parfois pas au courant de cet élément”, commente-t-il auprès de Marsactu“Les repreneurs imaginaient qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient de ce couloir”, s’insurge-t-il en évoquant les pistes une par une. Certains candidats l’ont contacté pendant la préparation de leur dossier. Mais le diocèse n’est pas forcément en phase avec toutes les propositions. “Certains publics ne sont pas faits pour se croiser. Le diocèse ne voudrait pas avoir une terrasse de café à côté d’une église”, résume un membre de la commission.

À l’occasion de la précédente procédure de vente, le diocèse avait déjà exprimé cette position à la municipalité. En 2019, Christophe Dufour, l’archevêque d’Aix-en-Provence et d’Arles, acceptait pour sa part, dans une lettre adressée à la maire de l’époque, Maryse Joissains-Masini la possibilité d’une “désaffectation”. Mais il demandait toutefois “qu’un plan détaillé des espaces soit soumis au préalable à son accord afin qu’il n’y ait pas de confusion dans leur délimitation”.

À l’époque, cette cession se faisait sans appel d’offres au profit de la création d’un musée Picasso, mais le projet est abandonné en 2020. La Ville avait préalablement envisagé par en 2014 “que ce bien soit destiné pour partie à l’usage du diocèse, d’Aix-Marseille université et à une crèche”, sans suite.

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De nombreux projets écartés

Les réserves émises au sujet de ce couloir par le vicaire ont impacté les discussions de la commission de cession. D’autant plus que “plus de la moitié des projets expliquaient vouloir s’en servir pour un tout autre usage”, raconte un membre de la commission.

“Ce n’était pas le point essentiel sur lequel les candidats s’étaient penchés”, regrette un autre membre de la commission. Certaines offres ont donc été jugées incompatibles juridiquement avec ce critère. Et les repreneurs utilisant la galerie Sud sans prendre en compte son affectation cultuelle ou sans accord avec le diocèse ont été exclus de la sélection. Selon un membre de la commission, ce sont “trois-quarts” des dossiers qui sont donc tombés aux oubliettes pour cette raison, sur les vingt qui étaient examinés.

L’hypothèse du ministère de la Justice
En parallèle, l’État s’intéresse aussi à cette cession. Le média TPBM et La Provence ont annoncé que le ministère de la Justice lorgne sur ce site avec une lettre d’intention émise à l’intention de la maire afin d’y installer plusieurs services judiciaires.
“Il y a bien une lettre d’intention envoyée par le ministère de la Justice, mais elle ne constitue pas un engagement”, confirme le cabinet d’Éric Dupond-Moretti contacté par Marsactu. “Nous sommes dans une phase très en amont du projet, ce n’est qu’une piste, nous précisent les équipes du ministre. Il y a un bâtiment disponible, le ministère note qu’il est disponible pour des locaux. Bien des étapes sont encore à prévoir.” Il s’agirait peut-être d’une solution de secours tombée à point nommé pour la Ville d’Aix.

Le choix final revient à Sophie Joissains

L’enjeu est donc grand pour les deux candidats lors de cet oral du mercredi 11 mai. En plus de prouver qu’ils ne vont pas porter atteinte à l’église de la Madeleine, ils devront convaincre la commission de cession sur leur capacité à financer la reprise et l’avenir de ce lieu si important pour les Aixois. Autre question sensible, celle du maintien de l’ouverture au public, défendue par des associations du quartier. Après avoir vu les projets retenus, le comité d’intérêt et d’animation de quartier Place Comtale a déjà déploré qu’aucun dossier ne prenne en compte “l’appropriation de l’espace par les publics et surtout les Aixois”.

Sollicitée, la Ville d’Aix-en-Provence n’a pas souhaité répondre à Marsactu, indiquant que “la procédure de vente du couvent des Prêcheurs est en cours. Tout communiqué, avis ou commentaire de la part de la mairie peut compromettre le déroulement de cette procédure.”

Pour connaître le nom du repreneur de l’ancien couvent des Prêcheurs il faudra attendre le prochain conseil municipal. La maire d’Aix-en-Provence, Sophie Joissains aura le dernier mot. “Nous voulons un projet emblématique pour la ville d’Aix-en-Provence, sinon nous n’irons pas jusqu’au bout et il n’y aura pas de cession”, a prévenu la maire à l’occasion du conseil municipal du 7 avril.

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