Dans les services de réanimation, “le plus dur, c’est d’interdire les visites des familles”

Interview
le 16 Avr 2020
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Les services de réanimation sont au coeur de la gestion de la crise sanitaire que nous vivons. Infirmier dans ce secteur à l'hôpital Nord, Maxime Perrodet livre à Marsactu son quotidien du moment, ses craintes et ses motivations.

Photo extraite du compte Instagram de Maxime Perrodet @reanimationdris.
Photo extraite du compte Instagram de Maxime Perrodet @reanimationdris.

Photo extraite du compte Instagram de Maxime Perrodet @reanimationdris.

Depuis plusieurs semaines, ils sont au cœur du réacteur. Le personnel des services de réanimation reçoit les patients les plus atteints par le coronavirus, qui provoque des détresses respiratoires. Comment vivent-ils la crise ? Quel est leur quotidien ? Maxime Perrodet a accepté de répondre à ces questions. Infirmier en réanimation à l’hôpital Nord de Marseille, il est en première ligne face à l’épidémie dans la région.

Son service de médecine intensive et réanimation est en effet spécialisé dans les détresses respiratoires et infections graves, et son chef, le professeur Laurent Papazian, coordonne les réanimations dans toute la région. L’hôpital Nord a été le premier à recevoir des patients en “réa” contaminés par le Covid-19 à Marseille. Avant que la Timone et les autres hôpitaux de l’assistance publique, mais aussi Saint-Joseph ou encore l’hôpital européen s’en chargent également.

Sur quels points la façon dont vous exercez votre profession diffère depuis le début de la crise sanitaire ?

Il nous a fallu nous réorganiser pour créer des nouveaux lits d’hospitalisation en un temps record. Nous avons pratiquement triplé nos lits en réanimation en moins d’un mois !

Ce processus a été établi en plusieurs phases. Nous avons participé à cette réorganisation dans la préparation des secteurs, dans l’aménagement du matériel, dans la formation du personnel venu en renfort pour nous épauler. Mais nous ne sommes qu’une partie de l’organisation. Le plus important du travail d’organisation a été réalisé par l’équipe de direction de l’Hôpital Nord, l’équipe de la direction des soins, notre chef de service, notre équipe d’encadrement. Ils ne comptent plus leurs heures depuis le début de l’épidémie.

Il a aussi fallu nous réorganiser pour respecter les mesures d’hygiène, changer nos pratiques régulièrement pour améliorer les prises en soins. Nous avons fait preuve d’adaptation.

Pouvez-vous nous décrire une journée type en ce moment ?

Notre journée commence à 6 h 45 et se termine à 19 h. Mes heures de travail n’ont pas augmenté car nous sommes épaulés par des renforts venus d’autres services. Nous avons à charge 2,5 patients par infirmier. C’est un quota régi par un décret de loi de 2002 que nous respectons. Nous commençons par réaliser la relève avec l’équipe de nuit. L’infirmier de nuit nous raconte brièvement les détails de l’hospitalisation du patient, et les évènements qui se sont déroulés les jours précédents et durant la nuit. Ensuite, nous réalisons la mise en sécurité du patient.

La mise en sécurité se fait notamment avec des appareils électroniques, comme les respirateurs qui maintiennent artificiellement les fonctions respiratoires du patient, comme l’explique Maxime Perrodet dans un compte Instagram dédié à son service, dont nous publions des extraits au fil de cet entretien. NDLR.

Nous réalisons ensuite, avec la collaboration de l’aide-soignant, les soins d’hygiène et de confort, les réfections des différents pansements et les changements des différents équipements du patient.

https://www.instagram.com/p/B-m_Q6PKpbF/?utm_source=ig_web_copy_link

Vient ensuite la visite du médecin senior, de l’interne et de l’externe en formation pour établir en collaboration avec nous les objectifs à réaliser au cours de la journée pour chaque patient. Nous préparons en parallèle tout au long de la journée en respectant les horaires, les différents traitements prescrits (perfusion d’hydratation, poche d’alimentation, antibiotiques, etc.).

Une deuxième visite médicale est réalisée en fin d’après-midi pour consulter les bilans sanguins. Cette visite permet également d’évaluer le patient au regard des objectifs fixés le matin. L’équipe de nuit vient nous relayer à 18 h 45. Nous leur transmettons les informations importantes pour permettre la continuité des soins. Tout au long de la journée, nous devons également gérer les entrées de nouveaux patients, les transferts et hélas les décès.

https://www.instagram.com/p/B-egEPgiKuX/?utm_source=ig_web_copy_link

Quelle a été l’évolution de cette crise dans votre service ?

Nous avons eu la chance d’avoir le temps de nous préparer. Notre chef de service est en étroite relation avec d’autres réanimateurs parisiens et du Grand Est. Lorsque la crise sanitaire a commencé dans le Grand Est, il nous a réuni et nous a préparé à la possibilité de vivre la même chose. Ce n’était pas une réunion formelle car nous sommes limités pour nous réunir, et nous sommes nombreux dans le service. C’était plutôt des messages d’encouragement, qu’il allait falloir faire preuve de solidarité entre nous.

https://www.instagram.com/p/B-iCxaIIriA/?utm_source=ig_web_copy_link

Aujourd’hui, la grande inquiétude est de ne pas avoir assez de lits, de matériel et de personnel pour accueillir tous les patients. Nous avons fait appel aux dons. L’AP-HM a crée une adresse mail pour les centraliser.

Notre équipe d’encadrement a tout de suite mis en place un plan de recrutement pour créer une équipe de renfort. Des anciens collègues infirmiers et aide-soignants ayant quitté le service se sont rapidement manifestés pour venir nous aider.

Nous sommes très inquiets de la façon dont la crise va évoluer. Va-t-on avoir beaucoup d’autres patients ? Nous ne le savons toujours pas.

Qu’est-ce qui est le plus dur pour vous en ce moment ?

Le plus difficile pour nous, et surtout pour les patients, c’est que nous sommes obligés d’interdire les visites de leur famille. Les patients sont seuls, les familles n’ont des nouvelles de leur proche que par téléphone. Nous nous efforçons de mettre en place des moyens pour que les patients voient leur famille par visio-conférence à l’aide de tablettes.

Nous ressentons que c’est très difficile pour elles de ne pas voir leurs proches. Ils sont tout de mêmes compréhensifs, nous soutiennent, nous remercient. C’est ce qui me touche le plus. C’est important pour le patient que sa famille vienne le voir, pour lui remonter le moral, pour l’encourager, et cela ne peut pas être fait. Heureusement que nous avons à notre portée les nouvelles technologies pour maintenir le lien social indispensable à leur guérison.

Qu’est-ce qui, à l’inverse, vous donne de la force ?

Cet élan de générosité de toute la population. Chaque soir, à 20 h, la population nous applaudit sur le balcon, et cela nous touche énormément. Nous sommes également touchés par les entreprises, les restaurants, les traiteurs, qui nous font parvenir des dons et des super repas. Toute la population et les entrepreneurs travaillent indirectement avec nous afin de soigner toutes ces personnes.​

https://www.instagram.com/p/B-t52OXoDY6/?utm_source=ig_web_copy_link

Habituellement, nous n’avons pas un tél élan de générosité. Nous avons des cadeaux des familles lors des fêtes de fin d’année etc., mais là nous avons des dessins des enfants pour nous encourager, des dons de particuliers, d’amis de soignants qui cuisinent pour nous. Cela fait vraiment chaud au cœur.

Que pensez-vous de la gestion de cette crise par les pouvoirs publics ?

Les pouvoirs publics, et l’État notamment, c’est autre chose. Je constate que toutes les équipes soignantes sont au rendez-vous et que l’État peut compter sur nous alors que nous disons à notre président depuis un an que le système hospitalier va très mal, que nous manquons de moyens et que nous sommes sous-payés. Je suis vraiment dégoûté que nous ayons besoin d’une épidémie majeure pour qu’Emmanuel Macron se décide à nous revaloriser. Nous attendons avec impatience les différentes mesures qu’il nous a promis. Nous ne lâcherons pas notre combat.

https://www.instagram.com/p/B-4xRrLqbMk/?utm_source=ig_web_copy_link

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Commentaires

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  1. Baissiere Baissiere

    Bravo !!!

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  2. Tarama Tarama

    Ce monsieur serait-il syndicaliste ? Il parle comme un porte-parole.

    Je ne trouve pas dans l’article la réponse à la question que je me pose, et que vous posez en premier : est-ce que ça a changé (dans la pratique de soin) ?
    Il part dans un long développement sur la réorganisation, qui relève plutôt des cadres, mais ne répond guère sur son travail à lui.

    Est-ce différent de réanimer des patients covid que des patients “habituels” ?
    C’est services sont ceux du dernier recours, quand la vie ne tient plus qu’à un souffle. Ils ont l’habitude d’être confrontés à l’extrême urgence,, à la mort.

    On note une différence (majeure) sur le rapport aux familles. Mais pour le reste…

    Peut-être que c’est la réponse à la question.

    Et quand commencera-t-on a interroger la crise sanitaire à venir, du fait de “l’abandon” des autres pathologies ? Sujet abordé dans une brève il y a quelques jours.
    C’est déjà le cas dans les hôpitaux.
    On aura sauvé quelques milliers de patients covid, mais qu’est-ce ça vaudra si on laisse mourir où se dégrader fortement d’autres, en nombre peut-être plus important ?…

    On a beaucoup parlé du “choix” de vie ou de mort dans les services saturés dans l’est ou en Italie.
    On ne parle pas du choix de soin entre patients covid et autres maladies.
    C’est moins vendeur et ne répond pas à l’hystérie collective du moment.

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  3. ALAIN B ALAIN B

    Pourquoi syndicaliste !!!!
    C’est la description de son travail dans la journée quand même de 6h45 à 19h et nous permet de comprendre la difficulté de son travail à propos de cette terrible maladie
    Personnellement article intéressant
    Pourquoi pas un prochain article sur les répercussion sur les autres services

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    • Tarama Tarama

      Ce n’est pas péjoratif dans ma bouche. Il y a des professions où il y a des personnes relais comme ça.
      Ça me donne l’impression d’un discours un peu formaté, déjà entendu à droite à gauche.
      Peut-être aussi parce que j’ai déjà lu d’autres témoignages.

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  4. Alceste. Alceste.

    TARAMA , je ne saisis pas le sens profond de votre observation :”Et quand commencera-t-on a interroger la crise sanitaire à venir, du fait de « l’abandon » des autres pathologies ? Sujet abordé dans une brève il y a quelques jours.”
    Ces sous-entendus , je ne les comprends pas ou plutôt je ne veux pas les comprendre. Vous insinuez que les cardiologues, neurologues , gastros abandonnent dans leurs services leurs patients. Ce que vous dites est proprement odieux et insultant. Odieux par le fiel déversé et insultant pour les services mis en question.
    Je ne le vous souhaite pas , mais si jamais vous êtes hospitalisé vous verrez si vous êtes abandonné. Alors TARAMA faites le tri parmi les conneries qui sont racontées par des journalistes de caniveaux sur les chaînes d’infos, car les médecins de tri , ils n’en font point.

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    • Tarama Tarama

      Vous le comprendrez dans quelques semaines peut-être…

      Ou si c’est une communication officielle de l’AP-HM : https://marsactu.fr/bref/deux-tiers-dactivite-en-moins-aux-urgences-lap-hm-craint-une-deuxieme-crise-sanitaire/

      Les moyens n’étant pas illimités, ceux mobilisés par et sur Covid ne le sont plus sur d’autres pathologies…
      et cela ne va pas aller sans effets, comme le craint le directeur général de l’AP-HM (qui est je crois une source valable).

      C’est du bon sens que de comprendre cela, ce n’est injurier personne. Ce sont des choix faits et qui impliquent plus la responsabilité des “stratèges” des opérations que des exécutants des discussions.

      De nombreux médecins ont soulevé ce sujet. Je tiens aussi “l’information” de connaissances travaillant à l’hôpital. Ce n’est pas une surprise, c’est de la logique pure : que la priorité donnée à covid impacte les soins apportés à d’autres pathologies.
      En terme de santé publique, l’arrêt même de la médecine de ville aura des répercussions lourdes à moyen et long terme.

      C’est cela que j’interroge. Les soignants font ce qu’ils peuvent dans les conditions qu’on leur impose, et beaucoup sont inquiets de la gestion de la crise.

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    • Tarama Tarama

      *des exécutants des décisions

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  5. Alceste. Alceste.

    Petit un. Il n’y a pas d’arrêt de la médecine de ville, j’étais chez mon généraliste hier soir.
    Petit deux. Bien sûr les moyens ont été mobilisés contre cette”vacherie”. Se faire refaire le nez peut attendre, je pense.
    Petit trois. Ce qui est inacceptable ce sont les façons de dire et de présenter les choses telles que vous les reprenez et que vous les représentez.
    Et je peux vous confirmer qu’un chef se service se fout totalement des stratèges face à un malade.
    C’est lui qui est responsable et pas le soi disant stratège. Pour info, un Interne de garde est dans le même cas. Alors les choix supposés…….

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