Les habitants d’Air-Bel s’alarment de la présence de légionelles

Reportage
le 24 Nov 2017
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En septembre dernier, un habitant d'Air-Bel (11e) est mort de la légionellose. Depuis, malgré les actions entreprises pour assainir le réseau d'eau chaude, la bactérie revient régulièrement. Peu informés par les autorités, les habitants se sentent livrés à eux-mêmes.

À gauche, Djamila Haouache devant le bâtiment où vivait son frère.
À gauche, Djamila Haouache devant le bâtiment où vivait son frère.

À gauche, Djamila Haouache devant le bâtiment où vivait son frère.

Branle-bas de combat à Air-Bel (11e). Ce vendredi, une réunion rassemble les habitants sous le thème angoissant de “l’eau empoisonnée”. Depuis des mois, cette grande cité d’habitat social de l’Est de la ville vit au rythme des légionelles. Cette bactérie est présente un peu partout à l’état naturel. Mais, en grande concentration dans un aérosol de fines gouttelettes, elle peut provoquer une maladie respiratoire, la légionellose. C’est de cette maladie qu’est mort Djamel Haouache, un habitant d’Air-Bel tout début septembre, à l’hôpital de Dijon, département où il séjournait durant ses vacances. Il avait 46 ans et sa famille veut comprendre pourquoi sa vie s’est arrêtée là.

Sa sœur, Djamila est présidente d’une association, “Il fait bon vivre dans ma cité”, qui rassemble des locataires. Depuis des semaines, elle se débat pour connaître la vérité concernant le décès de son frère et les risques que la présence de légionelles ferait courir aux habitants d’Air-Bel. “Déjà en 2011, ma sœur a contracté la légionellose alors qu’elle vivait chez moi, précise-t-elle. Elle a gardé des séquelles”. Ce vendredi, elle organise une réunion d’information dans son local. Durant toute la semaine, les bénévoles qui font vivre l’association ont distribué des tracts intitulé “Air Bel mais… Eau empoisonnée !”. Le texte y dénonce l’absence de communication des bailleurs de la cité (Erilia, Habitat en région, Unicil et Logirem) et le silence qui entoure la présence de légionelles et le risque pour les habitants.

“Problèmes de peau, rougeurs, maux de ventre”

“Nous pensons notamment aux enfants et aux personnes âgées, fragiles qui doivent vivre avec ce risque, explique Djamila Haouache, depuis le petit local du bâtiment 37 où elle tient permanence. Depuis des semaines maintenant, nous vivons avec une eau qui pue le chlore. Les gens se plaignent de problèmes de peau, de rougeurs, de maux de ventre”. En appui de ses dires, elle brandit une bouteille d’eau, remplie au robinet d’eau chaude de la cité. Elle sent effectivement plus fort qu’une piscine municipale.

Questions de légionelles

Les bactéries réunies sous le nom de légionelles se trouvent partout à l’état dit naturel. En revanche, une forte concentration de ces bactéries dites legionella pneumophila peut provoquer une maladie respiratoire, connue sous le nom de maladie du légionnaire ou légionellose. “Le déclenchement a lieu souvent chez des personnes immuno-dépressives”, explique Loïc Hattermann, ingénieur au sein du département santé-environnement de l’ARS. Cette atteinte pulmonaire provoque des décès dans 10 % des cas. Dans les cas de légionellose avéré, les autorités de santé publique déclenchent aussitôt une enquête pour connaître les lieux fréquentés où une exposition potentielle à la légionelle a pu avoir lieu, “le plus souvent sous la forme de fines gouttelettes dites aérosols”, reprend Loïc Hattermann. Le plus souvent, la prolifération de bactéries peut être évitée en maintenant une eau chauffée à plus de 45°, en la chlorant, en évitant les dépôts de calcaire et en nettoyant régulièrement les robinetteries”.

Depuis plusieurs semaines, le syndic qui gère la cité, Unicil, distribue des communiqués pour le compte des bailleurs. Il y rappelle “les précautions d’usage et d’entretien des équipements d’eau chaude sanitaire”. La cité possède son propre réseau de production d’eau chaude, distribuée par des réseaux anciens d’un bâtiment à l’autre à partir de sous-stations. Dans le courrier le plus récent, arrivé le 25 octobre dans les boîtes aux lettres, le syndic précise “des analyses ont été réalisées sur le réseau d’eau chaude de vos immeubles et ont mis en évidence sur certains d’entre eux la présence de légionelles. Nous souhaitons vous rassurer dès à présent quant à la prise en charge et au traitement de cette situation et vous indiquer qu’il n’y a aucun risque par ingestion d’eau.”

L’eau froide avant l’eau chaude

Suivent un certain nombre de recommandations : se servir de l’eau chaude régulièrement, ouvrir le robinet d’eau froide avant celui d’eau chaude et inversement à la fermeture. Détartrer et désinfecter régulièrement les éléments de robinetterie des douches, les remplacer quand ils sont usagés… Autant de gestes que peu d’habitants ont l’habitude de faire d’ordinaire. De son côté, Unicil a entrepris de chlorer l’eau.

Autant de procédures qui n’ont pas réussi à rassurer la population d’Air-Bel. Même si elle est difficile à évaluer en cette calme après-midi de lundi, la psychose est bien réelle dans le quartier. Dans le centre de santé d’Air-Bel qui réunit médecins et autre praticiens de santé, une feuille a été collée sur la porte du masseur-kinésithérapeute. Elle indique sans ambages que “suite à la contamination des eaux à Air-Bel, l’accès à la piscine et aux douches est momentanément indisponible”. Quand on interroge le secrétariat du centre médical, l’interlocutrice précise bien qu’aucun prélèvement spécifique ne vient justifier l’écriteau. Quant à l’agence régionale de santé, ses responsables n’en étaient pas informés.

Légionelles persistantes

L’association a fait tourner une pétition dans le quartier, déjà bien remplie. On y retrouve les mêmes remarques sur l’odeur de l’eau, les désagréments liés au chlore mais aussi, dans au moins trois cas, la présence de légionelles, révélée par des contrôles. Et cela alors que la chloration de l’eau dure depuis plusieurs semaines.

Du côté de l’Agence régionale de santé, on confirme l’existence de légionelles malgré les opération de chloration. “Des contre-analyses sont en cours aujourd’hui [ce jeudi] afin de vérifier l’effectivité des mesures”, indique Cécile Morciano du service santé-environnement de la délégation départementale des Bouches-du-Rhône de l’ARS.

Deux souches différentes

Dans tous les cas, il ne s’agit pas de la souche qui a infecté Djamel Haouache. C’est ce que martèle l’agence régionale de santé. “C’est important de le préciser, reprend Cécile Morciano. La légionellose est une maladie à déclaration obligatoire. Dès le 30 août, l’ARS a été saisie par l’hôpital de Dijon où la personne est décédée”. Le maire de secteur, Julien Ravier et la députée Valérie Boyer (tous deux LR) ont eux saisi la préfète, le 31 octobre pour que l’ARS multiplie “les contrôles et analyses de la qualité de l’eau”.

De fait, dès septembre, dans le cadre d’une procédure bien rodée, les différentes ARS concernées ont donc démarré une enquête pour remonter la période d’incubation. “Dans le cas présent, nous sommes remontés à 14 jours pour retracer le parcours du patient et les différents lieux potentiels d’exposition”, explique Cécile Morciano. Djamel Haouache étant en vacances, cela concerne à la fois son appartement du bâtiment 18, une maison individuelle et une piscine publique de la région parisienne ainsi qu’une maison de famille en Côte d’Or. Les analyses réalisées dans ces quatre endroits n’ont pas permis de retrouver de légionelles… sauf à Air-Bel.

Concentration de légionelles, 3,6 fois supérieure à la réglementation

“Effectivement le 26 septembre le syndic a fait réaliser des analyses dans divers points du réseau d’eau chaude qui alimente l’appartement du patient et dans d’autres logements du même bâtiment, indique Cécile Morciano. Les résultats ont permis de révéler la présence de légionelles”. Du fait des relations tendues entre la famille et le bailleur, les analyses ont été réalisées dans l’appartement en dessous de celui du défunt. Selon un courrier du directeur général de l’ARS que nous avons pu consulter, la concentration de légionelles y est 3,6 fois supérieure à l’objectif fixé par la réglementation. À l’issue de ces résultats, la campagne de chloration commence.

Le 5 octobre, le service communal d’hygiène et de santé a réalisé de nouvelles analyses cette fois-ci dans l’appartement et dans le local de production d’eau chaude, sans retrouver de trace probante de bactéries. Sauf que depuis et malgré les actions entreprises par le syndic, Unicil, des nouvelles traces de légionelles sont apparues dans différents points de la cité.

Logeurs et logés, face-à-face

Or, ni l’ARS, ni la Ville, ni les bailleurs n’ont entrepris de communiquer sur les concentrations rencontrées et les risques liées. L’ARS indique intervenir en “deuxième niveau”. “Le premier niveau est assuré par le bailleur et le service communal d’hygiène et de santé (SCHS) qui est le service compétent sur Marseille”, précise Cécile Morciano. Du côté de la Ville de Marseille, on indique avoir réalisé “une enquête publique à la demande de l’ARS. Il revient ensuite au logeur de prendre les mesures”. L’un et l’autre délèguent donc aux bailleurs, ou au syndic qui assure la gestion, toute communication avec les habitants.

Or, comme c’est souvent le cas dans les grandes cités de logement social, les relations entre logeur et logés sont plutôt tendues à Air-Bel. Aux dires des habitants rencontrés, aucune réelle communication n’est faite sur les actions entreprises et les risques éventuels. Dans un courrier que nous avons pu consulter, adressé à la compagne du défunt, le directeur de la gestion du patrimoine d’Unicil précise que “bien qu’aucune réglementation n’impose aux bailleurs, à ce jour, de pratiquer un suivi sanitaire, la copropriété reste très attentive sur le sujet, en mettant en œuvre des opérations de maintenance et de suivi sanitaire spécifiques, et ce dans le cadre du contrat d’exploitation de chauffage et d’eau chaude sanitaire”. Unicil n’a pas répondu à nos demandes d’entretien.

Mais il suffit de jeter un coup d’œil aux tuyaux qui courent d’un bâtiment à l’autre pour se rendre compte que le réseau d’adduction d’eau chaude sanitaire est vétuste. Dans l’entrée du bâtiment 18 où habitait Djamel Haouache, un regard permet d’accéder à ce réseau. On sent la chaleur qui s’en échappe. Quand on ouvre la porte que rien ne ferme, la vapeur d’eau saute au visage. Un bruit de fleuve souterrain indique l’évidence, le réseau fuit. Djamila Haouache s’exclame : “Reculez, c’est là qu’il y a la légionelle”. À Air-Bel, la psychose n’est pas prête de s’éteindre.

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