“Dans un quartier abandonné comme les Flamants, le retour du médecin c’est inespéré”

Reportage
le 17 Nov 2023
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En ouvrant un deuxième centre de santé dans les quartiers Nord, l'assistance publique hôpitaux de Marseille (AP-HM) vise à renforcer l'offre de soin en médecins de ville, très faible par endroits. Pour ce faire, l'hôpital public recrute des généralistes, quitte à faire grincer quelques dents chez les libéraux.

Alexander Sclafer, médecin généraliste recruté par l
Alexander Sclafer, médecin généraliste recruté par l'assistance publique hôpitaux de Marseille (APHM). Il consulte au centre de santé du Grand Saint-Barthélémy ouvert par l'APHM en octobre 2023, aux Flamants (14e). (Photo C.By.)

Alexander Sclafer, médecin généraliste recruté par l'assistance publique hôpitaux de Marseille (APHM). Il consulte au centre de santé du Grand Saint-Barthélémy ouvert par l'APHM en octobre 2023, aux Flamants (14e). (Photo C.By.)

Casquette noire et sweat raccord, le quinquagénaire tient à la main une ordonnance à renouveler. Il tourne et vire dans la salle d’attente flambant neuve aux chaises pimpantes, orange et violettes. “C’est joli, c’est propre”, constate-il, presque surpris. Rayanne* habite tout près des Flamants. Au cœur de cette cité du 14e arrondissement, en face d’un terrain de jeux pour enfants et à quelques pas d’un point de deal très actif, l’assistance publique hôpitaux de Marseille (APHM) a ouvert à la mi-octobre son deuxième centre de santé dans les quartiers Nord.

Après l’inauguration du centre des Aygalades (15e) en janvier 2022 – le premier porté par un centre hospitalier universitaire (CHU) en France -, il s’agit pour l’hôpital public de venir compenser une offre de soins, notamment en médecine générale, particulièrement faible dans cette partie de la ville. “On n’avait pas le choix. Nous sommes dans les quartiers Nord, un territoire où la médecine libérale est décimée”, avance Johanne Menu, directrice adjointe de l’hôpital Nord et directrice référente des centres de santé de l’APHM. Les chiffres sont éloquents. En 2020, la densité de médecins généralistes s’établit autour de 125 pour 100 000 habitants à l’échelle nationale, elle est de 112 pour Marseille. Elle plafonne à 101 généralistes pour 100 000 habitants dans les 13e et 14e arrondissements, à 98 dans le 16e et dégringole à 69 dans le 15e. Quand elle atteint 174 dans le 8e. À Marseille, pointe la directrice, “le problème n’est pas tant le manque de médecins en lui-même, qu’un déséquilibre dans leur répartition.” 

“État de santé dégradé”

Corollaire de cette offre carencée, les habitants de certains de ces territoires se soignent moins bien. Voire plus du tout. “De ce fait, l’état de santé de la population est dégradé. Avec des pathologies liées à la pauvreté, aux problématiques de logement, à la difficulté de se chauffer…“, détaille encore Johanne Menu. L’état des lieux socio-sanitaire et environnemental dressé dans les quartiers Nord par l’observatoire régional de la santé avant l’ouverture des centres de santé de l’APHM dresse le constat “de données de mortalité moins favorables” que dans le reste de la région. L’observatoire estime ainsi que 20 % des décès y surviennent de manière prématurée (avant 65 ans).

Dans la salle où il consulte désormais, au rez-de-chaussée de ces 390 mètres carrés loués au bailleur social 13 Habitat, Alexander Sclafer confirme cet état de santé altéré d’une partie de la population. Dans ces quartiers, un assuré social sur cinq est suivi pour une affection de longue durée. “Notamment des maladies cardiovasculaires et du diabète”, synthétise le médecin généraliste nouvellement installé.

La pénurie est impressionnante, les gens doivent aller parfois dans l’arrondissement d’à côté. Mais comment faire quand il y a si peu de transports ?

Une patiente

Un diabète chronique au suivi aléatoire, c’est d’ailleurs ce qui amène Madjia, 87 ans, habitante de longue date des Flamants. L’octogénaire se déplace en fauteuil roulant. Sa belle-fille, native des quartiers Nord, l’accompagne. Les déserts médicaux, la quadragénaire volubile connaît : elle travaille “à la sécu”. En attendant l’heure de la consultation, elle dessine un paysage sinistré : “La pénurie est impressionnante, les gens doivent aller parfois dans l’arrondissement d’à côté. Mais comment faire quand il y a si peu de transports ? Comment ma belle-mère qui ne peut pas se déplacer peut-elle bien se soigner ? C’est une vraie galère, croyez-moi !” Le SMS indiquant l’ouverture du centre de santé diffusé par le bailleur social 13 habitat auprès de tous ses locataires a été accueilli comme une aubaine. “Dans un quartier abandonné comme ici, le retour du médecin c’est inespéré”, reprend la belle-fille.

Aux Flamants, (14e), l'assistance publique hôpitaux de Marseille (AP-HM) ouvre un centre de santé pour pallier le manque de médecins généralistes.

Madjia et sa belle fille viennent pour la première fois pour une consultation. (Photo C.By.)

Alléger les urgences

En faisant visiter les locaux, Olivier Gauché, le coordinateur des deux centres, affiche aussi l’ambition “de redonner de la dignité aux personnes avec un bel accueil et du temps accordé”. Il détaille l’équipe pluridisiplinaire qui va grossir au fil du temps pour accueillir outre trois généralistes qui se relaieront, une sage-femme, une diététicienne, des infirmières spécialisées, une médiatrice en santé pour aider les patients vulnérables à dépasser les obstacles qui jalonnent leur parcours de soin… Un psychologue social de la santé, c’est-à-dire spécialiste des questions de prévention et de santé publique, est déjà dans les murs. “Nous voulons offrir une prise en charge globale avec orientation vers d’autres professionnels de santé, si besoin“, cadre le coordinateur. Johanne Menu insiste : “Ce que l’APHM propose n’est ni de la médecine low cost, ni de la médecine humanitaire qui s’installe à défaut d’autre chose.”

La lutte contre la fracture médicale n’est pas le seul objectif revendiqué. En investissant le champ de la médecine de premier recours, l’APHM veut également désengorger les services d’urgences, notamment celui de l’hôpital Nord, objet d’une surfréquentation chronique. Olivier Gauché décrit un cercle vicieux : “Quand il n’y a pas assez de médecins, la population est moins bien soignée. Et lorsque les pathologies deviennent aigües, les patients se retrouvent aux urgences. Or le nombre de lits n’y est pas en augmentation…” 

La démarche, rappelle Caroline Ageron, directrice de la délégation des Bouches-du-Rhône à l’agence régionale de santé (ARS), est issue “du plan Marseille en grand, dont l’un des volets et d’augmenter la présence des professionnels de santé dans les quartiers Nord”. L’agence régionale de santé est le principal soutien financier de l’exploitation des deux centres, avec une enveloppe de 250 000 euros allouée en 2023. “Dans d’autres endroits en France, ce sont les régions, départements ou mairies qui ouvrent ce type de centres. Ici les collectivités ne l’ont pas fait. Donc le président de la République a pensé à l’hôpital pour se positionner”, complète Johanne Menu. Pour autant les collectivités – Ville de Marseille, métropole et région – ont notamment mis au pot pour le financement des travaux d’investissement du centre des Flamants, d’un coût total de 230 000 euros.

Le graal du médecin traitant

Sa prescription toujours à la main, Rayanne espère que le généraliste qui va le recevoir acceptera d’être son médecin traitant. Car, plaide ce père de famille, rares sont les médecins de ville alentours à accepter de prendre de nouveaux patients. Or la consultation d’un médecin non-traitant n’est remboursée qu’à 30 % par l’assurance maladie, contre 70 % pour le médecin référent. “Moi j’ai un médecin traitant. Mais il n’a jamais de place. Il ne répond même plus au téléphone tellement il est débordé. Donc parfois il faut attendre trois heures dans un centre médical où on vous garde cinq minutes pour un minot malade… Résultat vous payez plus cher et votre gamin est moins bien soigné”, peste-t-il. Il lui arrive de pousser jusqu’à Saint-Antoine, à six kilomètres de là, lorsqu’un de ses enfants est malade.

“Ce matin j’ai vu sept personnes, elles m’ont toutes demandé d’être leur médecin traitant”, explique Alexander Scafer, qui arrive de Saint-Denis où il travaillait dans une structure similaire. Cette crainte du soin lorsqu’il “coûte” trop, le jeune généraliste la ressent. Ici, indique-t-il, les patients renoncent régulièrement à des examens complémentaires ou des bilans sanguins. Embauché cet été par l’assistance publique marseillaise, le médecin de 31 ans cumule un mi-temps dans ce centre et un autre à la permanence d’accès au soin à l’hôpital de la Conception.

Des généralistes à l’hôpital

Des généralistes recrutés par l’hôpital public ? L’initiative est rare. Avec la reprise en main prochaine par l’APHM du centre André Roussin, tout près de la Castellane, dans le 16e, l’hôpital marseillais ambitionne de recruter neuf équivalents temps plein de médecins de ville. Et malgré les complexités du territoire, comme par exemple aux Flamants la présence ostensible du point de deal, “ces voisins avec lesquels il faut composer”, comme dit le coordinateur Olivier Gauché, l’APHM a reçu plus de candidatures qu’escompté.

 Le public qui vient suppléer la pratique libérale : voilà qui fait tousser les tenants de la liberté d’installation.

L’APHM assume donc d’offrir, comme le définit ce dernier, “des structures attractives” pour les généralistes tentés par l’aventure pluriprofessionnelle mais aussi, par le salariat. Outre la dimension “politique” d’aller prodiguer “du soin là où c’est le plus nécessaire”, Alexader Sclafer atteste de cet intérêt pour le salariat dans une structure où le fonctionnement en équipe lui laisse plus de temps pour aborder autant la complexité des pathologies que les problématiques sociales de ce territoire.

600 patients contre 1200

Le public qui vient suppléer la pratique libérale : voilà qui fait tousser les tenants de la liberté d’installation. Certains raillent aussi un fonctionnement aux lourdeurs administratives propres à l’hôpital public. Guillaume Michelon, le président départemental du syndicat des médecins généralistes MG France s’alarme, lui, pour un exercice libéral devenu “tellement peu attractif que le public est obligé de le faire”. Il voit dans l’ouverture des centres pilotés par l’APHM une “réponse politique” à la problématique. “Dans un centre comme celui-là, un généraliste va travailler 35 heures et avoir une patientèle de 600 patients quand celle d’un libéral est de 1100 ou 1200. Avec une telle pénurie de médecins, est-ce qu’on peut se permettre de voir si peu de patients ?”, interpelle-t-il.

Florence Zemour, représentante de l’union régionale des professionnels de santé (URPS), tente une voie médiane : “Il y a un problème de démographie médicale et d’attractivité pour la pratique libérale indéniable. L’hôpital sort là de son champ traditionnel. Mais nous sommes tous dans la même galère. Il faut donc travailler dans la complémentarité, en faisant en sorte d’offrir toutes les possibilités, de respecter toutes les sensibilités, des médecins qui souhaitent devenir salariés comme de ceux qui ne le souhaitent pas.” 

Ces grincements de dents suscitent l’étonnement chez les porteurs de projet. “Nous ne sommes pas dans des environnements où l’enjeu c’est la concurrence, ici l’enjeu c’est l’accès aux soins“, tance Caroline Ageron de l’agence régionale de santé. D’ores et déjà, l’ARS dit s’engager à doubler d’ici à 2028, le nombre d’ouvertures de maisons et de centres de santé de ce type dans les quartiers les plus carencés de Marseille.

*Le prénom a été changé. L’homme a choisi de donner le prénom de son fils.

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Commentaires

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  1. RML RML

    Le syndicat des médecins généralistes est en dessous de tout dans ses remarques…après tout c est quand meme la faute de ses syndiqués si on en est là !
    Cet article montre bien le gap su il y a entre l accès au soin et la concurrence. Édifiant. Et terrifiant aussi.

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  2. Alceste. Alceste.

    Les syndicats des médecins libéraux qui en fait ne le sont pas, oublient souvent que leur employeur est la sécurité sociale, donc nous . Un vrai médecin libéral est un médecin non conventionné aux honoraires libres.
    Alors ils ralent comme des putois car monsieur “ON” touche à leur pseudo libéralisme. Une atteinte à leurs droits selon eux.
    Ils oublient que le “numerus clausus” a été demandé par leurs propres syndicats à l’époque afin de se garantir leurs chiffre d’affaires , chiffre d’affaire renforcé et amélioré par tout un tas de mesures fiscales et de dépassements d’honoraires ( Paca et Paris) et de primes suivant la patientèle ( n’oublions pas le cout faramineux des injections du vaccin COVID durant la pandémie).
    Alors allumer des incendies et crier au feu ensuite , cela va 5 minutes.
    L’APHM a bien fait. Bravo.

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    • BRASILIA8 BRASILIA8

      Tout est dit
      J’ajouterai qu’ils ne veulent plus faire de garde d’où un afflue aux urgences

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  3. Richard Mouren Richard Mouren

    Le seul commentaire possible aux déclarations surréalistes du représentant départemental de MG France (qui pratique à Sénas, ville qui bénéficie de huit généralistes pour 7000 habitants – coefficient 120), est de redonner les chiffres de la densité comparée des médecins généralistes pour Marseille 16°: 98 et pour Marseille 16°: 69………. Il aurait été intéressant de connaître la position du Conseil de l’Ordre des Médecins.

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