[34 écoles marseillaises offertes aux géants du BTP] “Qu’est-ce qui va arriver aux autres ?”

Interview
le 30 Mar 2018
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Séverine Gil est présidente de l'association de parents d'élèves MPE 13, en pointe sur les mobilisations locales depuis la mise en place des rythmes scolaires, et plus récemment lors de la polémique sur l'état des écoles en 2016. Si l'association est particulièrement sévère sur la gestion des écoles par la Ville, elle voit dans le partenariat public-privé une prise de risques bien trop importante et un symbole "choquant".

[34 écoles marseillaises offertes aux géants du BTP] “Qu’est-ce qui va arriver aux autres ?”
[34 écoles marseillaises offertes aux géants du BTP] “Qu’est-ce qui va arriver aux autres ?”

[34 écoles marseillaises offertes aux géants du BTP] “Qu’est-ce qui va arriver aux autres ?”

Quelle a été la première réaction, parmi les parents d’élèves, à l’annonce du choix de la Ville de Marseille de passer par un partenariat public-privé pour rénover une partie de ses écoles ?

Séverine Gil : Certains ont été inquiets dès le début, mais ce n’est pas le cas de tous les parents, et moi la première. Il faut être un peu aguerri sur ces questions pour savoir de quoi il s’agit vraiment, des tenants et des aboutissants. Personnellement je me suis d’abord dit : “des financements sont débloqués pour les écoles, bon, pourquoi pas”. Mais les parents les plus connaisseurs nous ont vite alertés sur les risques que cela comporte.

J’ai eu le déclic lors de la première réunion publique où ont été exposés les risques, et là j’ai compris très vite. En parallèle, la Cour des comptes a publié un rapport défavorable aux PPP du ministère de la Justice, et la ministre Nicole Belloubet a annoncé qu’elle n’y aura plus recours, puis il y a un article dans Le Monde sur les PPP au Royaume-uni… Tout le monde est en train de faire machine arrière là-dessus, sauf Marseille, où on fonce droit dans le mur. Ce n’est pas du tout le bon choix. On espère qu’une marche arrière est possible mais il suffit qu’on leur dise qu’ils ont tort pour qu’ils s’entêtent. Ils ont tort, et ils le savent.

À très court terme, la mairie ne veut pas sortir d’argent, mais elle veut investir rapidement sur un certain nombre d’écoles. Qu’une entreprise pense à sa trésorerie à court terme, qu’elle pense en terme d’enjeux financiers, oui. Mais une collectivité publique, en revanche, doit avoir une vision à long terme.

Vous évoquiez les risques notamment financiers de cette opération, particulièrement coûteuse… 

Il y a la question du coût, bien sûr, mais ce n’est pas que ça. Ce qui nous choque, c’est qu’on puisse même penser se dessaisir de ce patrimoine que sont nos écoles. Sur les écoles, on est en retard. Et on a particulièrement besoin de quelque chose de souple, d’évolutif. Dans le cadre d’un PPP, il faudra à chaque modification faire des avenants au contrat, ce sera lourd, et cher. Si dans cinq ans, on nous dit qu’il faut passer à 20 élèves par classe, et donc modifier les salles, il faudra faire un avenant.

“C’est tentant mais trop risqué”

Je sais que des parents vont se dire “ouf, c’est tellement mal géré par la Ville qu’avec le privé, ça ne peut être que mieux”. C’est tentant, mais c’est trop risqué. On perd nos écoles. C’est notre argent, nos emplois. Les parents sont ceux qui devraient travailler à construire ces écoles. On ne fera pas appel à eux, parce que ce sera des grosses boîtes qui pourront contracter les PPP, qui feront appel à des travailleurs pas forcément locaux. Et ça va nous coûter un argent fou. Ce sont des énormités telles qu’on se dit : ce n’est pas possible, on va quand même pas faire ça.

Et puis il y a cette précision dans la délibération du conseil municipal : les entreprises disposeront du foncier pour y installer des locaux commerciaux, elle vont forcément vouloir en tirer de l’argent (lire notre article pour plus de détails). Le contrat c’est : “vous nous construisez des écoles, on vous paye, et en plus, cadeau, des terrains vides”. Ma fille en allant à l’école trouvera à la porte à côté une épicerie où acheter tous les bonbons qu’elle veut, et puis des boutiques tout autour, au-dessus, des banques… Et je ne parle pas des conditions de sécurité Vigipirate dans ces conditions. Moi, je préfère qu’il y ait un centre de loisirs, des espaces de jeux… Mais ça, ça ne rapporte rien. Tout cela va à l’encontre de toutes les valeurs, du rôle qu’on doit avoir vis-à-vis des enfants.

Vous parlez beaucoup du symbole de ce passage du public aux mains du privé, c’est un aspect qui suscite des réactions particulières parmi les parents d’élèves ?

Oui, ça fait beaucoup parler. On a organisé un atelier sur le sujet, et c’est ce qui choque les parents, qui se disent : “Ce sont nos écoles, pas celles de Jean-Claude Gaudin, lui il n’est que de passage”. C’est choquant de voir que si facilement, on s’en débarrasse. Ça montre le peu d’intérêt des élus pour leur patrimoine.

Un sujet de préoccupation est aussi de savoir quel budget il restera pour les 400 et quelques autres écoles restantes…

Oui, c’est une question qui revient. Pour le moment, on n’a pas toutes les réponses.  Il y a 445 écoles, il n’y aura pas de travaux possibles pour les autres.

Au début de l’année 2018, votre association publiait un calendrier pour rappeler aux élus l’état des écoles, en prenant l’exemple de celle de la Batarelle, où en est-on aujourd’hui ? 

“Leur plan Marshall, il s’arrête à 34 écoles”

Ils ont fait l’urgence, là ils attaquent le self après deux ans d’attente. Il y a eu des choses faites, mais il y en a plein d’autres, plus ou moins petites où on nous a dit tout simplement non. Pour les peintures, les fenêtres, les stores cassés, on ne fera plus rien. Et puis il y a le gag récurrent de l’agent qui vient avec les mauvais outils, revient la semaine suivante, oublie… Forcément, on se dit que le privé pourrait faire mieux, mais on se mettrait mal. Leur plan Marshall, il s’arrête à 34 écoles. Qu’est-ce qu’il va arriver aux autres ? À moins qu’ils ne sortent de leur chapeaux de nouveaux financements, mais je n’y crois pas.

Ils n’ont qu’à faire un appel d’offres, le confier à la Soleam, faire des lots, confiés à des sociétés du bâtiment locales et ils seraient en capacité de faire des écoles très vite. On a tout ce qu’il faut pour le faire ici, pour sous-traiter, sans passer par le PPP. Quel intérêt, si ce n’est de ne pas sortir l’argent tout de suite ?

Il y a treize ans, on avait plaidé pour une planification globale, pour ne pas faire les travaux au coup par coup. Mais ce n’est pas leur façon de travailler. Par contre, des loyers sur 25 ans, ils pensent qu’ils pourront les payer. Il faut investir maintenant, comme ça a été fait dans toutes les communes de France.

Globalement, depuis la polémique sur l’état des écoles il y a deux ans, comment jugez-vous l’avancée de la situation ? 

“La mairie ne sait pas ce qu’il y a dans son patrimoine”

Il y a eu des travaux pendant les périodes de vacances, mais la dégradation continue, il s’agit de bâtiments vivants. C’est un cercle infernal. Il faut un grand plan, et surtout un grand diagnostic. Personne ne l’a jamais fait, personne. La mairie ne sait pas ce qu’il y a dans son patrimoine. C’est nécessaire pour établir des priorités, avancer au fur et à mesure. Il n’y a aucune connaissance du parc. Il est gigantesque, mais comme pour les temps d’activités périscolaires, il n’y a pas d’évaluation. Il y avait eu un audit réalisé par KPMG qu’on n’a jamais vu, et là, c’est pareil.

Le MPE 13 va-t-il s’associer aux recours en justice contre le plan écoles de la Ville ? 

Non… Ce n’est pas rien pour une association fragile comme la nôtre, sans subventions, d’engager des frais de justice. On est dans l’incapacité de payer pour ça. Mais nous allons travailler pour mobiliser les parents, notamment lors de la réunion publique du 5 avril.

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Lisa Castelly
Journaliste

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