[Nous, la politique] “Le summum, ce serait qu’un chef d’entreprise devienne président”

Série
le 11 Mar 2022
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Jusqu'au premier tour de l'élection présidentielle, Marsactu part à la rencontre de citoyens pour sonder leur relation à la politique et aux politiques. Et offre à un groupe de personnes, liées entre elles par un centre d'intérêt, un milieu social, un combat, un lieu de vie... l'occasion de débattre. Cette semaine Marsactu s'invite à une réunion de membres du Centre des jeunes dirigeants.

De gauche à droite, Erwan Lamour, Manuel Paris, Alexandre Barthélemy et Michael Sales, membres du Centre des Jeunes dirigeants de Marseille. (Photo C.By.)
De gauche à droite, Erwan Lamour, Manuel Paris, Alexandre Barthélemy et Michael Sales, membres du Centre des Jeunes dirigeants de Marseille. (Photo C.By.)

De gauche à droite, Erwan Lamour, Manuel Paris, Alexandre Barthélemy et Michael Sales, membres du Centre des Jeunes dirigeants de Marseille. (Photo C.By.)

Autour de la table, le profit n’est pas tabou. Ils sont quatre chefs d’entreprise ce mercredi soir, tous membres du Centre des jeunes dirigeants (CJD), venus parler politique avec Marsactu. “Le profit est un moyen et pas une fin en soi”, pose Erwan Lamour, 44 ans, secrétaire général de la société Aplim, spécialisée dans l’édition de logiciels pour le secteur éducatif. Président pour deux ans de la section marseillaise du CJD, le quadra se plaît à en rappeler le mot d’ordre : “Éveiller les consciences tout en remettant l’économie au service de l’Homme.”  Presque un programme politique en soi. Erwan Lamour abonde : “Lorsque je suis arrivé au CJD, on avait coutume de préciser que nous étions apolitiques. Maintenant nous disons plutôt que nous sommes politiques mais non partisans.”

Politiques, assurément, les quatre interlocuteurs du soir le sont. Tous iront voter à la présidentielle, les 10 et 24 avril prochains. Manuel Paris, 34 ans, président-directeur général de Soream, prestataire d’entreprises dans l’industrie est, dit-il, “passionné par la chose publique”. Assis à ses côtés, Alexandre Barthélemy, 38 ans, président fondateur de Vigimilia qui développe des logiciels pour le secteur touristique a, lui, milité par le passé au sein de la droite locale à Chartres, avant de monter son entreprise : “J’aimais beaucoup l’idée de m’engager pour un homme plutôt que pour un parti. En l’occurrence Jean-Pierre Georges (Les Républicains) qui a révolutionné sa ville en 25 ans.”

“À qui appartient mon vote ?”

Aujourd’hui, pourtant, malgré l’intérêt réel qu’ils montrent pour la vie démocratique, les quatre dirigeants ne cachent pas leurs questionnements. Plutôt positionné à droite de l’échiquier, Alexandre Barthélemy s’interroge sur ce paysage particulièrement mouvant qui voit les forces LR locales rallier massivement la majorité présidentielle. “À Marseille, il y a des trahisons. Certains appellent ça des migrations (Il rit) C’est même un sacré mercato ! Mais bon, si j’ai voté Vassal par le passé, qu’elle soutient finalement Macron, à qui appartient mon vote ?”

Cette droite dynamitée fait sourire Michael Sales. À 31 ans, ce financier à la veste bleue ornée d’une chic pochette à pois, officie dans la fusion-acquisition, au sein de MSH, sa holding personnelle. “J’avoue que j’ai pensé à ne pas aller voter à cause de la gestion de la crise du Covid, notamment de la communication gouvernementale, qui m’a particulièrement agacé. Finalement je ferai mon devoir. Mais je suis assez curieux de voir ce que va donner cet éclatement de la politique française. Car là, on voit qu’après Macron qui a éclaté la gauche puis la droite, Zemmour fait la même chose à la droite de la droite…” Le trentenaire confesse regarder avec un œil d’entrepreneur la stratégie du polémiste d’extrême-droite : “Toute idéologie mise à part, je trouve que, stratégiquement, ce qu’il a réalisé en quelques mois est audacieux.”

Refus du système

Reste, regrettent les quatre chefs d’entreprise, que cette non-campagne – entre atonie post-Covid et invasion de l’Ukraine par la Russie – peine à passionner. “Dans l’entreprise j’entends que les gens n’ont pas forcément envie de voter. C’est surtout par refus du système, parce qu’il n’y a pas eu de débat”, note Manuel Paris. Même écho chez Alexandre Barthélemy qui sent ses “collaborateurs dans le rejet.” La faute, disent-ils, à une élection présidentielle qui brasse des confrontations d’idées à la fois peu riches – “on ne parle pas du tout des programmes”, souligne Michael Sales – et très “idéologiques, voire clivantes”, pointe Manuel Paris. Il détaille : “En fait Macron a une position trop centrale qui a tout lissé autour d’un sentiment majoritaire. Du coup, il n’y a plus trop de débat et tout s’extrémise.”

“Pour une partie du corps politique, l’entreprise c’est un gros mot et c’est douloureux”

Erwan Lamour

Cette simplification à l’extrême est particulièrement sensible à leurs yeux quand elle touche le monde entrepreneurial. “Pour une partie du corps politique, l’entreprise c’est un gros mot et c’est douloureux”, cadre Erwan Lamour. “On n’est pas dans un monde de Bisounours. Mais on peut parler de l’entreprise de progrès, de partage de la valeur, de l’épargne salariale…” Entre les lignes, la gauche, nationale comme locale, est pointée du doigt. “Je suis un habitué de certains rendez-vous économiques, pique un de ces pilotes de PME. Payan ne vient jamais. Il envoie Lhardit [l’adjoint chargé de l’économie, ndlr]. Alors qu’à un rassemblement social, il ira. On peut ne pas partager nos idées, mais on pèse quand même pour 10 000 entreprises dans le département…”

Caricature de “patron du Cac 40”

Manuel Paris y voit une caricature à l’œuvre. “Les gens ont l’image du patron du Cac 40 avec son parachute doré”, glisse-t-il. Autour de la table on préfère parler caution personnelle, hypothèque, absence de droit au chômage, surinvestissement individuel… De ces élections, ils n’attendent rien. Mais ils aimeraient bien, un jour, pouvoir échanger avec des hommes et des femmes politiques “qui y pigent quelque chose à l’économie”. Manifestement, on est loin du compte. Erwan Lamour s’interroge : “Ça ne les intéresse pas ou ils ne comprennent pas ?” Les candidats ne cernent pas les enjeux, les problématiques, les besoins, répondent pêle-mêle ses confrères. Agacés d’être cantonnés, dans leur relation aux élus, au rôle de ceux qui réclament aides ou coups de pouce. “Je n’ai pas envie d’être toujours celui qui demande un truc, lâche Manuel Paris. Avec le politique, j’imagine plutôt une relation donnant-donnant. Or nous sommes des relais totalement sous-utilisés. Le summum, ce serait qu’un chef d’entreprise devienne président.”

Alexandre Barthélemy s’irrite de cette déconnexion de la sphère politique : “Pourtant, savoir comment fonctionne une banque ou à quoi sert la TVA, c’est nécessaire à tous. Ce serait bien d’avoir des politiques capables de développer des choses plus fines que de se cantonner à savoir si les immigrés sont la source de tous les maux de la France.” Son voisin opine : “Ah là là, les programmes économiques de Zemmour et Le Pen, la cata… Économiquement, on le sait qu’on a besoin d’immigration. Sans elle, on ne tient pas.”

La France, ce paquebot

Alors pour qui voteront-ils, ces patrons ? L’institut Opinionway a réalisé en novembre dernier un sondage selon lequel 43% des dirigeants d’entreprise étaient prêts à voter pour le sortant Emmanuel Macron (LREM). Et à 28% pour Marine Le Pen (RN) et Eric Zemmour (Reconquête) cumulés. Autour de la table, les membres du CJD sont partagés. Libéraux, ils le sont. Ils l’assument. “La France est un paquebot”, assure Michael Sales. “C’est un rocher, tu veux dire”, rigole Alexandre Barthélemy. Sur les quatre, l’un votera “certainement” Macron. Un autre se dit sûr de son choix, sans vouloir l’exprimer. Les deux derniers hésitent encore.

“Moi, j’aime bien Poutou et les Insoumis. Ils jettent des pavés dans la mare, lèvent des lièvres.

Le score élevé de l’extrême-droite dans ce sondage alarme le président local du CJD. “En tant que citoyen, je suis inquiet que des idées extrémistes soient revendiquées par certains de mes pairs”, précise celui qui assume par ailleurs son engagement dans une association qui accompagne des mineurs étrangers non accompagnés. “Tout ça, c’est quand même un vrai constat d’échec du PS et de LR”, remarque Erwan Lamour.

Au bout de la table, Manuel Paris sourit. Volontairement à rebrousse-poil dans son costume aux fins carreaux gris : “Moi, j’aime bien Poutou et les Insoumis. Ils jettent des pavés dans la mare, lèvent des lièvres. Ça nous remet parfois dans le réel !” Ce qui ne l’empêche pas de faire l’éloge du pragmatisme de l’actuel locataire de l’Élysée. Il loue “sa faculté à prendre des décisions dans un monde incertain…” Un peu comme un patron, tiens.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Nos futurs petits patrons locaux membres du CJD ,libéraux à souhait , association qui est l’ anti chambre de leur future résidence secondaire la Chambre de Commerce feraient bien de tourner sept fois leurs langues avant de l’ouvrir et de sortir des poncifs.
    “Le summum, ce serait qu’un chef d’entreprise devienne président” ,affirment’ils , mais c’est bien sûr comme dirait l’autre abruti. Voilà l’idée quelle est bonne.
    Malheureusement nos petits amis ont la mémoire courte avec un exemple issue de leurs rangs. Notre chère Martine VASSAL , chef d’entreprise , peu de temps il est vrai avec un succés trés mitigé, a été élevée au sein du CJD et dirige, non pas une , mais deux instances publiques. Nous en voyons le résultat , là aussi avec des performances endéttées. Comme quoi les fausses bonnes idées.

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  2. Mx Mx

    Il loue “sa faculté à prendre des décisions dans un monde incertain…” Un peu comme un patron, tiens.

    Whaaaat ?? C’est la grande déférence, cet article… Les gars disent des banalités mais on les traitera jamais de ploucs parce qu’ils sont en costard. Mais leurs catégories politiques sont bien éclatés. Et tellement légitimistes. C’est flippant d’avoir si peu d’esprit critique.

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  3. julijo julijo

    beuhhh ! l’intérêt de participer à une réunion du CJD pour sonder….bof.
    c’est un choix.
    “le profit est un moyen – certes- pas une fin en soi -ah bon ? –
    et puis remettre l’économie au service de l’homme, alors que depuis des années c’est le contraire, et qu’aujourd’hui on subit les conséquences d’un libéralisme délirant qui a mis l’homme au service de l’économie !
    l’activité du CJD prouve tous les jours, que les éléments de langage : éveiller les consciences…etc n’engagent que ceux qui y croient, et le CJD continue à faire le contraire de ce qu’il prône.
    un peu puant cet article.
    c’est quoi le prochain ? le personnel de santé à la timone, les salariés d’un epahd korian ou orpea…les chauffeurs du metro ?

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  4. vékiya vékiya

    un peu de contradictoire aurait été le bien venu, là c’est la gazette du pré-medef

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  5. Emilie SETO Emilie SETO

    c’est la fin du monde purée

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  6. Coralie Bonnefoy Coralie Bonnefoy

    Merci de nous lire et de prendre le temps de réagir à nos articles. Il me semble néanmoins que certains commentaires méritent un retour de notre part. Cet article s’inscrit dans une série, comme le précise son chapeau introductif. Il s’agit donc, à chaque fois, de donner la parole à un corps social pour se pencher sur son rapport au(x) politique(s). Des lycéens, des femmes engagées dans les quartiers nord, de jeunes colleuses féministes, des dirigeants d’entreprises.. Suivront d’autres groupes de personnes, d’autres expressions. Ce qui nous intéresse ici, c’est bien justement de saisir la diversité des points de vue, de refléter le débat d’idées, d’offrir un paysage contrasté, comme celui d’une démocratie.

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    • julijo julijo

      Ma consternation à la lecture de votre article tient à deux choses.
      La première, en lisant les autres débats, j’ai eu la possibilité de m’ identifier un peu aux gens qui parlaient, les lycéens me rappelaient mes enfants, les autres pouvaient être des voisins, des voisines…là ? Qui s’identifie à ces (plus si jeunes) « chefs » d’entreprise à part leurs collègues du CJD.
      La deuxième, qu’apporte ce débat, cet échange de bons mots ? Une élucubration sur la politique telle qu’ils la voient, et des bons sentiments un peu faussés par une arrogance à peine dissimulée.
      Une analyse de leur part très « étude de marché », trop pour moi.

      Et donc aucune possibilité de m’identifier, comprendre, partager….je les trouve hors sol. ils sont tellement incohérents.

      j’attends vos prochaines rencontres avec impatience.

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    • Alceste. Alceste.

      Sur votre lancée de préhension des points de vue, et pour sortir un peu des sentiers balisés des corps sociaux convenus et quitte a faire du contrasté, une visite à l’asile Forbin et chez les businessman les plus performants de Marseille c.a.d les trafiquants de drogue s’imposerait.Je serais curieux de connaître la conception de la démocratie chez ces personnages.De même un entretien auprès de religieux fondamentalistes, et quelqu’en soit là religion, je le précise bien.C’est aussi la diversité marseillaise

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  7. Alceste. Alceste.

    Ce qui est à la fois amusant et détestable ce sont les réflexions de ces membres du CJD dont j’ai eu le loisir de cotoyer certains membres au cours de ma vie professionnelle.
    Ils s’adonnent à une réflexion et se donnent une mission sociale au fait qu’ils soient là pour faire du fric. Gagner de l’argent n’est pas condamnable en soit ,mais pourquoi passer son temps à se trouver des “rambins” , faut asssumer les gars. Ils me font penser à ces gens qui font des choses inavouables toute l’année et qui passent à la blanchisserie de la confession, du grand pardon ou du pélerinage pour en sortir comme un sou neuf.En bref ,tout cela pour finir au MEDEF , pardon à l’UPE 13 c’est moins sale ( là aussi faut assumer), au bien à la CCI.
    Finalement la seule dans ce bal des faux culs , c’est cette “cheffe” d’entreprise qui assume de faire de bosser des immigrés , qui en bon français, coutent moins chers que nos compatriotes pour maintenir les profits de sa boîte. Au moins elle reste sur les fondamentaux du petit patronnat marseillais .
    A ce moment j’ai une pensée émue sur feu l’inspection du travail .

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  8. TINO TINO

    Article lu avec intérêt. Qui conforte mon opinion sur les chefs de PME. Façonnés par le libéralisme économique et aussi la peur du lendemain. Cools mais conservateurs. Trouvent Poutou sympa mais votent Macron… “il faut que tout change pour que rien ne change”.

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