Malgré une décision de justice, RTE traine des pieds pour réintégrer un salarié handicapé

Enquête
le 1 Mai 2024
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En juin dernier, Marsactu révélait que la filiale d'EDF avait été condamnée en appel à réintégrer un salarié marseillais en situation de handicap après un licenciement jugé discriminatoire. Plusieurs mois après, le technicien est rémunéré, mais sans affectation ni activité. L'entreprise s'est pourvue en cassation.

Un des bâtiments de RTE à Marseille, dans le 8e arrondissement. (Photo : Google street view)
Un des bâtiments de RTE à Marseille, dans le 8e arrondissement. (Photo : Google street view)

Un des bâtiments de RTE à Marseille, dans le 8e arrondissement. (Photo : Google street view)

Ce devait être la fin d’un combat de cinq ans pour Martin Serre. Le 26 mai dernier, il pensait pouvoir retourner dans l’entreprise qui l’embauchait depuis 2017, RTE, après un parcours du combattant pour contester en justice son licenciement pour inaptitude en raison de son handicap. En effet, en 2018, après un diagnostic le reconnaissant comme dyslexique et dysorthographique, en plus de problèmes d’audition déjà connus, son employeur avait mis fin à son contrat. Mais près d’un an après cette victoire judiciaire, il n’a toujours pas repris le travail au sein de la filiale d’EDF chargée du transport d’électricité.

Pourtant, son employeur lui avait envoyé une lettre indiquant qu’il avait pris connaissance de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et l’informant de sa réintégration à son ancien poste de technicien maintenance de données. Mais depuis lors, Martin Serre est dispensé d’activité. Comprendre : RTE l’a réintégré et le rémunère par conséquent, mais ne semble pas avoir prévu de le faire travailler.

Comme l’indiquait ce courrier, signé par le directeur des ressources humaines de proximité de Marseille, RTE a enclenché la procédure de reclassement du technicien. Soit, lui trouver un poste conforme à l’avis du médecin inspecteur du travail, validé par l’ordonnance des prud’hommes de Marseille, le 27 mai 2019. Celle-ci recommandait “un poste administratif ou technique comportant une faible autonomie, avec un traitement séquentiel des opérations et des tâches d’une complexité modérée, avec un soutien constant”. Mais depuis, la procédure s’est révélée longue et aux yeux de Martin Serre :“révélatrice de la mauvaise volonté de RTE de me trouver un poste”, commente-t-il.

Un poste de secrétaire proposé…à Toulouse

Ce n’est en effet que le 13 mars dernier que RTE lui a proposé deux postes de secrétaire à Toulouse ou à Nancy soit quasiment dix mois après la décision de la cour d’appel. “C’est étrange car j’avais vu la médecine du travail en septembre dernier qui me disait qu’il y avait trois postes pour moi dont un de magasinier à Bouc-Bel-Air. Apparemment, elle a mis son véto sur le poste des Bouches-du-Rhône”, cingle le salarié. “RTE me propose des postes de secrétaire alors que j’ai un BTS en maintenance industrielle, c’est en dessous de ma qualification”, ajoute-t-il. Et si Martin Serre refuse les propositions, il risque que le processus de licenciement pour inaptitude redémarre. Véritable épée de Damoclès qui le contraint à choisir le poste à Toulouse.

Malgré cela, il a envoyé une lettre au vitriol à sa direction dans laquelle il dénonce une proposition déloyale :

“Elle m’oblige à déménager pour occuper un poste de position inférieure à celui que j’occupais précédemment. Je ne comprends pas pourquoi. Je n’ai pas été associé à une recherche plus adaptée, pour qu’on envisage des formations ou des aménagements de poste avec Cap emploi et France Travail. Je vous ai toujours informé de ma disponibilité pour reprendre au plus vite et effectuer un bilan de compétences si vous le souhaitiez. Je ne veux pas prendre le risque de perdre une nouvelle fois mon travail. Je n’ai donc pas d’autre choix que d’accepter le poste à Toulouse.

Il demande à son employeur d’être informé “des aides pour la recherche de logement” et “modalités de déménagement, mais surtout des mesures de formation et d’adaptation à [son] poste.” “La fiche de poste ne correspond pas du tout en l’état, à mon handicap ou à ma formation”, appuie-t-il en conclusion.

Son avocate, Léa Talrich, dénonce “l’attitude de RTE [qui] depuis la condamnation de la cour d’appel est une poursuite d’une attitude discriminatoire caractérisée envers Martin et son handicap. Ce dossier est quand même celui d’un travailleur handicapé, payé depuis l’arrêt de la cour d’appel à ne rien faire et qui se bat pour travailler”, considère-t-elle.

Reclassement “en cours”

Contactée, RTE a simplement retracé auprès de Marsactu l’histoire de l’embauche de Martin Serre en décembre 2017 et son licenciement pour inaptitude. L’entreprise évoque un “reclassement (…) en cours” et explique avoir, dans “le cadre de l’exécution d’une décision de justice, réintégré le salarié concerné et entrepris une recherche approfondie des postes disponibles et susceptibles d’être compatibles avec son état de santé. (…) Des échanges entre ce salarié et le DRH régional sont prévus pour définir les mesures d’accompagnement nécessaires”, affirme l’entreprise.

Dans sa réponse, la filiale d’EDF souligne qu’elle mène “une politique “Diversité ambitieuse” avec notamment un engagement fort pour l’inclusion des salariés en situation de handicap”. Et indique que “sur la région Méditerranée, RTE emploie à ce jour 40 salariés en situation de handicap pour lesquels un suivi personnalisé est réalisé, et cela, tout au long de leur carrière”.

Une procédure au pénal

Si aux yeux de l’entreprise, cette réintégration purement administrative semble se dérouler dans les règles, RTE pourrait avoir à s’expliquer sur le plan pénal. Selon nos informations, une information judiciaire est ouverte au tribunal judiciaire de Marseille à la suite d’une plainte de Martin Serre avec constitution de partie civile en 2023 pour discrimination fondée sur un handicap. Un détail intéressant, le parquet avait fait un réquisitoire le 3 août 2023 aux fins d’informer. Comprendre, le procureur de la République a donné son accord de principe à ce qu’il y ait une information judiciaire ouverte.

Sollicité à de nombreuses reprises, le parquet de Marseille a indiqué “attendre le retour de la juge d’instruction” pour donner davantage de détails. Toutefois, en juillet dernier, un cadre de RTE a été auditionné par la police dans le cadre de cette enquête. L’entreprise n’a pas répondu à nos questions sur le volet pénal de l’affaire.

La procédure se poursuit en cassation
RTE s’est pourvu en cassation fin juillet 2023, soit à la toute fin du délai légal imparti. Faut-il y voir un lien avec l’audition du cadre de RTE au pénal ? En effet, accepter la décision de la cour d’appel pour l’entreprise aurait pu sonner comme un aveu et un élément à charge sur le plan de la responsabilité pénale. Dans les écritures de l’entreprise que Marsactu a pu consulter, le cabinet Piwnica et Molinié a demandé la cassation de la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence sur la base de plusieurs raisons dont une particulièrement intéressante. Dans leur arrêt, les conseillers de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ont ordonné la nullité du licenciement avec rattrapage de salaire et réintégration. Estimant ainsi que le licenciement n’aurait jamais dû avoir lieu. Mais pour les avocats de l’entreprise, la cour a fait erreur. Selon eux, elle a indiqué qu’il y avait nullité de la rupture car Martin Serre contestait l’avis d’inaptitude du médecin du travail. Pour eux, cela implique de requalifier le licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Une procédure qui exclue toute réintégration. Un enjeu pour RTE qui, visiblement, ne souhaite pas faire jurisprudence.

 

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    C’est quand même vraiment de la mauvaise volonté de la part de l’employeur, car le handicap ici n’est pas majeur au point d’empêcher d’accomplir des tâches, les adaptations nécessaires ne sont pas insurmontables,
    sur quoi se base donc l’employeur pour qualifier l’inaptitude ?
    Il y a une méconnaissance totale de ce qu’est la dyslexie et la dysorthographie, depuis l’école jusqu’aux entreprises, une petite formation de tous serait bienvenue.
    Proposer à ce technicien dyslexique et dysorthographique un poste de secrétariat montre à quel point l’entreprise est à côté de la plaque. A moins de vouloir mettre volontairement en difficulté l’employé.

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