La fin du village d’insertion à Saint-Henri, énième abandon des Roms de Marseille

Actualité
le 20 Fév 2024
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Les associations de solidarité avec les populations roms déplorent le nouvel abandon du projet de village d'insertion, prévu à Saint-Henri. Une nouvelle reculade de l'État sur le sujet sensible de la résorption des squats et bidonvilles à Marseille.

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L'intérieur du squat de Cazemajou, démoli pour permettre l'avancée du tramway et la poursuite du projet Euroméditerranée. Photo : B.G.

L'intérieur du squat de Cazemajou, démoli pour permettre l'avancée du tramway et la poursuite du projet Euroméditerranée. Photo : B.G.

Les préfets passent et les projets, parfois, trépassent. La Provence révélait le 17 février l’abandon du projet de village d’insertion, à Saint-Henri (16e). Préparé depuis des mois par l’État, en étroite collaboration avec les institutions locales, Ville et métropole, le projet devait accueillir une douzaine de familles, issues de la communauté rom. Le permis était en cours d’instruction, les architectes à l’ouvrage, quand l’État a soudain décidé de retirer ses billes.

Les raisons avancées par Michaël Sibilleau, le préfet délégué pour l’égalité des chances arrivé cet été, demeurent floues. “Ce lieu ne correspond pas aux nécessités et au mode de vie des personnes de la communauté rom que nous souhaitions y installer”, explique-t-il à La Provence. Parallèlement, il se dit déterminé à poursuivre les actions d’insertion en direction des publics roms qui sont près d’un millier à vivre dans des campements, des squats ou des bidonvilles à Marseille. “Nous devons identifier de nouveaux sites où ils pourraient s’établir”, poursuit-il, sibyllin.

Initialement, son prédécesseur, Laurent Carrié, évoquait la possibilité de voir émerger plusieurs villages ou plateformes d’insertion à l’échelle de la ville. D’autres sites étaient même en cours d’exploration, assurait-il.

“Le projet est mort”

Cet enthousiasme n’est plus partagé par les associations qui accompagnaient le projet depuis trois ans. “Je suis navrée, se désole Caroline Godard, coordinatrice de l’association Rencontres tsiganes. Pour moi, le projet est mort. Ils ont mis trois ans à trouver ce terrain, ils vont mettre trois ans à en trouver un nouveau.

On leur avait dit qu’un petit nombre d’entre eux allaient trouver une place dans ce village d’insertion. Il va falloir qu’on retourne les voir pour leur dire que ce projet tombe à l’eau.

Caroline Godard, Rencontres tsiganes

Pour l’heure, les familles roms qui étaient pressenties pour intégrer le village d’insertion sont installées dans un immense hangar, boulevard Casanova. Propriété de l’établissement public foncier régional (EPF Paca), ce site est destiné à être vendu à l’opérateur public Euroméditerranée. Les 150 familles qui y vivent ont successivement vécu à rue Cazemajou puis à la Madrague-ville, avant de trouver ce nouveau squat toujours dans le même secteur. L’EPF a fait partir des mises en demeure, première étape du long processus d’expulsion. Pour l’heure, les roms vivent là sans électricité et avec un seul sanitaire disponible. Le raccordement aux fluides, eau et électricité, doit intervenir dans les prochaines semaines.

On leur avait dit qu’un petit nombre d’entre eux allaient trouver une place dans ce village d’insertion, reprend Caroline Godard. Il va falloir qu’on retourne les voir pour leur dire que ce projet tombe à l’eau. On trouve ça désolant“. L’infatigable militante se désole surtout de voir des élus municipaux présents à une manifestation de riverains, clairement opposés au projet, “pour réclamer plus de concertation alors qu’ils ont voté pour le projet, en connaissance de cause“. C’est le cas de l’adjoint au sport de Benoît Payan, Sébastien Jibrayel (divers-gauche), seul élu présent, mercredi soir lors d’une manifestation. À Marsactu, il a redit qu’il faisait de la concertation un préalable à tout projet. Il a pourtant voté trois fois en faveur du projet, en mairie de secteur, en conseil municipal et métropolitain.

Ne pas “opposer deux misères”

Dans un message posté sur les réseaux sociaux, la maire de secteur, Nadia Boulainseur (divers-gauche) a redit son accord initial pour le projet. “J’essaye de conduire mon action politique et de déterminer mes choix en fonction de principes, au premier rang desquels la fraternité et la solidarité envers celles et ceux qui en ont le plus besoin, écrit-elle sur Facebook. Ce principe a guidé mon soutien d’hier. Il motive celui d’aujourd’hui. Jamais je n’opposerai deux misères“.

Ce projet conservera une vocation sociale et ce, dans l’objectif d’une meilleure convergence avec les besoins du territoire.

La Ville

L’aménagement du site est bien maintenu, mais à destination d’un autre public, que la maire de secteur ne souhaite pas dévoiler.  “Nous nous y sommes engagés auprès de la préfecture“, indique-t-on dans son équipe. Du côté de la mairie centrale, l’adjointe en charge de la lutte contre l’exclusion, Audrey Garino, n’a pas répondu à nos appels. La mairie nous a fait parvenir une réponse officielle, mais laconique indiquant que le changement de destination décidé par le préfet s’était fait en accord avec les deux échelons de l’appareil municipal. “Ce projet conservera une vocation sociale et ce, dans l’objectif d’une meilleure convergence avec les besoins du territoire”, indique la collectivité.

Ce n’est pas la première fois qu’un projet d’insertion durable des familles roms échoue face à la contestation locale. On se souvient comment l’annonce d’une implantation à Font-Vert (14e) avait provoqué une réaction épidermique des riverains. Dans un temps plus lointain, en 2009, le projet d’installation d’un village du même type, à la Guillermy (15e), avait déclenché une manifestation soutenue par les élus de gauche du secteur. Déjà, il s’agissait d’un site propriété d’État, une ex-gendarmerie en bordure immédiate de l’autoroute A7.

Concerter pour installer une logique d’hospitalité

À Saint-Henri, si certains riverains ne cachaient leur franche hostilité au projet – et à la communauté rom en général – d’autres voisins immédiats défendaient une approche plus constructive. Les comités d’intérêt de quartier (CIQ) de Saint-Henri et de l’Estaque gare ont publié une pétition commune pour réclamer une réunion de concertation.

Dès la découverte de ce projet, en juillet dernier, nous avons écrit au préfet Laurent Carrié pour lui réclamer une réunion de concertation, explique Christophe Robert, le président du CIQ de l’Estaque gare. Depuis, nous avons eu de nombreuses réunions avec les élus de la mairie de secteur et son successeur. Nous avons même visité le site ensemble. Mais, ce n’est pas à nous de partager tout cela à la population, mais à l’État d’assumer ses choix”. Pour lui, c’est le silence de l’État qui a nourri les inquiétudes, en ne laissant la place qu’à l’hostilité.

Ce mardi, au cinéma l’Alhambra, les associations Rencontres tsiganes et Ancrages ont programmé la diffusion d’un documentaire, intitulé Une jeunesse rom, dans le cadre des 20 ans de l’association. Mise sur pied avec le collectif Penser l’hospitalité auxquels participent les deux CIQ concernés, la soirée devait être l’occasion d’un premier échange, même sans les autorités.

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Commentaires

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  1. polipola polipola

    si l’Etat se préoccupait de ces grands enjeux ça se saurait.

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  2. Regard Neutre Regard Neutre

    “NIMBY” a crié l’élu local ! L’acronyme de “Not In My Backyard” (“Pas dans mon jardin” en français…).

    Lorsque les élus ne prennent pas leurs responsabilités et tentent de se défausser sur l’État, il est crucial de rappeler que la protection des droits de toutes les communautés, y compris les Roms, relève de la responsabilité collective de tous les niveaux de gouvernance. Dans de telles situations, il est important pour les citoyens de faire entendre leur voix par le biais de la participation civique, des manifestations pacifiques, du plaidoyer auprès des représentants politiques et de la mobilisation communautaire pour demander des actions concrètes et une coopération entre les différents niveaux de gouvernement.Mais il est essentiel de rappeler aux élus locaux,en l’espèce, de l’importance de l’intégrité et de la transparence dans leur communication avec les citoyens. La cohérence et la sincérité envers les électeurs se retrouve dans l’apanage du discours politique …

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  3. julijo julijo

    oui, tout cela est bien triste. le mot fraternité a un peu disparu des frontons des batiments publics.

    ce que je ne comprends pas, c’est pour quelle raison ce sont toujours dans des quartiers ou de nombreuses galères existent déjà que ce genre de projet émerge.
    pourquoi ne pas aller chercher, dans les 12e, 11e, ou bien 9e arrondissements, il y a là aussi de nombreux terrains disponibles ?
    on ne parle que de st henri, l’estaque, ste marthe avec font vert….tous, sans exception dans le nord de la ville.
    nos grands penseurs, préfets, mairie, ciq…devraient s’apercevoir, qu’il y a un est, un sud…..

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    • Lagremuse Lagremuse

      A Saint-Menet se trouve l’unique aire d’accueil des gens du voyage et aux Trois-Lucs un terrain abandonné à l’occupation de gens sédentarisés.

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    • Beatrice Beatrice

      Je suis d’accord
      Pour une vraie mixité sociale, il ne faut que ça soit que dans les quartiers nord.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      En tout cas, il ne faut point y compter dans le 8e, où une partie du personnel politique, réputée pour sa hauteur de vue, en fait des tonnes dès que quelqu’un de pas assez blanc est susceptible d’arriver dans le quartier : https://marsactu.fr/bref/yves-moraine-ecrit-au-prefet-son-opposition-absolue-a-laccueil-de-migrants-dans-le-8e/

      Certes, le petit Moraine n’est plus grand chose, mais il a quand même bénéficié de ce miracle qui a permis à des battus du suffrage universel d’aller nuire à la métropole.

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  4. Patafanari Patafanari

    Sont-ce des migrants ou des nomades ? Dans le premier cas pourquoi les traiter de manière différente des autres migrants, dans le second pourquoi vouloir les fixer ?

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    • Lisa Castelly Lisa Castelly

      Ni l’un ni l’autre ! La plupart des familles roms vivant à Marseille sont de nationalité roumaine, donc européens, avec le droit de résider dans l’espace Schenghen comme ils le souhaient. Ils ne sont pas davantage “nomades” hormis d’occasionnels retours en Roumanie. Les associations marseillaises recensent un millier de personnes qui vivent ici de façon constante, depuis une dizaine d’années. Un chiffre qui n’augmente pas.

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  5. Patafanari Patafanari

    Ça risque de se gâter pour eux. La Roumanie et la Bulgarie feront leur entrée dans l’espace Schengen de libre circulation à partir de mars 2024. Les règles inhérentes à l’Espace Schengen ne sont pas protectrices pour les minorités, mais au contraire elles aboutissent à des discriminations importantes en fait.
    https://journals.openedition.org/mimmoc/2105

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    • Lisa Castelly Lisa Castelly

      Au temps pour moi, la Roumanie n’est en effet pas (encore) dans Schengen, mais les citoyens roumains peuvent entrer et séjourner jusqu’à trois mois en France “sans formalité particulière” depuis 2007.

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  6. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Quand il est question dans l’article du ” le préfet délégué pour l’égalité des chances” il y a sans doute une faute de frappe. En effet il faut lire : le préfet délégué pour l’inégalité des chances.

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  7. petitvelo petitvelo

    Halte soin des addictions, village d’insertion, … la parole de l’Etat ne donne pas l’impression de porter grand engagement.

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  8. Caroline Rey Caroline Rey

    Pourquoi faut il que ces personnes soient systématiquement parquées ensemble (dans les quartiers nord). Peut etre faudrait il songer à changer de systeme. 1 ou 2 familles dans des logements sociaux dans plusieurs quartiers ne poseraient probablement aucun problème avec bien sur un suivi social : les enfants seraient conduits tous les jours à l’école et les parents formés. On peut imaginer qu’avec 17. 5 millions d’euros y a de quoi faire.

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