Sefo, 19 ans, menacé d'expulsion à deux mois du bac

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le 2 Avr 2014
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Sefo, 19 ans, menacé d'expulsion à deux mois du bac
Sefo, 19 ans, menacé d'expulsion à deux mois du bac

Sefo, 19 ans, menacé d'expulsion à deux mois du bac

"Quand je suis arrivé en France, je ne connaissais aucun mot… A part le mot "voiture", je ne sais pas pourquoi". Cinq mois plus tard, toujours en 2011, Sefo, le jeune Rom de 16 ans, parlait français couramment. Aujourd'hui, à deux mois de passer son bac économique et social "et de le réussir" selon sa professeur de philosophie Julie Morisset, il risque d'être expulsé. Cette nouvelle suscite un vrai mouvement de solidarité de la part du corps enseignant et des élèves. Près de lui, le jour de notre entretien, outre sa prof, un camarade, Manikanda, est venu témoigner son soutien. 

Assis sur un banc dans l'enceinte de la fac Saint-Charles, à quelques pas du lycée Victor-Hugo où il est scolarisé depuis trois ans, Sefo accepte de nous raconter son histoire. Les yeux rivés sur ses mains, se triturant nerveusement les doigts, il détaille comment ses parents ont dû quitter Tetovo, la ville de Macédoine où il est né pour demander l'asile en France. "Je menais une vie normale. Mon père travaillait avec mes oncles dans le textile. Les problèmes ont commencé en 2009. Mon père avait réussi à gagner assez d'argent pour monter une entreprise de métallurgie. Il s'est engagé dans un parti rom, ce qui n'a pas plu aux Albanais qui étaient au pouvoir. Parce que la Macédoine, c'est une démocratie. Ce n'est pas une dictature mais c'est comme la Russie…" La famille subit alors des pressions "politiques" qui vont la pousser à émigrer.

Demande d'asile rejetée

Régulièrement, ils sont victimes de racket et menaces. Les premiers temps, son père paie. Mais rapidement, il n'a plus les moyens et projette de quitter le pays. Dans ce climat peu favorable, Sefo finit par quitter l'école. La famille arrive en France vers la fin du mois de février 2011 – "le 22 ou le 24" – et demande asile. Comme souvent, leur dossier met plusieurs années avant d'être examiné. Fin 2013, il passe devant la cour nationale des droits d'asile. Mais leur demande est rejetée. "Ils ne nous ont pas crus, je ne sais pas pourquoi". Suite à cette décision, la famille fait l'objet d'une Obligation à quitter le territoire (OQTF). C'est contre celle-ci que Sefo et ses parents ont déposé un recours. Notamment motivé par le fait que Sefo se sent pleinement intégré dans son nouveau pays.

"Quand je suis arrivé en France, je ne suis pas allé directement à l'école. J'avais 16 ans et ce n'étais pas obligatoire. J'ai fait la demande moi-même. La scolarisation est très importante pour mes parents". Après avoir passé un test d'aptitudes auprès du Centre d'informations et d'orientation (CIO), il entre en avril au collège Longchamp en classe de 3e. "J'avais enfin la possibilité de devenir ce que je veux", suivre des études de droit et devenir avocat, "[son] rêve depuis [qu'il est] tout petit". Il a pu ensuite entrer en seconde au lycée Victor-Hugo. 

Préparé à partir

"Les deux premiers mois ont été les plus difficiles, confie-t-il. Je me souviens la première fois que je suis allé dans une boulangerie et que la vendeuse m'a demandé ce que je voulais". Il sourit : "j'avais l'impression d'être comme un enfant qui ne comprenait rien"Ici, à Marseille, il est un peu perdu. A part ses parents, il n'a aucune famille, aucun ami. Il doit recommencer une nouvelle vie. Les premiers temps, Sefo, ses parents et son petit frère Dzan s'installent à l'hôtel où ils vivent quatre ou cinq mois. Puis un premier logement leur est attribué par le Cada, le centre d'accueil des demandeurs d'asile à La Rose. Et depuis trois ans, ils sont installés dans un appartement à la Viste, dans le 15e arrondissement de Marseille. Cette apparente stabilité s'est effondrée fin 2013. En effet, comme tous les demandeurs d'asile, Sefo et sa famille ont reçu une allocation temporaire d'attente durant toute la période d'instruction de leur dossier. Mais depuis le rejet de leur demande, ils ne la perçoivent plus. "Aujourd'hui, nous n'avons plus de ressources". Sans papier, son père n'a pas le droit de travailler. "On est là de manière illégale. On ne peut pas mener une vie normale", lâche-t-il, les yeux toujours fixés vers le sol. Pourtant cette normalité est sa seule quête.

Au collège, il s'est très vite intégré. Il raconte que lorsqu'il expliquait aux autres élèves qu'il était rom, il n'a à aucun moment été rejeté. Bien au contraire, il attirait plutôt la curiosité et la bienveillance des autres. "J'étais assez intimidé au début. Les mentalités sont très différentes, les gens sont plus ouverts que dans mon pays d'origine".

Je n'ai pas eu de mauvais moments. Je ne regrette pas d'être venu en France. Ici, les gens m'acceptent comme je suis

Il est conscient que son intégration, son parcours scolaire peuvent paraître exceptionnels. "Je ne suis pas sûr qu'ailleurs, la mentalité soit la même. J'ai eu la chance d'être tombé sur les bonnes personnes. J'ai des amis demandeurs d'asile pour qui ça ne se passe pas bien".

Pour sa professeure de philo, Julie Morisset, ce n'est pas qu'une question de chance. S'il en est là aujourd'hui, c'est que Sefo s'est donné les moyens de réussir et de s'intégrer. "Il a appris l'allemand tout seul. Il est arrivé avec des armes intellectuelles". Car si le jeune homme est polyglotte (il maîtrise l'allemand, le français, l'anglais, le macédonien et le romani), il le doit à son travail acharné, en particulier après sa déscolarisation en Macédoine. "J'ai continué mes études tout seul. Au début, c'était avec mes parents mais ils ont vite été dépassés. j'avais l'habitude de lire cinq ou six heures par jour. Je savais qu'on allait partir et je m'y suis préparé. Ça m'a pris à peu près deux ans pour apprendre l'allemand. C'est un avantage par rapport aux autres et ça m'a permis d'apprendre le français plus vite. J'avais déjà la méthode".

"Je comptais pour eux"

Manikanda est à ses côtés depuis la classe de seconde. Ce garçon de 17 ans se souvient de leur rencontre : "La première fois que je l'ai vu, j'ai vraiment pensé que je ne pouvais pas être ami avec lui parce qu'on n'était pas de la même nationalité. Et pourtant, on est devenu amis et on a commencé à traîner ensemble". Il poursuit : "Je suis redevable à Sefo. Avant, j'étais assez réservé, renfermé sur moi-même et il m'a fait changer". Pour lui, c'est même une preuve de son intégration que d'arriver à le faire sortir de son cocon.

Quand il a appris l'histoire de Sefo et le risque de son expulsion, il ne l'a pas cru. "Il est meilleur que moi ! Il ne se donne pas à fond et il a de très bonnes notes. Ça me met la rage d'ailleurs", s'agace-t-il en souriant à son ami assis en face de lui. "Ce n'était pas possible qu'il ne puisse pas rester ici. S'il part, ce sera un gros manque." Sefo poursuit : "au début j'avais honte, j'avais peur du rejet. Mon histoire, je ne l'ai d'abord racontée à personne." Ce que confirme sa professeur : "c'est nous qui avons remarqué qu'il avait quelque chose de différent. Puis il nous a parlé". Le corps enseignant a ensuite transmis son témoignage aux élèves qui se sont rapidement rassemblés autour de Sefo. Une attitude qui a d'abord surpris puis touché le jeune homme. "J'ai vu à leurs visages que je comptais pour eux".

Depuis le rejet de la demande d'asile de Sefo et de sa famille, les enseignants et les élèves ont tenté des actions pour faire pencher la justice de son côté. "Ça nous a paru absurde qu'il ne puisse pas passer l'examen pour lequel on le prépare. Alors on a écrit des attestations à ajouter à son dossier pour témoigner de son intégration. Une pétition a été mise en ligne par Réseau éducation sans frontière pour laquelle on a récolté 1100 signatures à ce jour. Lundi dernier, on a organisé une grande soirée de soutien… Pour nous, c'est intolérable d'empêcher les gens d'étudier normalement".

A quelques heures de son audience, Sefo angoisse. Il veut pouvoir continuer ses études sereinement mais depuis quelques mois, il avoue avoir des difficultés à se concentrer. "Je suis perturbé dans mes pensées. Je ne veux pas mélanger ma scolarité et ma vie privée. Mais des fois je me dis que mon rêve ne se réalisera jamais". A la maison, depuis le rejet de la demande d'asile, l'ambiance est pesante, bien que ses parents tentent de masquer leur inquiétude. "L'atmosphère est triste mais mes parents essaient de sourire. On se dit toujours que si on est rejeté, les problèmes vont recommencer et on commence à perdre espoir. Mes parents font en sorte de remplir la réserve d'espoir".

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Commentaires

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  1. Anonyme Anonyme

    Espérons vraiment que ce jeune méritant pourra rester dans l hexagone.

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  2. Anonyme Anonyme

    “Menacé d’expulsion à deux mois du bac”. Voilà un titre accrocheur. Mais à la lecture de l’article on constate que cette famille, entrée illégalement en France il y a trois ans et depuis logée, nourrie, soignée et scolarisée aux frais de la société aurait déjà dû quitter le territoire depuis belle lurette… Ce jeune homme est sans doute méritant mais ni plus ni moins que des milliers d’autres dans notre pays qui aimeraient aussi qu’on leur donne un coup de pouce pour réussir leurs études et trouver un logement et du travail.

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  3. une de ses enseignante une de ses enseignante

    Je pense que la personne qui a répondu le 3 avril d’une manière si négative n’a pas bien lu l’article. Renvoyer quelqu’un dans son pays où il était obligé de quitter l’école et où son père est racketé et même menacé de mort – une information que j’ai eu au Tribunal…? Sefo a toutes les qualités pour réussir, bien eu delà de la moyenne. Nous voyons tous les jours des élèves et des jeunes bbien moins modèles que lui. Donc, ce serait une erreur énorme, voir une honte pour la France d’expulser ce jeune!

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  4. Anonyme Anonyme

    Pour répondre à Anonyme (3 avril, 14h47), je voudrais dire que chaque être humain qui dégage de l’énergie positive pour réaliser quelque chose qui élève le genre humain doit être soutenu dans sa démarche, qu’il soit seul ou des milliers… S’il faut soutenir Sefo, on le soutiendra, s’il faut en soutenir des milliers d’autres, soutenons les… Tout le monde ne naît malheureusement pas dans les mêmes conditions pour réussir sa vie !

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  5. Anonyme Anonyme

    La famille n’est pas rentrée illégalement en France. Elle a demandé l’asile auprès de l’OFPRA comme elle en a le droit. Il faut se renseigner avant de porter des jugements péremptoires.

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  6. JL41 JL41

    Il y a tellement d’enfants qui ne sont guère accrocheurs à l’école que le parcours de celui-ci force l’estime. Espérons que son vœu d’acquérir la nationalité française sera entendu.

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  7. Anonyme Anonyme

    En effet, il ne mérite pas plus que des milliers d’autres jeunes dans notre pays…Il ne mérite pas non plus davantage que des jeunes qui ont des difficultés à l’école… En revanche, il ne mérite pas moins. Contrairement à Anonyme/3 avril/14:47, je pense que ce sont tous ces jeunes qu’il faut aider, et pas se cacher derrière un “oui, mais il est pas le seul” pour finalement n’en aider aucun. France Terre d’asile… Un concept de plus en plus abstrait.

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  8. khatieu khatieu

    Comme la France a jugé utile de versé une allocation qui a permis à ce jeune homme de suivre des études, autant allez jusqu’au bout : il faut qu’il passe son bac ! sinon ça sera de l’argent gaspillé, utilisé juste pour le maintien en vie de ces gens, mais pas pour leur permettre de s’établir intelligemment… paradoxe non ? pour une fois qu’on a une personne qui veut faire des études… il est soutenu, alors, quoi, l’Etat n’est pas à deux mois prêt non ? on peut mettre des années à décider si oui ou non la demande d’asile est valide, on peut bien attendre un peu encore !

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  9. MAG MAG

    La question de son devenir aurait du être posée avant son inscription au lycée. En effet, n’est ce pas cruel de lui laisser espérer un avenir alors que l’on sait qu’il a une chance (ou plutôt une malchance)après lui avoir entrouvert une porte de la lui refermer sur le nez

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