La Citadelle, “tiers lieu patrimonial”, ouvre les portes des jardins du fort Saint-Nicolas

Reportage
le 3 Mai 2024
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Ce premier week-end de mai, la Citadelle rend accessible au public le fort qui depuis quatre siècles domine le Vieux-Port. Ce monument historique marseillais, toujours en cours de restauration, s'offre ainsi peu à peu aux curieux.

La partie nord ouverte au public représente un tiers du fort Saint-Nicolas. (Photo : B.G.)
La partie nord ouverte au public représente un tiers du fort Saint-Nicolas. (Photo : B.G.)

La partie nord ouverte au public représente un tiers du fort Saint-Nicolas. (Photo : B.G.)

Depuis quatre siècles, ses remparts roses taillés au biseau dominent Marseille. À sa construction, le roi Louis XIV en avait fait le symbole de la mise au pas de Marseille et de ses habitants réputés rebelles. Le fort Saint-Nicolas, coupé en deux au moment de la construction du palais du Pharo, a vécu au rythme des soubresauts de l’histoire de la ville. À partir du premier week-end de mai, il entrouvre ses portes, notamment sur ses jardins, des glacis aux herbes folles qui offrent des balcons à la vue imprenable sur la ville.

Son statut militaire en faisait un lieu clos, méconnu du grand public. En 2010, la Ville en récupère la gestion, mais il faudra attendre 2017 pour qu’un appel à manifestation d’intérêt fasse basculer le lieu dans l’escarcelle du groupe SOS, déjà présent en ses murs via ses filiales Acta vista et Bao formation, qui restaurent les lieux depuis 2003, par le biais de chantiers d’insertion.

Après des années de gestation silencieuse, le premier tiers du fort Saint-Nicolas s’offre donc au public. “Il sera ouvert tous les week-ends de mai et en continu, dès le 5 juin, du mercredi au dimanche, explique Mathilde Rubinstein, la directrice déléguée de la Citadelle. Comme nous nous préparons à être le prochain spot à pique-nique de la ville, nous calons nos horaires sur le coucher du soleil”. Jusqu’à 22 heures en été et 18 heures en hiver.

Expo photos et fiction sonore

En attendant les premiers apéros avec vue sur le Lacydon, ces jardins arides sont un avant-goût du projet global. Autour du vestige du moulin, devenu un hommage à Jean Zay, ancien ministre et résistant, enfermé dans le fort au temps où celui-ci était une prison militaire, le photographe Franck Pourcel a posé une exposition qui, en quelques cubes, raconte l’aventure du Must, club de foot inclusif qui s’entraîne, sur le stade voisin de Tellène, au pied de la colline de la Bonne-Mère. “J’ai passé six mois avec celles et ceux qui s’entraînent avec ce club de foot inclusif dont le maître mot est la bienveillance“, raconte le photographe. Il a délaissé le grain de son noir et blanc habituel pour éclairer en couleurs ce projet d’un Marseille d’aujourd’hui.

L’exposition de Franck Pourcel entoure le vestige du moulin, lieu de recueillement en mémoire de Jean Zay. (Photo : B.G.)

Plus loin, un casque sur les oreilles, on pourra découvrir l’histoire méconnue de ce fort. Elle est racontée sous forme d’une fiction sonore écrite par l’autrice Valérie Manteau et mise en sons par Gaëtan Gromer. “En arrivant à Marseille, mon premier travail en tant qu’éditrice a été de travailler sur le fort Saint-Jean, lui aussi démilitarisé, raconte celle qui, à l’époque, travaillait pour le Mucem. Pour ce projet, j’ai construit une fiction sonore construite à partir des récits des gens que j’ai rencontrés et qui avaient des choses à dire sur le fort. Notamment les ouvriers qui ont travaillé sur cette tour de Babel“. La fiction raconte aussi le fort par ces illustres prisonniers, dont Jean Zay donc, mais aussi l’ancien maire de Marseille Jean Cristofol, ou l’écrivain Jean Giono, enfermé là au début de la Seconde Guerre mondiale, en raison de son engagement pacifiste.

Chiens, singes et cochons

Mais si le récit s’appelle L’île aux chiens – en écho à une histoire stambouliote, autre ville chère à l’autrice – c’est en raison d’un autre aspect tout aussi méconnu de l’histoire récente de l’ancien bastion militaire. “En 1978, le corps des vétérinaires est rattaché au service de santé des armées qui était installé au Pharo depuis 1905. Le fort accueille alors énormément d’animaux qui servent pour des expériences, en particulier sur le paludisme. On trouve donc cochons, des singes, des moutons et des rats. Le lieu est aussi un centre de retraite pour les chiens de l’armée qui servent à la fois pour le gardiennage et la recherche d’explosifs“.

Valérie Manteau a ainsi levé la trace de ces chiens accueillis là à leur retraite. “Ils vivaient dans des cages, sans être forcément maltraités. Ils ont probablement été utilisés pour des expériences. La fiction que j’ai construite part d’un fait avéré : des gens étaient employés à l’époque pour promener ces chiens qui avaient besoin de se dépenser. J’ai donc imaginé une jeune fille du quartier qui parcourt ces espaces parce qu’elle a trouvé un petit boulot au fort“.

Dès ce samedi, les badauds pourront découvrir cette histoire par la voix de la comédienne Stina Soliva, mise en musique par Antoine Spindler. “Mais ils ne pourront pas le faire avec leur chien qui sont interdits dans les jardins“, rigole Valérie Manteau.

La vue sur le fort Saint-Jean, depuis l’une des prairies du fort Saint-Nicolas. (Photo : B.G.)

Refaire nature sur un glacis pollué

Les prairies à l’herbe rase forment un biotope fragile. Si quelques figuiers ont réussi à coloniser les lieux, l’essentiel des jardins conservent l’aspect dégagé des glacis destinés à libérer l’espace de tout obstacle, pour la défense des différentes composantes du fort. Là encore, le maintien et la préservation de ces jardins font partie du projet global de restauration des lieux, en partenariat avec le laboratoire population, environnement, développement (LPED) d’Aix Marseille université.

Au départ, en 2010, le premier projet était d’installer des cultures maraîchères sur place, raconte Isabelle Laffont-Schwob, écologue au LPED. Très vite, on s’est aperçu que cela ne serait pas possible en raison de la présence de polluants dans les sols. Une première campagne de dépollution a été menée, mais elle n’a pas permis d’éliminer tous les polluants, notamment des métaux lourds. Dès lors, soit on excavait et la terre devenait un déchet, soit on faisait en sorte d’atténuer le transfert de pollution“.

Le revêtement en coco qui protège les sols affleure sous le couvert des plantes annuelles. Photo: B.G.

Sous les graminées, coquelicots, spigaous et autres folles avoines, affleure çà et là, le treillis grossier en fibre de coco. “Une fois que les plantes annuelles vont se dessécher avec l’arrivée de l’été, d’autres plantes issues du fonds floristique local, aujourd’hui protégées sous la fibre de coco, vont prendre le relais“. En partenariat avec le lycée des Calanques, l’expérience est déjà en cours sur les sols beaucoup plus pollués des friches industrielles de l’Escalette, à l’entrée du parc national. “L’idée est de tester le même type de plantes, robustes, sans arrosage, dans des espaces aménagés pour accueillir du public“, développe la directrice de recherche.

Si la vue est superbe depuis les glacis qui s’étagent sur le flanc nord du fort, la partie que découvrira le public à partir de ce samedi, n’est qu’un tout petit bout de l’étoile bastionnée. “Cela représente un tiers de la surface totale du fort, reconnaît Mathilde Rubinstein. La majeure partie est encore à restaurer. Nous nous sommes donnés dix ans, avec une ouverture au fur et à mesure du chantier. Mais la totalité de la rénovation n’est même pas chiffrée“. Ainsi, sur le flanc ouest, du côté de la caserne d’Aurelle où le département doit construire un collège, 1,5 hectare de glacis en friche, reste ainsi à rénover. Sans compter les centaines de mètres de tunnels, du plus ancien datant du XVIIᵉ siècle à ceux creusés par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.

La cour haute où étaient situées les cellules est toujours en cours de restauration. (Photo : B.G.)

Encore dix ans de travaux

Les cellules des prisonniers où Jean Zay, Jean Giono et d’autres détenus anonymes ont croupi sont encore dans leur jus, dans l’attente que les chantiers d’insertion leur offrent une seconde vie, d’ici 2030 et pas avant. “Pour restaurer un monument, il faut d’abord le connaître. Quand on est arrivés, il n’y avait aucune histoire du fort. Il a fallu la construire pour apprendre à le restaurer“, raconte Isabelle Guérin Cazorla, architecte du patrimoine qui supervise les travaux depuis 2008. Comprendre le fort, ses différentes périodes et ses usages, permet de le restaurer au plus près des matériaux, selon les différentes périodes de construction ou de déconstruction de l’édifice.

Pour l’heure, certaines parties rénovées ne sont ouvertes que durant des évènements, comme la cour de la demi-lune ou la terrasse Singhen. D’autres attendent encore leurs résidents, comme l’ancienne poudrerie qui doit devenir un “quartier de l’innovation” dédié aux arts numériques, dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt. La plupart des lieux restaurés sont également accessibles au cours des diverses visites guidées ou dans le cadre de privatisations. On touche là au modèle économique de la Citadelle dont les 4,2 millions d’investissements sont financés sur fonds publics (60%) et privés (groupe SOS, fondation CMA-CGM et emprunts bancaires). En revanche, le budget de fonctionnement de 1,3 million est “auto-financé à 95%“, assure Mathilde Rubinstein.

Le fort s’ouvre donc peu à peu, au fil de la restauration, mais aussi des partenariats que l’association noue avec des évènements locaux. Dès ce premier week-end de mai et tout l’été, les soirées électro, le jazz et les musiques du monde prendront leurs quartiers dans la citadelle réinventée.

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Commentaires

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  1. Pascal L Pascal L

    Donc 60 % des dépenses faites par les fonds publics mais 100 % des recettes pour les privés ?

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    • vékiya vékiya

      c’est l’air du temps, on collectivise les dépenses et les dettes et on privatise les profits

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  2. julijo julijo

    et les 5 % qui manquent dans le budget de fonctionnement, ce sera pour les contribuables ?

    enfin ! depuis qu’on en fait le tour par l’extérieur, ce sera sympa de voir un peu à l’intérieur…..

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  3. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    spot ?????

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  4. Richard Mouren Richard Mouren

    Ne boudons pas notre plaisir. Petit, je me désespérais de ne pas pouvoir visiter le fort St Jean. Depuis 2013 je crois, ce rêve est devenu une réalité et une réalité magnifique. Le fort St Nicolas est resté présent dans la culture marseillaise comme l’instrument même de l’oppression royale (sans oublier son utilisation comme prison militaire et politique). Ce monument magnifique va être ouvert à la population marseillaise qui va pouvoir l’investir et le charger positivement des bons moments passés à s’y promener. Le patrimoine marseillais est petit à petit rendu aux Marseillais: la Vieille Charité et le dôme ovoïde de Puget, la station sanitaire partiellement due à Pouillon, le Silo même s’il n’est pas en entrée libre. Le fort St Jean n’est pas totalement en accès libre, mais tout marseillais peut quand même se l’approprier.

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    • Lecteur Electeur Lecteur Electeur

      Et la digue du large ?

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  5. pierre-yves pierre-yves

    prochaine étape : l’ouverture de la digue du large à tous, toute l’année, sur toute sa longueur et gratuitement.

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  6. LOU GABIAN LOU GABIAN

    POUR LA DIGUE IL FAUT DEGAGER LA CLIQUE QUI GARDENT SES PRIVILEGES ET SURTOUT LES CARTES DE CREDIT QUI VONT AVEC

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