Logement social : à Bouc-Bel-Air, la solitude du maire pavillonnaire

Décryptage
le 17 Fév 2023
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Avec 10 % de logements sociaux et un production insuffisante, la commune aisée de Bouc-Bel-Air est "carencée" par le préfet. Son maire Richard Mallié tentait ce jeudi de plaider sa cause au tribunal administratif. Celle d'un espace périurbain aisé, écartelé entre les contradictions.

Bouc-Bel-Air. Photo : 
Pommiebastards, via Flickr CC.
Bouc-Bel-Air. Photo : Pommiebastards, via Flickr CC.

Bouc-Bel-Air. Photo : Pommiebastards, via Flickr CC.

“Brièvement, nous sommes en retard et le programme est chargé.” Dans la salle d’audience du tribunal administratif, le président de la 5e chambre tente de concilier convenance républicaine et gestion du planning. En face, Richard Mallié n’a pas ceint l’écharpe tricolore, mais reste maire (LR) et ancien questeur de l’Assemblée nationale.

L’élu de Bouc-Bel-Air est venu défendre en personne la demande d’annulation d’un arrêté du préfet qui sanctionne sa commune pour ses mesures “insuffisantes pour répondre à l’accélération significative de la production de logements locatifs sociaux nécessaire au regard des besoins”. Depuis 2020, plus de 200 000 euros sont prélevés chaque année sur le budget communal.

“On nous sanctionne, mais nous n’avons plus la compétence”, plaide celui qui gère les affaires municipales depuis 1989. Ces quelques minutes réclamées par son avocat pour exposer la situation “sur le fond”, après ses arguments de forme, ne devraient pas peser bien lourd dans les débats face au cadre réglementaire.

Cette procédure, dite de “carence”, est régulière depuis la loi SRU de 2000, qui vise à atteindre 25 % de logements sociaux dans les grandes agglomérations. Après avoir bénéficié d’une dispense du préfet lors du précédent bilan, au vu de ses efforts, Bouc-Bel-Air, 10 % de logements sociaux, s’est faite épingler sur la période 2017-2019. 77 logements sont sortis de terre, soit un quart de l’objectif. Rappelant ce maigre résultat, la rapporteure publique, la magistrate chargée d’éclairer le tribunal en ouverture de l’audience, ne voit aucune “erreur d’appréciation” du préfet dans l’application de la carence. Le représentant de ce dernier ne juge pas utile de développer à l’oral ses observations écrites.

“Comment voulez-vous rattraper cela ?”

Richard Mallié (à droite), avec l’avocat de la commune et un fonctionnaire, au tribunal administratif de Marseille.

“La loi SRU, je pourrais vous tenir des heures là-dessus”, reconnaît à la sortie l’ancien député, flanqué de son avocat et de deux fonctionnaires. Pendant le quinquennat Sarkozy, Richard Maillié n’était pas le dernier à tenter de la détricoter. Mais, dans un département où des dizaines de communes affichent des taux faméliques et où certains maires en font un argument électoral, il tente de se poser en élu volontaire et pragmatique. “On est une commune principalement pavillonnaire. Quand j’ai été élu en 1989, il y avait deux immeubles ! Comment voulez-vous rattraper cela ?”

Comme beaucoup de ces soi-disant “villages” qui n’en sont plus, Bouc-Bel-Air a atteint la taille d’une petite ville, avec un peu moins de 15 000 habitants. Mais cette croissance démographique s’est réalisée essentiellement pendant les années 1960 à 1980, sur un modèle pavillonnaire. Après avoir gagné 8300 habitants sur cette période, soit un triplement, la population n’a progressé que de 3400 habitants depuis 30 ans.

Comme preuve tangible de son absence d’hostilité au logement social, le maire avance l’obligation d’en construire 50 % pour toute opération dépassant 400 m2 de plancher. Elle a été instaurée en 2016, “et avant, cela existait déjà au-dessus de 1000 m2”. Un seuil bien plus restrictif que celui de Marseille : la majorité municipale devra attendre 2024 pour obtenir de la métropole un taux de 30 % dès 2000 m2.

Découpages de parcelles et réduction de l’étalement urbain

À 300 000 euros le terrain, la pression est énorme.

Richard Mallié, maire de Bouc-Bel-Air

Cette limite basse se veut adaptée à la dynamique immobilière observée sur ce type de commune, souvent liée à un découpage de parcelles. “Ceux qui ont 2000 m2 de terrain, s’ils peuvent couper 500 m2 pour le vendre, cela fait 300 000 euros le terrain, la pression est énorme”, pose l’élu. Une logique, d’initiative purement privée, qui donne alors lieu à de très petites opérations. Elles sont donc peu susceptibles d’abriter du logement social, surtout que des propriétaires “saucissonnent les projets pour contourner les seuils”, critique Richard Mallié, qui a perdu des procédures pour refus de permis au tribunal administratif.

Motivée par des prix de l’immobilier attractifs, cette densification dite “douce” ne bouscule pas trop les projets politiques fréquents de ces petites villes, tournés vers un “développement maîtrisé”. La possibilité de petits immeubles, qui nécessitent des terrains plus vastes, est de toute façon rendue plus complexe par l’évolution de la doctrine nationale, qui tend à limiter l’étalement urbain pour préserver les terres agricoles et naturelles.

Un centre très réduit, des massifs forestiers, des lotissements étalés et désormais peu de perspectives de mutation. Capture d’écran Geoportail – photographie aérienne.

Une “contradiction” bien résumée par Ion Maletas, doctorant en architecture à l’école nationale supérieure d’architecture de Marseille, dans un article sur le sujet : dans les zones où les lotissements dominent, “la création de nouveaux logements privés [par division parcellaire] va aggraver le déficit en logements sociaux”. De l’autre côté, dans un contexte de restriction de l’artificialisation des terres, ces communes “déjà carencées qui ont misé principalement sur le développement du pavillonnaire (…) n’ont plus de foncier disponible pour réaliser des opérations classiques à l’échelle des logements sociaux collectifs, avec bailleurs sociaux.”

Richard Mallié ne dit pas autre chose, à propos des négociations sur le futur plan local d’urbanisme : “On demande à ouvrir des zones à l’urbanisation, mais je ne suis pas sûr que ce soit accepté. L’État nous dit “faites la ville sur la ville”.” Une injonction qui, de son point de vue, paraît difficilement tenable : “Vous n’allez pas racheter dix maisons pour monter un projet ! De toute façon, vous n’aurez pas la déclaration d’utilité publique pour exproprier.”

Plus beaucoup de manettes

Conscient du déficit initial, Richard Mallié veut être jugé sur sa capacité à introduire du logement social dans les constructions à venir : “Je suis prêt à faire un tiers de logements sociaux, il n’y a aucun souci.” D’autant, qu’en plus d’avoir peu de cartouches, le maire n’a plus beaucoup de manettes, en tout cas officiellement. Depuis 2018, l’urbanisme et le logement sont en effet du ressort de la métropole Aix-Marseille Provence. “Les autres outils dont nous disposons ne sont pas efficients ou en tout cas n’ont pas d’incidence sur le quantitatif”, plaide-t-il.

Or, si ce sont toujours les communes qui assument les sanctions, les acteurs ne sont pas plus véloces qu’auparavant, estime-t-il. “Il a fallu plus de trois ans à la métropole pour ouvrir à l’urbanisation le secteur de Montaury”, principale réserve foncière de la commune, pointe-t-il. La prise en main par l’État du droit de préemption, automatique en cas de carence de logements sociaux, a selon lui le même effet ralentisseur. L’établissement public foncier, l’opérateur qui gère concrètement cette mission, a cependant procédé à une première acquisition en 2021 sur une parcelle de 2000 m2, pour y bâtir six logements sociaux.

Et, avec seulement quelques opérations pour garnir un bilan triennal, la réussite reste sujette à aléas. La commune comptait ainsi sur un projet de 120 logements, dont 60 sociaux, pour sa période 2017-2019. “J’ai signé le permis de construire il y a plus de quatre ans et les travaux ne sont toujours pas lancés”. Entre temps, des complications juridiques sont en effet venues fragiliser la vente, qui ne devrait même pas pouvoir être comptabilisée sur 2020-2022. Ce jeudi, Richard Mallié avait justement rendez-vous en préfecture pour défendre ce nouveau bilan de trois ans. “Je pense qu’on va démontrer qu’on a redressé la barre.”

L’enjeu reste cependant limité pour Bouc-Bel-Air. Dixième commune des Bouches-du-Rhône pour le revenu médian de sa population (30 000 euros, soit 30 % de plus que la moyenne nationale), elle connaît un taux de pauvreté limité à 5 % (le tiers de la moyenne nationale). Grâce à son “excellente santé financière”, la municipalité va même baisser les impôts fonciers en 2023, pour contrebalancer l’augmentation de ceux qui relèvent de la métropole.

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Commentaires

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  1. kukulkan kukulkan

    s’il voulait et acceptait de batir du logement social, en locatif ou en accession, il pourrait largement, suffit de modifier le PLU et de donner des droits à batir plus conséquents en secteur urbain, plutôt que de demander d’étaler encore la Ville ! marre de ces maires

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  2. Dark Vador Dark Vador

    Ne nous voilons pas la face : ces communes, essentiellement pavillonnaire, ne veulent surtout pas de logements type HLM pourvoyeuses d’habitants pauvres. Pauvres = délinquance, trafics divers et ambiance anxiogène. Les habitants sont d’accord pour que leur commune paye des sanctions, les maires concernés en font même un argument électoral!

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    • julijo julijo

      et les habitants de cette commune peuvent venir rapidement dans les cités es quartiers nord acheter leur drogue sans souci.
      moins de délinquance et moins de trafics pour le maire pavillonnaire…..

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  3. marie pons marie pons

    Quelle mauvaise foi dans lzs arguments du maire…

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