Artistes, habitants et experts au chevet du ruisseau des Aygalades

Échappée
le 27 Nov 2021
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Dans le Nord de Marseille, le petit fleuve côtier retrouve lentement sa nature malgré les nombreuses pollutions, avec le concours de la population et l'implication de la Cité des arts de la rue.

La cascade connaît un certain succès lors des jours d
La cascade connaît un certain succès lors des jours d'ouverture. (Photo : Gaëlle Cloarec)

La cascade connaît un certain succès lors des jours d'ouverture. (Photo : Gaëlle Cloarec)

Un étonnant petit fleuve côtier serpente dans les quartiers Nord. Bardé des déchets plastiques apportés lors du dernier orage, le ruisseau des Aygalades dévale du massif de l’Étoile, à travers vallons, zones industrielles, résidences HLM et réseau routier. Malgré des tronçons cimentés, busés, c’est l’un des rares cours d’eau circulant largement à l’air libre, sur son tracé de dix-sept kilomètres, avant de se jeter dans la Méditerranée, au pied de la tour CMA-CGM. La majorité des fleuves côtiers sont recouverts, comme son voisin, le Jarret, disparu sous une rocade qui a pris son nom.

Accessible sur certaines portions, le ruisseau des Aygalades est pétri de contradictions. Muni de chaussures adéquates, on peut le longer en passant par la Cité des arts de la rue, pour atteindre une cascade, très prisée par la bourgeoisie locale au XIXe siècle, aux goûts champêtres. La structure culturelle aménage le cheminement le long des berges via un chantier d’insertion et organise régulièrement des collectes de macro-déchets. Malgré ces efforts, sachets de Capri sun, masques anti-Covid et autres bidules non biodégradables reviennent tourbillonner dans la vasque avant de festonner les berges.

L’expérience est toute de dissonance cognitive : dans cette oasis de verdure, les rebuts de la société de consommation côtoient de poétiques œuvres d’art – telle cette Noria sonore conçue juste un peu plus haut, dans les ateliers de Sud side- et une biodiversité qui ne renonce pas. La compagnie Generik vapeur peut répéter à toute blinde son prochain spectacle à base de gros moteurs et guitares saturées, une paisible couleuvre, animal timide s’il en est, poursuit son bonhomme de chemin jusqu’au prochain buisson sans y faire attention.

Émulation collective

Pour nettoyer cet espace, les citoyens ne chôment pas. “Fin mai on a organisé l’opération Plastic valley, une grande journée de ramassage des déchets, dans le cadre de l’opération Calanques propres, explique Aurélie Dor, membre du collectif des Gammares. L’objectif étant d’avoir une vision globale : chacun ramasse dans son lieu le long du cours, puis on se retrouve pour comptabiliser et faire la fête”. Les idées abondent pour prendre soin et valoriser le ruisseau : la collecte se fait avec des pinces en cannes de Provence ultra-locales, les jeunes du centre social de la Gavotte Peyret ont composé un rap en l’honneur du cours d’eau et une remarquable Gazette du ruisseau a vu le jour.

À l’origine de cette parution, les Gammares, dont font partie le Bureau des guides du GR2013, la coopérative Hôtel du Nord, l’ApCAR, les CIQ riverains, Sud side ou le collectif d’artistes-marcheurs Safi.  Dans le numéro 2 (hiver-printemps 2021), figure un roman-photo réalisé par l’illustratrice Amélie Laval, qui a suivi le Bureau d’études techniques Biotec, spécialisé dans la restauration des milieux aquatiques. “L’eau n’est pas neutre, conclut la gazette, mais pétrie d’enjeux sociaux, institutionnels, politiques”.

Autour du ruisseau, une émulation de projets et d’activité voit le jour. (Photos : Gaëlle Cloarec)

Particulièrement par gros temps climatique : la Provence, comme le reste de la France – et de la planète – va en manquer dans les décennies à venir. C’est la grande angoisse du paysagiste-jardinier Éric Lenoir, venu donner une conférence marchée le 7 novembre dans le cadre des “Dimanches aux Aygalades”, portes ouvertes à la Cité des arts de la rue. “Vous avez une chance incroyable, répétait-il. Pour moi, il était inespéré d’avoir accès à autant d’eau douce à Marseille, et de voir tant de gens en prendre soin !

Ici, les scientifiques de l’IMBE (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale) ont conclu après étude à de bonnes potentialités écologiques, si l’on parvient à améliorer la qualité de l’eau. Lui suggère des pistes, précautionneuses car “toute intervention peut avoir des conséquences qui risquent de nous dépasser”. Il suggère par exemple de disposer quelques filets pour récupérer les plastiques, de rouvrir certains passages couverts à la lumière pour favoriser la biodiversité, d’utiliser des végétaux capables de fixer les polluants, afin qu’ils ne se répandent pas… Et de veiller, avant tout à partager des connaissances et relier les initiatives à l’échelle du bassin versant. 

Pollution invisible

Les déchets plastiques ne sont pas les seuls coupables. Les encombrants et carcasses de voitures se font peut-être plus rares, mais le ruisseau est pollué au Chrome VI, cancérogène. Lors du congrès mondial de la nature, en septembre, France nature environnement a lancé le débat sur son stand, en invitant pour en parler Aude Vandenbrouck, secrétaire générale de la Cité des arts de la rue et Aurélie Dor, représentant l’association Action environnement Septèmes et environs, très investie sur les pollutions invisibles qui touchent le ruisseau : le mercure, les engrais, mais aussi sur la question des résidus de la société Spi Pharma. Cette dernière, implantée à Septèmes, commercialise des pansements gastriques et rejette en amont des sels métalliques.

Les bords du cours d’eau sont bien souvent jonchés de déchets plastiques. (Photo : Gaëlle Cloarec)

L’agence de l’eau, parmi d’autres actions de contrôle, accompagne cette entreprise pour réduire ses émissions sur le bassin des Aygalades, alors qu’elles sont aujourd’hui évaluées “dans des proportions significatives et impactantes pour le ruisseau”. En attendant une mise aux normes qui tarde à venir, l’agence environnementale a l’œil sur les précipités blancs apparaissant dans le courant. Ainsi que sur les carrières de Lafarge-Holcim. Croisé sur le sentier, un familier des lieux, Philippe, explique : “Ce sont eux qui gèrent le flux. En cas de grosses intempéries, (…) tout se déverse dans le lit”. Contactée par nos soins à ce sujet, l’entreprise réfute cette analyse et affirme respecter les limites fixées par la préfecture. “Lorsque les précipitations excèdent un certain niveau horaire les pompes de transfert sont automatiquement stoppées ce qui permet d’éviter tout effet amplificateur de montée des eaux à l’aval du ruisseau”, assure le cimentier, qui indique aussi qu’aucun incident n’a été constaté.

“Renaturer”, une expérience au long cours

Le ruisseau des Aygalades “ressemble parfois à un caniveau“, reconnaît Annick Mièvre, directrice régionale de l’agence de l’eau. La structure va financer, pour la métropole Aix-Marseille, sept postes de chargés de mission qui démarcheront les entreprises riveraines afin de réduire leurs rejets polluants. Le cours d’eau fait aussi partie du projet de parcs urbains, porté par Euroméditerranée. L’établissement public d’aménagement entreprend de “renaturer” quatorze hectares aux Aygalades et quatre à Bougainville dans un secteur où les espaces verts manquent particulièrement. La première tranche de travaux devrait commencer l’année prochaine. Il faut supprimer du bâti, désimperméabiliser les sols, ce qui permet de réduire les risques d’inondation”.

Viendra peut-être un temps où les Marseillais pourront longer le ruisseau sur plusieurs kilomètres, en bénéficiant de sa fraîcheur lors des canicules, mettre les pieds dans l’eau sans slalomer entre les sacs plastiques, ni s’imprégner de métaux lourds. Éric Lenoir rêve plus loin et imagine pouvoir “faire en sorte que l’on reconnaisse des droits à la rivière, pour que l’empoisonner soit interdit, tout comme on ne peut pas empoisonner impunément un être humain”

Actualisation le 01/12/21 : ajout des explications de Lafarge concernant les effets de son site sur le cours du ruisseau et modification de la citation précédente.

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Quel dommage que le vrai nom de ce cours d’eau ait été éradiqué ! Par des “géographes” ou des fonctionnaires venus d’autres contrées ? Parce que c’est compliqué à prononcer ? Parce que ça ressemble à une langue étrangère ?
    Le BIAOU n’est pas un ruisseau, c’est un fleuve côtier ! Il ne fait que passer aux Aygalades ! Quel dommage que Marsactu se fasse complice de cette petite négation de l’identité provençale ou marseillaise !

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    • Andre Andre

      Petite précision, biaou ou “biau’ est le provençal de béal qui désigne un canal.
      Quand j’étais gamin on l’appelait aussi couramment le “bachas”. Il existe d’ailleurs une traverse du Bachas. Ce mot est guère flatteur car il désigne en provençal un fossé, un cloaque, ce que ce cours d’eau a dû rapidement devenir à la fin du XIXe avec l’industrialisation du quartier.

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  2. Titi du 1-3 Titi du 1-3

    A propos d’Eric Lenoir, je vous recommande le lecture de son livre “petit traité du jardin punk – Apprendre à désapprendre” aux éditions terre vivante – 10 €..
    Egalement le livre de photos ayant comme thème le ruisseau des Aygalades et comme auteur-photographe Geoffroy Mathieu : “la mauvaise réputation” Zoème éditions (zoeme.net).

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    • Jagam Jagam

      Éric Lenoir vient de publier, toujours chez Terre vivante, Le grand traité du jardin punk (plus de 200 pages,25€). Une somme pour qui veut jardiner sans perturber les écosystèmes et favoriser la biodiversité.

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  3. PierreLP PierreLP

    Même si l’article parle du ruisseau des Aygalades (que l’on appelle parfois Caravelle), il précise bien que c’est un fleuve côtier, puisqu’il se jette dans la mer et qu’il a des affluents.
    Par contre le Jarret, affluent de l’Huveaune, est une rivière.

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  4. BRASILIA8 BRASILIA8

    De nombreux moulins qui ont utilisé l’eau du ruisseau le dernier a cessé de fonctionner dans les années 50

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  5. MarsKaa MarsKaa

    Article intéressant car bien écrit et abordant les diverses problématiques et acteurs du “dossier”.
    Ah si seulement… on avait agi plus tôt !
    J’espère que Marseille va pouvoir retrouver, aménager, protéger, ces espaces oubliés, essentiels à tout point de vue (écologique, social, sanitaire…),
    Et cessez d’en bousiller.

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