Les frères Guérini et le grand banditisme : le retour d’une affaire qu’on n’attendait plus

Enquête
le 1 Juin 2023
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Le juge d'instruction Fabrice Naudé a convoqué l'ancien président du département Jean-Noël Guérini et son frère entrepreneur dans un vieux dossier où ils sont mis en examen pour corruption. Des sociétés proches du grand banditisme sont impliquées.

Jean-Noël Guérini et son avocat Dominique Mattei en 2016. (Photo : BG)
Jean-Noël Guérini et son avocat Dominique Mattei en 2016. (Photo : BG)

Jean-Noël Guérini et son avocat Dominique Mattei en 2016. (Photo : BG)

Pas de nouvelle, bonne nouvelle. L’adage vaut aussi dans les couloirs des palais de justice où les avocats vont d’audience en audience. Longtemps, ceux impliqués dans la plus sulfureuse des affaires Guérini, du nom de l’ancien président socialiste du département des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël, et de son frère entrepreneur, Alexandre, ont cru que le temps y mettrait fin. Mais le cours de la justice, pourtant bien lent, ne s’est jamais arrêté complètement. Plus de dix ans après, le juge d’instruction Fabrice Naudé s’apprête à mettre un point final à son travail, première étape avant un éventuel renvoi en correctionnelle.

Selon les informations de Marsactu, il ne lui reste plus que quelques actes d’enquête avant de décréter celle-ci terminée. Il s’agit d’entendre les principaux acteurs du dossier et de d’affiner les chefs de mises en examen. L’ancien patron du département, toujours sénateur, est ainsi attendu vendredi 2 juin dans le bureau du juge Naudé. Son frère Alexandre lui succèdera le 11 juin.

Soupçons d’association de malfaiteurs

Les deux frères ont déjà traversé ensemble deux procès dans un autre dossier. Mais dans cette autre affaire, les récentes convocations sont les premières depuis dix ans. Alexandre Guérini n’a plus été interrogé depuis 2014 et Jean-Noël Guérini depuis 2013. Les chefs de mise en examen sont lourds dans un dossier dont le premier juge d’instruction, Charles Duchaîne, avait souligné le “caractère mafieux”. Ils sont notamment soupçonnés tous deux d’avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la commission des délits de trafic d’influence, de corruption et de détournement de fonds publics et de favoritisme.

Au sein de cette information judiciaire ouverte en 2009 naviguent plusieurs figures bien connues de la justice dont Bernard Barresi, Patrick Boudemaghe et Michel-Ange Campanella. Dans les Bouches-du-Rhône, mais aussi en Haute-Corse, des marchés publics ont été attribués à des entreprises proches du grand banditisme. Patrick Boudemaghe, dirigeant des sociétés soupçonnées, arrêté en Espagne fin 2010, Bernard Barresi, un malfaiteur en cavale condamné depuis à dix ans de prison par les assises pour le “hold-up de l’A36”, et Alexandre Guérini formaient, selon une ordonnance d’octobre 2012 du juge Duchaîne, un groupement “permanent” leur permettant de truster des marchés publics. Michel-Ange Campanella, qui a rendez-vous avec le juge le 9 juin, est quant à lui accusé d’extorsion en vue d’obtenir du promoteur Kaufman & Broad un chantier de dépollution à La Ciotat.

La “complicité” des deux frères au service de “la fraude” ?

Alexandre Guérini est présenté dans le dossier comme “le trait d’union entre le « milieu » et la « bonne société »”. C’est par son entremise que Patrick Boudemaghe et Bernard Barresi “s’étaient immiscés dans le fonctionnement de plusieurs satellites du département et en particulier au sein de la Semidep [le port de La Ciotat, ndlr] de la SEM 13 Développement [une société d’aménagement] et du Technopole de l’Arbois“, estimaient les gendarmes dans une synthèse de leur travail en mai 2013.

En 2013, les gendarmes reprochaient à Jean-Noël Guérini “l’acceptation des immixtions de son frère dans les affaires publiques”.

Ils ajoutaient alors que “seule la complicité de son frère explique qu’Alexandre Guérini ait pu mettre en place un tel système de fraude”. Il est ainsi en miroir reproché à l’ancien patron du département “l’acceptation des immixtions de son frère dans les affaires publiques”, “des abus de pouvoir en matière d’octroi de subventions publiques” ou encore “l’utilisation de subterfuges pour paralyser les procédures de passation de marchés”.

Mais dans certains pans du dossier, les traces concrètes de cette accusation semblent manquer. Et plusieurs pans pourtant très documentés du dossier n’ont pas été traduits en mises en examen. À ce jour, Jean-Noël Guérini est surtout soupçonné d’avoir favorisé les desseins de certains patrons en usant des prérogatives du département au port de la Ciotat. Selon les chefs de mise en examen, il aurait ainsi obtenu du maire de La Ciotat d’alors le soutien à une société “imposée par Bernard Barresi”. L’élu a toujours nié avoir servi les intérêts de son frère dans ce dossier comme au sein du Technopôle de l’Arbois où le dossier s’attarde aussi. Son avocat, Dominique Mattei, évoque “des faits qui ont 14 ans et qui ne le concernent pas directement”.

En tout, compte tenu des décès et des revirements de procédures, 28 personnes restent mises en examen dans cette affaire. Un dossier tentaculaire dont avait hérité le juge d’instruction Fabrice Naudé lors de sa nomination en août 2016. Il est aujourd’hui garni de près de 44 000 pages.

Un dossier “fragmenté”

Dans une ordonnance de poursuite de l’information du 31 décembre 2021, le juge d’instruction a traduit la situation, non sans adresser en filigrane quelque reproches à son prédécesseur. “La structure extrêmement fragmentée de la présente procédure la rend particulièrement délicate à appréhender”, explique-t-il. Toute une série d’événements explique selon lui la longueur de la procédure. Il évoque pêle-mêle les “dix commissions rogatoires” à l’étranger et notamment en République dominicaine, en Suisse et au Luxembourg, lancées notamment pour suivre l’argent supposé blanchi.

En 2022, les deux frères ont déjà été condamnés, en appel, à trois et six ans de prison dans le dossier dit “des décharges”.

Il note encore les multiples recours introduits par les avocats des mis en examen. Il insiste aussi sur les priorités de la juridiction. Nommé pour mettre au carré les dossiers Guérini, Fabrice Naudé a d’abord choisi de traiter le dossier le plus avancé, dit des décharges, “à la caractéristique hors normes similaire”. À l’arrivée, cette affaire a abouti à la condamnation en première instance puis en appel d’une dizaine de prévenus. Dans ce cadre, Alexandre Guérini a été condamné à six ans de prison ferme avec mandat de dépôt – il vient de sortir de prison – et Jean-Noël Guérini à trois ans de prison dont la moitié ferme. Tous deux se sont pourvus en cassation.

L’objectif du juge : “préciser les responsabilités”

Le Covid avait encore retardé la reprise du tentaculaire second dossier. Alors ce 31 décembre 2021, le juge Naudé se fixait un objectif de fin d’information judiciaire au premier semestre 2023. Atteint par la durée maximale d’affectation au sein de la juridiction marseillaise, c’était pour lui la seule condition pour que le dossier ne change pas à nouveau de main avant la fin des investigations. Dans l’intervalle, il savait devoir réaliser “une trentaine d’interrogatoires complémentaires”.

Ce mois de juin marque donc la fin d’une partie de ce marathon judiciaire. Les interrogatoires du moment visent notamment à “identifier et préciser les responsabilités susceptibles d’êtres encourues par chacune des personnes mises en examen”. Cet été, si son plan se déroule sans accroc, il pourra adresser le dossier au parquet de Marseille pour que celui-ci prenne ses réquisitions avant qu’un nouveau juge d’instruction ne décide d’un renvoi en correctionnelle pour tout ou partie des actuels mis en examen.

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Commentaires

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  1. demidi.aminuit demidi.aminuit

    Si, si, on attendait le retour! C’est juste un peu long…

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    • Zumbi Zumbi

      Ça va plus vite lorsqu’il s’agit de chasser le journaliste taquin.

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  2. julijo julijo

    oui juste un peu long….
    devise de la justice : laisser du temps au temps !

    alors oui, on attendait bien sûr, l’appel en cassation notamment, surtout quand on le voit bien assis sur les bancs du sénat !

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  3. Le barbitas Le barbitas

    Donc AG libéré le 28 mars dernier et pas, une ligne dans la presse?

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  4. Alain PAUL Alain PAUL

    Chouette le feuilleton continue
    Il nous manquait
    Encore 10 ans please

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