Marche pour la justice à Marseille : “Croyez les jeunes, n’attendez pas une vidéo”

Reportage
le 8 Juil 2023
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Près d'un millier de personnes ont traversé le 3e arrondissement samedi pour demander "justice" pour les victimes de violences policières. Ponctuée de prises de paroles multiples, la marche pointait plus largement la question, sensible à gauche, d'un racisme systémique.

Interdite de centre-ville, la manifestation est partie de la Belle-de-Mai, marquée il y a 3 ans par la mort du jeune Souheil.
Interdite de centre-ville, la manifestation est partie de la Belle-de-Mai, marquée il y a 3 ans par la mort du jeune Souheil.

Interdite de centre-ville, la manifestation est partie de la Belle-de-Mai, marquée il y a 3 ans par la mort du jeune Souheil.

“Aujourd’hui, je ne suis pas venu vous parler de Souheil.” Sur la place Cadenat, à quelques dizaines de mètres de l’endroit où son fils de 19 ans a été abattu par un policier, Issam El Khalfaoui commence par revenir sur son parcours à lui, sous la forme d’un conte. Celui d’un petit garçon, d’un élève brillant, passé par le service militaire, devenu ingénieur, confronté au racisme quotidien. “Toute sa vie durant, il avait dû faire plus, être plus méritant, plus poli, plus serviable, il avait l’impression de s’être intégré, il habitait même dans des quartiers de bobos, à Paris puis à Marseille”, raconte-t-il. Mais, à partir du 4 août 2021 et du “réveil brutal” de cette “balle en plein cœur”, le récit bascule en “je”. “J’ai été rattrapé par le racisme. En fait, il n’avait pas arrêté d’être là, j’avais juste appris à vivre avec, plutôt que de le combattre”, poursuit le père de famille.

Une semaine après les émeutes qui ont enflammé Marseille en réaction à la mort de Nahel à Nanterre, et où un homme de 27 ans est décédé de ce qui pourrait être un tir de flash-ball de la police, c’est au père de Souheil que revient la lourde charge d’ouvrir la marche “pour la justice” au départ de la Belle-de-Mai. “Je suis venu crier ma rage”, lance-t-il, dénonçant l’absence de réponse de l’État. Derrière la banderole de tête, à ses côtés, plusieurs proches de victimes, suivis d’un cortège de près d’un millier de personnes, où la jeunesse domine.

“Combien de Nahel n’ont pas été filmés ?”

“L’histoire de Nahel a ravivé beaucoup de souvenirs et de douleur. Sauf que pour Souheil la vidéo a été perdue par l’IGPN”, commentait Issam El Khalfaoui en aparté, quelques minutes avant. En décembre 2021, l’affaire a été classée sans suite par le parquet de Marseille, retenant une situation de légitime défense au terme de l’enquête de l’IGPN. Deux mois plus tard, la procureure a rouvert l’enquête et la famille a porté plainte pour “obstruction à la manifestation de la vérité”.

“C’est dramatique, mais [pour Nahel, ndlr] ce qui a fait la différence, c’est l’existence de la vidéo”, abonde Manuel Bompard, député LFI de la circonscription. C’est l’image qui a permis de contredire la version policière.” Après la traversée de la Belle-de-Mai et de Saint-Lazare, cet enjeu revient, comme un fil rouge, lorsque la manifestation marque un arrêt place Marceau, non loin de son terme de la porte d’Aix. “C’est une histoire qui n’a pas été filmée malheureusement”, s’effondre la mère d’Inès, 18 ans, tremblante à l’évocation de la mort de sa fille, à Grenoble, en octobre 2022. Au terme d’une course poursuite entre la police et le conducteur de la voiture dont elle était la passagère, elle a été atteinte d’une balle mortelle.

Fathi Bouaroua, l’un des multiples orateurs sur la place Marceau.

“Combien de Nahel n’ont pas été filmés ?”, interroge encore Fathi Bouaroua, militant associatif qui a notamment co-fondé le restaurant solidaire l’Après-M. Un survol d’hélicoptère de la gendarmerie rend rapidement son discours inaudible. C’est le seul rappel d’un climat que l’on sait électrique, au cours d’une marche respectueuse du périmètre d’interdiction de manifester en centre-ville édicté par la préfecture de police. Ironiquement, la suite évoque les “voix des quartiers populaires pas entendues” et la “justice expéditive” qui a répondu, à Marseille comme ailleurs, aux émeutiers parfois poursuivis “pour des choses insignifiantes”. Et, sur l’avenue Camille-Pelletan très populaire et fréquentée, le cortège qui tente de rallier à sa cause – “ne nous regardez pas, rejoignez-nous” – récolte surtout des téléphones tournés vers lui. “Voilà ! Pourquoi ils n’ont pas fait ça plutôt que de tout casser ?”, nous glisse une femme, après s’être enquise de l’objet de la manifestation sur son trajet de courses.

Rassemblement des générations, mais pas de la gauche

Soucieux de faire le pont entre les expériences des générations, le tour de parole s’accorde un retour quarante ans en arrière, par la voix de Mustapha Mohammadi, ancien militant du mouvement des travailleurs arabes. “Le sort qui nous est réservé est toujours celui des colonisés”, dénonce celui qui participe aujourd’hui au Front uni des immigrations et quartiers populaires. Suit le témoignage de Youssef, jeune Marocain arrivé dans le 15e arrondissement de Marseille il y a quatre ans. “On a une police raciste”, accuse-t-il, après le récit de contrôles policiers systématiques. “Croyez les jeunes des quartiers populaires, croyez-les n’attendez pas d’avoir une vidéo”, implore-t-il.

Le cortège sur le boulevard de Strasbourg. (Photo : JV)

Une position accusatrice, de même que les slogans scandés sur le parcours, qui explique probablement l’absence d’une bonne partie de la gauche. La veille, l’opposition de droite au conseil municipal a demandé à Benoît Payan et sa majorité de se positionner par rapport aux “Insoumis, vaniteux, par l’opposition à la police, par leur opposition à l’État qui serait soi-disant à l’origine d’un racisme systémique”. Une demande accueillie avec colère, ponctuée de condamnation des pillages et de renvoi à ses proximités avec l’extrême-droite. “Dans le débat public, on parle de tout sauf précisément ce qui est la cause du décès, des rapports difficiles entre la police et la population, c’est un sujet qui a l’air totalement tabou”, considère Manuel Bompard. “Le fait que le ministère n’ait pas réagi à la communication du syndicat Alliance [et UNSA] montre qu’on a un vrai problème avec la police nationale”, approuve Bernard Eynaud, membre du comité national de la Ligue des droits de l’homme.

Si ce samedi les drapeaux des partis – la France insoumise, le NPA et le Mouvement des jeunes communistes – comme des syndicats – CGT et Solidaires – ont été rangés à la demande des organisateurs, c’est bien une réponse politique sur ce plan qui est attendue par l’appel national, qui n’a pas été signé par le PS et le PCF.

Parmi la succession d’intervenants de la marche, une manifestante tente une approche consensuelle. “Je n’ai rien à ajouter à tout ce qui a été dit. Simplement, qu’on soit musulmans, chrétiens, athées ou n’importe quoi, parler de l’humain, des droits de l’Homme, entame cette femme voilée. C’est mon message à monsieur Macron : liberté, égalité, fraternité, appliquez-la !”

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Commentaires

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  1. Christian Christian

    Cette manif ne s’est pas démarquée des graves dégradations et vols massifs commis pendant les émeutes sous prétexte d”‘antiracisme”.
    Le gag sinistre de cet “antiracisme”, c’est qu’il y avait des arabo-musulmans parmi les petits commerçants ruinés par les émeutiers casseurs et voleurs.
    D’autre part, la banderole “Etat raciste” est inadmissible, car s’il existe hélas des Français racistes, il n’y a rien de raciste dans la Constitution et les lois de la République française.

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  2. Alain Alain

    Il.est bien dommage que l’article soit si confus que l ‘on soit obligé de le relire 2 ou 3 fois pour le comprendre .

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  3. Patafanari Patafanari

    Un miliier selon les organisateurs, combien selon la p……e ?

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  4. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    ÉGALITÉ et fraternité et LIBERTÉ pour les commercants…
    LFI n’est pas l’incendiaire que le ”syndicat” Alliance dénonce.

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  5. Andre Andre

    Arrêtons de parler de “racisme systématique ” en France. Il y a des racistes dans la population, c’est clair. Toute la population, j’insiste. Mais on ne saurait en faire un système. Et, quand j’entends parler de “racisés” par certains qui se veulent progressistes, je me dis qu’entre ce terme et le mot de racisme, il n’y a finalement qu’une lettre.
    Quant à la police, elle n’est que le reflet de la population. Plus que du “racisme” dénoncé qui à mon sens est un faux débat entretenant des fonds de commerce idéologiques, elle souffre je pense d’un vrai problème structurel. Il est anormal et inadmissible que soient commis autant d’actes de violence injustifiée. Je rappellerai que les populations immigrées
    ou d’origine n’en sont pas les seules victimes compte tenu de ce qui s’est passé pendant les manifs des gilets jaunes.
    Recrutement, formation insuffisante (son temps avait été réduit de beaucoup puis, récemment, seulement un peu prolongé), organisation des unités génératice de violence (Brav M), équipement dangereux à caractère létal. On parle depuis des années de cette situation qui, loin de trouver des améliorations, se trouve aggravée par les instructions politiques du pouvoir en place.
    On ne réglera rien par des invocations, des exploitations politiques de tous bords, des dénonciations plus ou moins justifiées selon les cas, qui ne font que diviser la population sur un mode manichéen. Il faut s’attaquer au fond du problème qui est structurel. Chevènement il y a 20 ans avait commencé (police de proximité) mais cette petite frappe de Sarko a tout gâché. Dommage pour le temps perdu et pour les morts.

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    • Zumbi Zumbi

      Rien ne justifie la violence contre certains commerces, ok. Mais quand on a tout fait pour éloigner des gens de la politique, quand on s’est foutu ouvertement des bénévoles des associations de quartiers qui refusaient d’être de simples rabatteurs de voix pour édiles locaux (les récits sont innombrables, allez dans un centre social et vous verrez), quand sous prétexte de modernisation on fait disparaître les antennes locales de tous les services publics, quand on promeut en guise de héros de l’information des Hanouna, on fait en sorte que les colères explosent sur le mode “puisque rien ne change jamais je me sers” : piquer dans des magasins, on est bien conforme aux vraies valeurs dominantes de cette société.
      Quand j’enseignais dans les quartiers Nord ou auparavant en Seine Saint-Denis j’étais stupéfait de la patience de certains de mes élèves ; je me souviens de l’un d’eux, le modèle du bon élève délégué de classe et tout et tout, qui frémissant d’une rage contenue nous contait, quelques semaines après les émeutes de 2005, qu’il avait subi treize “contrôles d’identité” dans la journée, la plupart par les mêmes policiers : c’était la seule réponse qu’avaient eue les jeunes, dont les plus “intégrés”, renvoyés à leur faciès supposé dangereux.
      Attendons la prochaine explosion, chacun pourra répéter les mêmes commentaires qu’aujourd’hui.

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    • Louise LM Louise LM

      Chevènement ? ce n’est pas une référence sur ce sujet.
      Il a commencé son glissement à droite le jour où il a parlé de “sauvageons” en parlant des jeunes des banlieues
      La police de proximité c’est Joxe qui disait l’année dernière tout le bien qu’il pensait du programme de Mélenchon en matière de sécurité
      on ne peut pas rejeter d’un revers de main le racisme dans la police au prétexte que “il y a du racisme dans toute la société”, parce que :
      1/ les 2/3 des policiers votent à l’extrême droite
      2/la spécificité des missions de la police, comme celle des profs devrait impliquer au contraire qu’ils soient inattaquables sur ce sujet
      3/ le racisme n’est pas systémique “puisque il n’est pas dans le constitution”, dites vous. Encore heureux !
      Mais il gangrène l’institution policière à cause de l’absence de réaction du pouvoir, du ministre et de la hiérarchie, de condamnation ferme, de sanctions exemplaires. On n’a que le déni de l’institution, qui aggrave la situation car les victimes et les citoyens connaissent la vérité

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