Légionelle : 273 habitants d’Air-Bel poursuivent leur combat “hors norme” au tribunal

Reportage
par Jean-Marie Leforestier & Julien Vinzent
le 2 Sep 2023
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Dans la grande cité de l'Est de Marseille, la contamination de l'eau par la légionelle est source d'inquiétude chronique depuis plusieurs années. Venus défendre en masse leur préjudice vendredi, les locataires ont tenté de convaincre le tribunal de préférer leur vécu à un rapport d'expert défavorable.

Les habitants interrogent les risques contenus dans les canalisations de la cité depuis plusieurs années. (Photo : CMB)
Les habitants interrogent les risques contenus dans les canalisations de la cité depuis plusieurs années. (Photo : CMB)

Les habitants interrogent les risques contenus dans les canalisations de la cité depuis plusieurs années. (Photo : CMB)

Ils n’ont pas pu retenir leurs applaudissements. À l’issue de la plaidoirie de leur avocate, Soraya Slimani, les 70 habitants d’Air-Bel qui se sont assis dans la salle d’audience du tribunal judiciaire du Muy font bloc. Des plus jeunes aux retraités, ils représentent une partie des 273 personnes qui ont décidé d’intenter une action judiciaire au civil contre les trois bailleurs qui gèrent cette cité de 1200 logements, Unicil, Logirem et Erilia. Ensemble, déclare la présidente du tribunal Pascale Liégeois ce vendredi 1ᵉʳ septembre, ils ont constitué “un dossier hors norme”.

Depuis septembre 2017 et la mort causée par la légionellose de Djamel Haouache, ils vivent avec la peur et mènent un combat pour savoir si la légionelle a tué à Air-Bel. Depuis un plan d’actions décidé en 2018, tous les trois mois, l’agence régionale de santé affiche en rouge dans l’immeuble les parties du réseau où a été détectée la bactérie. “Vous imaginez ? Tous les jours, les gens d’Air-Bel se demandent s’ils peuvent consommer l’eau du robinet. Vous avez des locataires qui sont devenus des actionnaires de Cristalline !”, détaille leur avocate, qui rappelle que l’on parle là d’un quartier qui a autant d’habitants que la commune de La Penne-sur-Huveaune.

Rapport d’expertise “rassurant”

Les locataires ont bataillé pour comprendre si le réseau d’eau chaude permettait encore le développement de la bactérie dans leurs immeubles. Leur action judiciaire a d’abord débouché sur la désignation d’un expert dont chacun peut débattre des conclusions, rendues en 2019, à la barre. Elles ne leur sont pas favorables puisque celui-ci n’a “pas constaté de désordres” au cours de ses investigations.

Quand on a un expert qui est rassurant, on devrait être rassuré.

Paul Sémidéi, avocat d’Unicil

Cette conclusion a fait la joie des bailleurs. “Si vous retenez cette expertise, il n’y a plus de procès. Les bailleurs d’Air-Bel ne manquent pas à leurs obligations, l’eau d’Air-Bel n’a pas tué”, résume Olivier Giraud, l’avocat d’Erilia. “Quand on a un expert qui est rassurant, on devrait être rassuré”, renchérit Paul Sémidéi, son confrère conseil d’Unicil, le principal propriétaire d’Air-Bel.

Mais Soraya Slimani et ses clients ne l’entendent pas ainsi. Elle insiste sur le “trouble de jouissance” et les manquements des bailleurs dans l’information comme dans l’entretien. “Je ne salue pas les bailleurs car ils ont balayé d’un revers de main les préjudices dont ils ont été les artisans”, tonne-t-elle. Elle rappelle une vétusté “admise par les bailleurs”, déterre un procès-verbal d’assemblée générale des copropriétaires vieux de quinze ans qui pointe déjà la présence de légionelle mais n’enclenche pas les travaux d’ampleur. “Exigés par l’autorité préfectorale et l’agence régionale de santé, les travaux sont toujours en cours et les bailleurs ne peuvent pas produire d’attestation de fin de travaux”, pousse-t-elle malgré les dénégations de ses contradicteurs.

“Psychose”

Ces derniers mettent en avant les 7 millions d’euros dépensés et réclament des preuves plus tangibles des troubles. “Entre octobre 2020 et fin 2021, le Covid, c’est 115 000 morts en France. En 2021, la légionellose, c’est 2000 cas pour 150 à 200 morts. Et on sait que ce sont surtout des hommes, âgés, qui fument ou sont diabétiques par exemple, qui sont à risque. Or, on trouve des femmes, des jeunes, dans les dossiers de requérants. Il y a une psychose névrotique qu’il aurait peut-être fallu relativiser”, minimise Paul Sémidéi. “Il n’y a aucune pièce individualisée d’un préjudice”, renchérit Olivier Giraud.

“Cela dépasse le cadre d’un certificat médical”, avait anticipé Soraya Slimani. “Dans un quartier où plus de la moitié des habitants vit sous le seuil de pauvreté, aller chez le médecin n’est pas un réflexe, encore moins pour des questions psychologiques”, argumente-t-elle.

Face à ces positions radicalement opposées, le tribunal s’est donné jusqu’au 1ᵉʳ décembre pour arbitrer. Mais il ne rendra pas de décision globale : chaque cas, a rappelé la présidente, fera l’objet d’un examen spécifique. Pour les habitants présents, ce sont plusieurs mois supplémentaires à attendre. Fer de lance de la mobilisation à Air-Bel et sœur de Djamel, Djamila Haouache le promet : “Ça fait des années qu’on lutte et on va continuer”. Depuis plusieurs mois, un autre contentieux est ouvert, au pénal celui-ci. Le juge d’instruction Mathieu Grand a ouvert une information des chefs d’“homicide involontaire, non-assistance à personne en danger et soumission d’une personne vulnérable à des conditions d’hébergement indigne”. Sans réussir à déterminer pour l’heure si Djamel est mort d’habiter.

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Jean-Marie Leforestier
Journaliste | jm.leforestier@marsactu.fr
Julien Vinzent
Journaliste.

Commentaires

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  1. Forza Forza

    Merci @Marsactu pour cet article détaillé qui concerne beaucoup plus de monde qu’on ne pourrait le croire.
    Vivant depuis plus de trois ans dans une résidence de cinq bâtiments “neufs” dont vous avez déjà parlé et où le taux de légionelle a toujours été un peu, beaucoup ou passionnément supérieur aux limites à un endroit ou à un autre, y compris alors que comme à Air Bel une chloration continue est désormais en place, j’ai été témoin tour à tour :
    – d’un chauffagiste proposant les analyses d’eau “en option” dans son contrat
    – d’un syndic du promoteur jugeant néanmoins inutile de souscrire à cette option alors qu’un bureau d’études avait pourtant indiqué le risque de prolifération de légionelle avant même la livraison de l’immeuble (pour paraphraser monsieur Erilia : “quand on a un expert qui n’est pas rassurant, on ne devrait pas être rassuré”)
    – d’un des bailleurs essayant de convaincre le syndic suivant de ne pas réaliser le boîtage de l’info d’alerte à la légionelle à ses locataires
    – du chauffagiste suivant essayant de planquer les résultats, à nouveau non conformes, au syndic suivant suivant… (nous faisons donc désormais réaliser les analyses en direct par le labo)
    Je peux également témoigner de la psychose qui s’est développée et a ici aussi fait les affaires de Cristalline à chaque fois que des bâtiments ont été touchés, malgré tous nos essais de pédagogie pour expliquer que l’eau froide n’était pas concernée et qu’il ne fallait juste pas boire l’eau chaude (légionelle ou pas, on ne saurait d’ailleurs le conseiller à quiconque…). Faire passer les locataires d’Air Bel pour des faibles d’esprit comme semblent l’insinuer les avocats des bailleurs est donc plus que questionnable : qu’ils soient propriétaires, locataires du privé ou du public, la prolifération de légionelle panique la plupart des gens et produit donc un trouble qui ne cesse qu’avec la disparition de la cause.
    La question qui me taraude malgré tout et qui pointe également dans l’affaire Air Bel est celle du taux limite de 1000 ufc/l : à force d’entendre les parties adverses banaliser le sujet sans que jamais elles ne communiquent les taux relevés, on en vient à se demander si des échelles de “gravité” associées chacune à des protocoles dédiés ne seraient pas nécessaires afin de contrer cette banalisation, parce que 1100 ufc/l (qu’on trouverait probablement dans la plupart des immeubles marseillais si on l’y réalisait des analyses) ce n’est pas exactement pareil que 750000 ufc/l.

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    • MarsKaa MarsKaa

      Merci pour ce commentaire qui complémente l’article. Je ne suis pas concerné (a priori), mais à Marseille les questions qui touchent à l’habitat, aux syndics, aux bailleurs, sont passionnantes, comme une série policière aux multiples rebondissements, qui s’éternise.
      Sauf qu’il s’agit ici non pas de fiction, mais du quotidien, de la vie réelle, d’hommes, de femmes, d’enfants, dont se fouent éperdument les bailleurs, et certains syndics.

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