Après 33 ans d’histoire, Retravailler Provence ne veut pas disparaître

Actualité
le 19 Sep 2017
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Forte de 48 salariés, l'association Retravailler Provence - aujourd'hui Grand Sud-Est- est en redressement judiciaire depuis près d'un an. Porteuse d'une longue histoire de lutte pour l'accès aux droits pour le travail des femmes, cette structure pourrait disparaître. À moins que le projet de reprise de certaines de ses salariées parvienne à convaincre le tribunal de grande instance.

Après 33 ans d’histoire, Retravailler Provence ne veut pas disparaître
Après 33 ans d’histoire, Retravailler Provence ne veut pas disparaître

Après 33 ans d’histoire, Retravailler Provence ne veut pas disparaître

En ce début de semaine, le hall du 28 allées Léon-Gambetta bourdonne comme une ruche à l’approche de l’hiver. Les stagiaires entrent et sortent, un café à la main. Mais cette vitalité apparente est loin d’être une vérité commune à tous les étages. Plusieurs structures vivent dans ce bâtiment dont elles partagent en partie les lieux de vie. Le plus célèbre -et plus récent- de ses locataires est Jean-Luc Mélenchon qui a installé une antenne de la France insoumise au second étage. Juste au-dessus, au 3e, les salariées ont le bourdon.

Depuis décembre 2016, Retravailler Provence, association qui opère dans le champ de la formation et de l’accompagnement à l’emploi, est en redressement judiciaire. Ce n’est pas la première fois que la structure traverse ce type de trou d’air mais cette fois-ci le couperet n’est pas loin avec le risque de la voir démembrée, reprise à la découpe par un ou plusieurs repreneurs. Avec 47 salariées qui ne savent pas de quoi demain sera fait. “À l’issue de la première période d’observation de six mois, l’administrateur judiciaire a lancé un appel d’offres de reprise, explique Raymond Bano, président de l’association. À partir de là tout est possible. Soit un repreneur fait une offre globale pour l’ensemble des activités, soit il n’y a que des offres partielles qui ne conservent que les secteurs plus rentables de l’activité.”

Une histoire de femmes

Avec cet appel à repreneur qui se termine le 29 septembre, c’est une histoire particulière de l’économie sociale et solidaire en Provence qui pourrait s’éteindre. “Retravailler Provence appartient à un réseau national constitué de 90 centres en France, explique Catherine Leclercq, salariée de la structure provençale. Le premier de ces centres a été créé en 1974 par Évelyne Sullerot, une sociologue du travail, féministe, fondatrice du Planning familial, qui a beaucoup œuvré pour l’émancipation des femmes notamment par l’accès au travail et à la formation”. Disparue en mars, la fondatrice du réseau a très tôt créé une méthode d’orientation professionnelle adaptée au bassin d’emploi, qui sert encore de matrice à celles qui animent la structure aujourd’hui, 35 ans après la création de Retravailler Provence.

“Aujourd’hui encore, 97 % des salariés de la structure sont des femmes, souvent des femmes seules, cheffes de famille, explique Faïza Bourega, déléguée CGT au sein de l’association. Cela fait partie de notre identité car notre cœur de métier continue d’être l’accompagnement à l’emploi et la formation des femmes, des populations de toutes origines, des personnes en situation de handicap”.

Une offre portée par onze salariées

Le 29 septembre, onze de ces salariées “et cette fois-ci, 100% de femmes” espèrent présenter une offre de reprise pour faire durer cette histoire, “en préservant les valeurs que nous défendons depuis le début et la qualité de notre travail”, espère Catherine Leclercq. Mais la route n’est pas simple : une fois réunie l’ensemble des sommes disponibles via les dispositifs Pôle emploi destinés aux créateurs d’activité, il manque encore environ 150 000 euros à trouver pour consolider le projet de reprise et voir venir.

Quelles que soient les valeurs qui la portent, Retravailler Provence s’inscrit dans le champ de la formation professionnelle et de l’accompagnement vers l’emploi, un secteur économique extrêmement concurrentiel et en mutation constante. Et cette histoire particulière, à l’origine, n’a eu de cesse de subir les à-coups de changements politiques et institutionnels successifs.

La fin des contrats d’autonomie

“Un des premiers gros trous d’air a été le non renouvellement de ce qu’on appelait à l’époque le contrat d’autonomie, destiné au jeunes de 16 à 35 ans, issus des zones urbaines sensibles, explique Dorothée qui travaillait sur ce dispositif avant d’être licenciée puis de revenir à Retravailler. Ce contrat était une des mesures du Plan Espoir Banlieue lancée par Fadela Amara, la ministre de la Ville.” L’objectif était alors de remettre sur le chemin de l’emploi 45 000, puis 60 000 jeunes qui en étaient très éloignés.

Au final, en 2012, au plan national, seuls 41 000 jeunes ont signé un contrat d’autonomie ouvrant la possibilité d’un accompagnement puis d’une formation qualifiante. Et sur ces 41 000 jeunes, seuls 4 sur 10 ont trouvé un emploi ou une formation, généralement les plus diplômés. Le dispositif est donc abandonné par le gouvernement Hollande, notamment au profit de la Garantie Jeunes, porté par les missions locales. Et Retravailler Provence débute sa dégringolade.

De Provence vers le Grand Sud-Est

“Nous avons été placés en redressement judiciaire en 2013, raconte Faïza Bourega. À l’issue de la période d’observation d’un an, l’association a mis en place un plan de continuation.” À l’époque, le conseil d’administration table sur un développement géographique tous azimuts pour capter de nouveaux contrats. Après le Var et les Bouches-du-Rhône, Retravailler s’installe dans le Vaucluse puis Rhône-Alpes. “En Rhône-Alpes, il y avait l’opportunité de reprendre les activités d’un autre centre Retravailler en cours de liquidation”, détaille Faïza Bourega.

L’association monte rapidement au-delà des 100 salariés et devient Retravailler grand Sud-Est (RGSE). Une fuite en avant qui se solde, au final, par un échec et un gros trou de trésorerie. Les administrateurs se tournent alors vers une société coopérative d’intérêt collective (SCIC) qui regroupe plusieurs acteurs de la formation sous une même structure chapeau.

Fusion-absorption à la sauce coopérative

En adhérant à cette société, baptisée Arborescence puis Co-Eco, Retravailler Provence change de conseil d’administration. A partir de janvier 2016, ils sont désormais majoritairement issus de la SCIC. C’est le cas de l’actuel président Raymond Bano. “Pour être très clair, les administrateurs de Retravailler sont venus nous voir en novembre 2015, alors qu’ils faisaient face à de graves difficultés de trésorerie. Le risque de liquidation était réel, détaille le président. Ils ont donc adhéré à notre groupement, ce qui leur a permis de mutualiser une grande partie des frais fixes. Nous avons également injecté 300 000 euros en avance de trésorerie qui devaient nous être remboursés à l’issue des dispositifs en cours.” En effet, les financements publics obtenus dans le cadre d’appels d’offres ne sont soldés qu’à l’issue des formations ou des cycles d’accompagnements avec parfois de gros décalages à la fois dans le temps et dans les sommes attendues.

Cette période correspond également à un changement politique, notamment à la tête de la région qui décide de ne pas financer la dernière année des Etaps, cycle de formation destinés aux personnes les plus éloignées de l’emploi (lire notre article). “Mais ce n’est pas la seule raison, précise Colette Bellet, vice-présidente de Retravailler et présidente de Co-Eco. Entre les comptes présentés en novembre et les comptes réels que nous avons pu avoir six mois plus tard, il y avait un vrai écart.”

1,7 million de dettes

Ce n’est donc pas 300 000 mais 650 000 euros que la société coopérative aura injecté en un an. “Le principe qui prévaut dans notre mouvement est la solidarité entre coopérateurs, reprend la présidente. Mais nous ne pouvons pas mettre en danger la situation de 200 salariés pour 47 d’entre eux.” Car avec l’arrivée de Co-Eco puis la mise en redressement judiciaire, Retravailler a vu partir nombre de salariés en contrat à durée déterminée, passant de 80 à 48 emplois. “Certaines activités arrivant à terme, nous ne pouvions pas renouveler les CDD, explique Raymond Bano. De plus, la structure étant en redressement judiciaire, elle n’avait plus le droit de concourir à de nouveaux appels d’offres publics”. Au final, la dette cumulée s’élève à 1,7 millions d’euros.

Une somme dont pourra s’affranchir un éventuel repreneur, y compris si le projet est porté par des salariées. Mais l’envol de ce phénix dépend en grande partie de leur volonté de poursuivre l’aventure. Associative, coopérative ? La question n’est pas tranchée. C’est sur ce fil tendu que se poursuivra ou pas l’aventure de Retravailler.

Actualisation le 19 septembre à 16 h 23 : le dépôt des offres de reprise a pour date limite, le 29 septembre.

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