Une rue de la République décotée pour faire revenir les commerces

Décryptage
le 30 Juin 2017
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Alors que la mairie de Marseille veut redynamiser le commerce de centre-ville, la rue de la République cherche toujours la sienne. ANF, l'un des principaux propriétaires de l'artère, a été contraint de revoir à la baisse de 27 millions d'euros la valeur de son patrimoine, pour tenir compte de la chute des loyers. Et s'il tâche désormais de proposer une "expérience" qui dépasse le prêt-à-porter, sa stratégie de développement se concentre sur les bureaux et dans d'autres métropoles.

Dans une ancienne boutique de vêtements, une salle d
Dans une ancienne boutique de vêtements, une salle d'expo annonce son programme à la craie.

Dans une ancienne boutique de vêtements, une salle d'expo annonce son programme à la craie.

Préempter des commerces pour redynamiser le centre-ville. C’est la nouvelle politique lancée depuis février par la mairie de Marseille avec un fonds doté d’1,4 million d’euros. Le périmètre de cet outil, confirmé par un vote en conseil municipal ce lundi, ne comprend qu’une partie de la rue de la République, du Vieux-Port à la place Sadi-Carnot. La partie centrale et ses nombreuses façades en berne n’est pas concernée. “La commercialisation des rez-de-chaussée commerciaux, sur une artère de plus de 1,2 kilomètres de long, n’est pas terminée, donnant lieu à des ruptures importantes et peu harmonieuses dans le linéaire”, reconnaît pourtant une délibération de la Ville présentée lors de la même séance, qui accorde une subvention à une deuxième série d’installation de bâches artistiques posées sur les commerces vides par l’association Marseille 3013.

“L’initiative est louable parce qu’elle sert la culture mais elle ne fait que souligner que nous avons là une sorte de désert où les commerces refusent de pousser pour cause de loyers exorbitants”, a commenté le socialiste Eugène Caselli, appelant la Ville à “taper du poing sur la table en face des sociétés d’investissement propriétaires de la rue qui se comportent parfois comme de simples spéculateurs”.

Dans ce contexte, un fait marquant est passé inaperçu au printemps : ANF immobilier, propriétaire d’une bonne partie de la rue, a été contraint de dévaluer ce patrimoine de 27 millions d’euros dans ses comptes 2016. “Et bien tant pis pour eux, commente Solange Biaggi, adjointe au commerce. Cela fait des années qu’on leur dit qu’ils sont trop chers.”

Cette baisse est qualifiée de “mécanique” dans son communiqué par la société foncière, héritière de la Société immobilière marseillaise présente dès les grands travaux de percement de la rue. “Lorsque la valeur locative – le loyer que les clients sont prêts à payer pour un local commercial – baisse, la valeur des actifs dans nos comptes baisse. Ce sont des ajustements mécaniques”, réitère Renaud Haberkorn, président du directoire d’ANF.

“Pléthore d’offre”

Il ne fait pas mystère des raisons de cette tendance à la baisse : “Il y a eu de grandes et de nombreuses ouvertures de centres sur Marseille et ce n’est pas fini puisque le Prado est en passe d’ouvrir. Cette pléthore d’offre fait que le commerce de centre-ville en général a souffert à Marseille, ce n’est pas uniquement restreint à la rue de la République.” Une politique réaffirmée par Jean-Claude Gaudin ce lundi :

Dans mon premier mandat, nous n’avions pas voulu faciliter les grandes surfaces à l’intérieur de la ville, considérant que peut-être cela aiderait le petit commerce. Il n’en a rien été ! Les Marseillais sont allés dépenser leur argent à Plan-de-Campagne, où il y a tout ce qu’il faut, ou c’est ouvert le dimanche. Ça tombait dans l’escarcelle du pays d’Aix. Ou alors ils allaient à Auchan du côté d’Aubagne parce qu’il y a là bas des parkings. Alors nous avons changé d’idée.

ANF a donc dû s’adapter avec cette nouvelle donne en baissant les loyers. Et pas seulement parce que parmi les critères de rémunération variable de la directrice générale adjointe figure noir sur blanc la “baisse de la vacance à Marseille”. En clair, une partie de sa rémunération dépend de sa capacité à louer des locaux.

Jouets pour enfants et méditation

“Ce qui nous importe c’est de créer de la vie et d’avoir le maximum de locataires”, avance Renaud Haberkorn. Pour éviter les ribambelles de rideaux tirés et les façades en trompe l’œil (documentée par l’association Centre-ville pour tous), ANF a aussi réorienté sa stratégie, en distinguant les pôles Vieux-Port et Joliette : “On se rend compte que d’avoir trop misé sur l’équipement à la personne a joué en notre défaveur. On a installé un King Jouet, on installe deux nouveaux restaurants, le musée du savon ouvre, on a tout un projet de rue “artistique” sur la rue du Chevalier-Roze, détaille-t-il. On va vers un mix qui est plus adapté pour les familles, on n’est pas que sur de la fringue et du Mango, on essaie d’être plus dans l’expérience.”

Près de la Grand rue, Verbaudet et Hylton sont en reconversion.

Sur le bas de la rue, plusieurs anciennes boutiques de vêtements sont aussi reconverties en galerie ou en atelier de créateurs, un marquage à la craie faisant office de nouvelle devanture, tandis qu’à côté, des émules de Pierre Rhabi proposent, avec plus de moyens, “un lieu inédit pour des rencontres incroyables“, mêlant yoga, méditation et DJs. Une “expérience” sur laquelle se positionnent aussi les Terrasses du port, qui outre le “rooftop” déjà existant espèrent s’étendre au nord avec un espace de loisirs “indoor”.

Cette mutation forcée de l’artère n’est pas forcément partagée par Atemi, l’autre grand propriétaire notamment présent entre la place Sadi-Carnot et le boulevard des Dames, tronçon moins bien situé et le plus sinistré. “Ils ouvrent l’hôtel NH, bientôt j’espère”, entame Renaud Haberkorn qui “n’aime pas trop parler des confrères… Les valeurs locatives ont connu une déflation. Nous on en a pris acte, je suis pas sûr que ça ait été le cas sur le tronçon central.”

Repli stratégique

Même logique sur le volet logement où “il y a eu un petit trou d’air en terme de location”, reconnaît-il. “Ce qui nous importe en tant que foncière c’est le revenu locatif, c’est d’avoir des gens qui occupent nos appartements, réaffirme-t-il. S’il n’y a pas de locataires, il n’y a pas de clients pour les commerces.” ANF a donc conclu un partenariat avec Foncia pour la commercialisation et a essayé d’être “un peu plus fin en terme d’analyse” sur les tarifs, pour ne pas dire “plus agressifs”. À défaut des cadres supérieurs espérés, ANF a aussi trouvé un autre public moins rebuté tout en étant solvable : les étudiants, avec notamment des meublés rénovés sur secteur République/Dames.

Comme son homologue Atemi, la société s’est toutefois délestée d’une bonne partie de son patrimoine, 216 logements vendus 34 millions d’euros à Promologis (lire notre article de mars 2016 sur les premiers pas de ce nouvel acteur). D’ailleurs, sa stratégie accorde de moins en moins d’importance à ce patrimoine historique, commerces compris, au profit des bureaux et des hôtels. Un développement où Marseille a tendance à s’effacer : malgré trois ouvertures récentes d’hôtels et quelques projets dans les tuyaux, ce sont Bordeaux et Toulouse qui concentrent 85 % des investissements d’ANF…

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Commentaires

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  1. LOU GABIAN LOU GABIAN

    Je cherche un local commercial, j ai cherché sur la rue de la république, je suis allez a la rencontre des loueurs, j y ai été très mal reçu, et quand j ai fait remarquer le montant du loyer , toutes ces espèces de tronche de premier de classe font les messieurs outragés et méprisant
    J.

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    • Voyageur Voyageur

      Il y a un abîme entre les déclarations faites à la presse et la gestion véritable subit par les riverains.
      Constat :
      1 / désormais les vitrines vides ornent comme des verrues même la rue St Fé !
      2/ les nouveaux commerces (boutiques, restaurants) de la major ont une manière toute particulière d’accueillir leurs clients

      Je me demande si la volonté de faire venir des commerçants dans les boutiques et des particuliers dans les logements est réelle ?

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Oui on peut effectivement noter au passage que l’accueil dans les bard/restaurants des Voûtes bat des records d’approximation et de vulgarité. Je n’y ai posé mes fesses qu’une fois (la première et la dernière sans doute), j’avais honte pour les touristes alentours (surtout étrangers), à fuir.

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  2. vékiya vékiya

    en agrandissant les terrasses du port et en créant un centre commercial au vélodrome la mairie tue le commerce de centre ce n’est pas en baissant les prix que le commerce va repartir.

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  3. Oreo Oreo

    Avec la rue de la République, on a une bulle spéculative en “direct live” sous les yeux. L’investissement privé s’est fait sans intelligence, contrairement au très important investissement public . Bis repetita, les promoteurs “parisiens” ont fait du façadisme, comme leurs prédécesseurs du XIXème siècle, et ils voulaient mettre ici des boutiques Hermés et Prada ! Mêmes erreurs, même résultat : la bourgeoisie n’est pas venue dans ces logements dont beaucoup donnent à l’arrière sur des cours ou des rues étriquées et sombres. ANF, qui est le successeur de l’opérateur historique prend la mesure de la déconfiture, les autres prendront un bouillon !

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  4. MarsKaa MarsKaa

    je pense aux anciens locataires et propriétaires que l’on a mis dehors pour cette opération spéculative… je pense à un documentaire et à une pièce de théâtre dont j’ai malheureusement oublié le nom qui redonnaient voix aux anciens habitants, gens modestes, petits commerçants..

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    • MarsKaa MarsKaa

      ce n’est pas celui ci.. que je ne connaissais pas..merci 🙂
      il était plus ancien, et plus long, c’était au tout début des expulsions..je ne me souviens même plus où je l’avais vu, c’était un collectif qui en était à l’origine…je me souviens d’une petite mémé de plus de 80 ans qui ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait plus habiter chez elle, pourquoi on lui proposait un nouveau logement dans les quartiers nord, loin du centre ville et de ses habitudes….
      La pièce de théâtre c’était au Toursky, avec (ou de ?) Edmonde Franchi. (si ma mémoire courte et lacunaire est …bonne…), où l’on voyait des femmes résister dans un immeuble face aux travaux bruyants, aux agents immobiliers, aux huissiers…

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  5. MarsKaa MarsKaa

    Marseille est en train de devenir un zone commerciale… des boutiques partout… pour quoi faire ? on a d’autres centres d’intérêt, d’autres loisirs ! on voudrait plus de librairies, lieux de partage, café concert, lieu d’expo gratuites, des locaux associatifs pour les enfants…mais aussi des jardins, des écoles, des piscines, des gymnases…
    oui je sais, je rêve…

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    • corsaire vert corsaire vert

      c’est quand même bon de rêver ….

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    • MarsKaa MarsKaa

      rêvons, rêvons, il en restera toujours quelque chose… 🙂

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    • neomars neomars

      Et peut-être que les cadres supérieurs attendus en ont aussi besoin !? Et aussi d’écoles (EN BON ETAT), de transports en commun efficaces, …

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    • Tarama Tarama

      Il n’y a pas que les cadres supérieurs qui ont besoin d’écoles, de piscines, etc. Les enfants de pauvres vont aussi à l’école et ont aussi besoin d’apprendre à nager.

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  6. Vam13 Vam13

    Gaudin à poussé pour le centre ville lors de son premier mandat?
    Merde, je devais être dans le coma, j’ai rien vu

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    • LaPlaine _ LaPlaine _

      Il a poussé pour “rien du tout” et depuis toujours, il ne fait rien.

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    • Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

      De toute façon il a “changé d’idée”…

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    • Tarama Tarama

      Il a poussé… les commerces à fermer, oui.

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  7. Voyageur Voyageur

    En dépit du manque de logement à prix décents sur Marseille (c’est-à-dire dont le loyer est en rapport avec le salaire médian marseillais), la spéculation va bon train sur les anciens appartements de Société immobilière marseillaise : comptez €600 mensuel pour un minuscule T2 sur cour. L’actuel propriétaire préfère laisser des centaines d’appartements vides afin de maintenir le montant des loyers au plus haut niveau jamais atteint sur la région !

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  8. Voyageur Voyageur

    Il est utile de rappeler que “la réhabilitation” de la rue de La République et ses alentours (Panier, Ste Barbe) a été menée avec de l’argent public (Ville, Etat, Région ET Europe).

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