Le temps d’un week-end, Eniarof retourne la fête foraine à l’usine Pillard

Reportage
le 30 Avr 2022
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Friche artistique et lieu de création, l'usine Pillard accueille ce week-end, Eniarof, fête foraine numérique et populaire qui célèbre le "fait soi-même" et la bidouille numérique. Visite guidée avant lancement.

Niklas Roy et sa machine à caisse enregistreuse se préparent pour le week-end forain. (Photo : BG)
Niklas Roy et sa machine à caisse enregistreuse se préparent pour le week-end forain. (Photo : BG)

Niklas Roy et sa machine à caisse enregistreuse se préparent pour le week-end forain. (Photo : BG)

Bzzz. Les cuistots s’affairent autour de la grande table des Huit pillards tandis qu’un drone opère un survol en bourdonnant. Indifférents, les résidents roulent des makis. Des gyozas bronzent sur des plaques. Aux manettes de l’engin, Antonin Fourneau fait un plan de la tablée conviviale. Ce week-end, l’artiste plasticien installe aux ateliers Pillard sa 32e Eniarof, sa fête foraine retournée, comme un gant en caoutchouc montre son velours intérieur.

La cuisine des Huit Pillards. (Photo : BG)

L’allée centrale de l’ancienne usine de moteurs thermiques transformée en lieu de création est encombrée de curieuses machines en cours d’installation. À l’entrée de ce que les résidents appellent la “nef”, la reproduction d’une barque antique patiente au plafond. “Cela ne fait pas partie des attractions”, prévient Antonin Fourneau. Mais dans cette friche industrielle installée rue des Frères Cubeddu, à Bon-Secours (prendre à droite avant le KFC, depuis Plombières), personne ne s’offusque de voir un navire suspendu ou un drone à table. Le lieu tout entier navigue entre le loufoque et le pointu, la technologie numérique et la sciure sérieuse.

Métapong et concours de scanner

Dans un coin de la nef, Antonin Fourneau a installé son métapong, installation ludique qui rejoue l’antique jeu vidéo en format tennis de table. Plus loin, un minigolf propose de propulser de la lumière sur les volutes de l’anagramme forain. L’artiste allemand Niklas Roy met la dernière main à son attraction inventée avec l’artiste finlandaise Kati Hyyppä. Si on parvient à scanner rapidement des produits en caissière d’élite, on gagne… un ticket de caisse.

Au rez-de-chaussée, les activités économiques coexistent avec les huit pillards qui occupent les étages. (Photo : BG)

Pour sa 32e édition, l’Eniarof version Pillard joue presque à domicile. “En 2005, j’ai proposé la première Eniarof, l’année de mon diplôme de l’école d’art d’Aix-en-Provence, explique Antonin Fourneau qui gravite désormais entre Paris et Marseille. Cela correspondait à l’interrogation classique : que faire après une école d’art. J’avais déjà exposé dans des musées et l’image très propre des arts numériques ne collait pas avec mon travail basé sur la récup et le recyclage“. Imaginé avec un de ses enseignants, Douglas Stanley, le projet diplômant est devenu un des véhicules d’une carrière artistique qui parie sur le bricolé et le collectif.

32e Eniarof et seconde escale à Marseille

Depuis 2005, Eniarof voyage de Pékin à la Guinée en passant par le Maroc, Malakof, Douai, le Costa Rica, le Mexique ou la Russie. Chaque escale offre des différences dans les collaborations comme dans la taille des évènements. Avec son lot d’anecdotes : en Chine l’ambassadeur de France s’est retrouvé à jouer du funk en pédalant sur un vélo. Ailleurs, c’est une bataille de godemichés en argile qui a suscité la curiosité. Plus loin, Eniarof s’immisce dans la guéguerre entre services… “Le service culture de la Ville du Poitiers nous a invités en réaction à une fête foraine traditionnelle initiée par le service loisirs, rigole le patron forain. Du coup, les gens entraient dans une fête foraine et débouchaient dans Eniarof. C’était parfait“.

Le mini-golf d’Eniarof. (Photo : BG)

Il y a de la bidouille partout dans les œuvres présentées dans les Eniarof. Le “do it yourself” y est érigé en esthétique comme la récupération d’objets ou l’esprit collaboratif. “Mais tout ceci n’est pas contradictoire, justifie le patron de foire. Le premier Apple fabriqué dans le garage de Steve Job était en bois“. De la même façon, les fêtes foraines du XIXe étaient des lieux où les innovations comme les monstres faisaient figure d’attractions.

Machine à pénalty

Ici, le numérique est démantibulé, sorti de la boîte noire de l’écran pour s’articuler au réel. Résident permanent de l’usine Pillard, Thomas Molles a conçu une machine à penalty, où une béquille permet d’actionner une jambe de mannequin qui shoote dans un ballon. “En fait, le pied traverse un laser puis appuie sur un bouton. La force du coup de pied va dépendre de la vitesse entre les deux signaux“. Le reste se passe sur un écran entouré de rubalise.

L’installation de Thomas Molles. (Photo : BG)

Trait commun à toutes les installations, le ruban jaune et noir vient délimiter les zones d’action. “Normalement, il signale les endroits où il ne faut pas aller. Ici, c’est le contraire“, sourit Antonin Fourneau.

À quelques pas de lui, deux énergumènes s’acharnent sur une planche trouée, montée sur vérins. Ce proto-flipper permet de faire cheminer des balles d’un trou à l’autre. “Le principe est celui d’un jeu de plateau où il faut faire progresser une balle de la case guetteur, trafiquant jusqu’à caïd, sans se faire attraper par la police”, explique Thibault Gaudry, designer et plasticien. “Or, la difficulté du jeu c’est que chaque trou change de couleur de manière aléatoire, renchérit Pierre Blanchard, du collectif Faire. Sans compter la case blanchiment qui apparaît de temps en temps et qui est le but ultime du jeu“.

Lieu de fabrique en commun

L’attraction et ses auteurs dessinent avec justesse le principe de fonctionnement de l’atelier. Depuis 2019, huit structures y cohabitent dans de grands espaces mutualisés et de petits bureaux, vestiges de l’usine Pillard. Pour trouver le calme et un point de vue, Thomas Molles nous convie jusqu’au sommet de la “tour des ouvriers”. Un escalier grimpe vers une salle nue où une banque en métal rappelle l’ancienne cantine de l’usine.

Les toits de l’usine Pillard. (Photo : BG)

L’activité partie ailleurs en 2016, le site a été racheté par l’établissement public foncier (voir encadré) avant d’accueillir ces premiers résidents en 2018. Les Huit pillards se réunissent ainsi au fil des arrivées. On y retrouve le groupe artistique des Pas Perdus, fondateurs du comptoir La Victorine avant d’être forcé au nomadisme après un incendie. Le collectif FAIRE (pour fabrique artisanale et imaginative de réalisations éclectiques) qui cumule tous les talents. “C’est simple, ils savent tout faire, rigole Thomas Moles. Du graphisme au design, en passant par la menuiserie. Ils sont aussi les plus nombreux“.

Faire son nid

Dans les grands ateliers où trônent les plus grosses machines, on peut croiser le collectif ETC ou le Cabanon vertical en plein travail de menuiserie. Une porte fermée mène vers l’espace du Bureau des guides. Dans les espaces partagés ou plus privatifs travaillent aussi des artistes comme Ahram Lee, Jérémy Laffon ou Catherine Melin.

Une installation conçue par Guy-André Lagesse avec des objets apportés par des habitants. (Photo : BG)

Chez les Pas perdus, un babyfoot en bois flotté rejoindra la nef le temps du week-end. Le ciel du vaste atelier est encombré de curieuses sculptures en osier, jonc et objets trouvés. Conçue par Guy-André Lagesse en lien avec l’école d’art d’Aix, l’expérience collective s’appelle “faire son nid avec ce que l’on trouve”. D’ateliers en ateliers, elle a été réalisée avec des habitants du quartier, venus avec leurs objets. Elle offre une parfaite métaphore de l’aventure des pillards…

Un appel à projets bientôt lancé
Rachetée par l’établissement public foncier (EPF) pour le compte de la métropole, l’usine Pillard a vocation à accueillir des activités économiques. L’EPF y a installé des artistes à titre transitoire le temps que le lieu trouve sa vocation définitive. Ce jeudi, une réunion entre métropole, Ville et opérateur foncier a débouché sur le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt. “La volonté commune est de privilégier les projets qui proposent une mixité de projets, entre économie et culture”, explique-t-on à l’EPF. L’appel à projets concerne l’usine et le terrain qui la jouxte, associés ou séparément. Bien entendu, les Huit pillards sont invités à participer même si ceux-ci espéraient rester sans passer par l’appel à projets.  “Nous avons travaillé à pérenniser nos activités, explique Dorine Julien pour les Pas perdus. Notre volonté est d’obtenir un délai pour construire un projet en lien avec le quartier”. Bien entendu la question financière est centrale avec un mix entre entreprises, associations et structures culturelles. L’établissement public foncier table sur une année d’appel à candidature et d’analyse des offres et une année supplémentaire de mise au point du projet. “Même si ce ne sont pas les Huit pillards qui seront choisis, nous ne les laisserons pas tomber”.
Eniarof, fête foraine numérique et populaire, portes ouvertes des Huit pillards, le samedi 30 avril et dimanche 1er mai, de 14 heures à 18 heures, 15 rue des frères Cubeddu (14e).

 

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Moins onéreux que de payer une agence de sécurité (et plus « sympa «) pour garder les lieux et éviter les squatteurs .
    Une opération gagnant/gagnant/ gnan gnan/. Martine à la page.

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