Gaudin, bien assis sur son trône

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le 11 Juin 2015
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Avec sa très probable accession à la présidence de la métropole, Jean-Claude Gaudin qui a vu son camp rafler en un an la mairie de Marseille, remporter les sénatoriales et conquérir le département apparaît plus puissant qu'il n'a jamais été. (Article réalisé en partenariat avec le Ravi qui l'a publié dans son numéro de juin 2015)

Gaudin, bien assis sur son trône
Gaudin, bien assis sur son trône

Gaudin, bien assis sur son trône

À quoi reconnaît-on un baron ? À sa légende ou à son histoire ? La légende dit que Gaudin a tout gagné, l’histoire que c’est une longue construction faite de défaites qui l’a mené à poser un leadership incontestable sur la droite locale. Aujourd’hui – histoire ou légende – ses proches n’hésitent pas à manier l’image d’un seigneur et de ses vassaux.« Pour l’élection à la présidence de la métropole, ce sont les 92 maires qui vont venir le voir un genou à terre pour lui demander d’être « le » candidat à la métropole », lance l’un d’eux.

Cette élection à la tête de la future métropole Aix-Marseille Provence est l’obsession du moment pour Jean-Claude Gaudin. La nouvelle intercommunalité sera lancée début 2016 pour regrouper notamment les villes d’Aix, Aubagne, Fos, Istres, Martigues et Marseille. Son président pourra jouir d’un budget important et de prérogatives étendues. Alors forcément, Jean-Claude Gaudin y jette un œil attentif. Au Sénat, il a fait attention à la modeler à sa main pour ne pas trop froisser les maires des Bouches-du-Rhône, qui aux dernières sénatoriales lui ont fait défaut pour se réfugier dans les bras d’un Jean-Noël Guérini, vent debout et chéquier ouvert contre cette réforme territoriale.

Ces derniers mois, le maire répète, en privé comme en public, qu’il n’est pas candidat. Tout en prenant donc soin de ne jamais fermer la porte. À 75 ans, l’homme a encore de l’appétit et poursuit un marathon électoral entamé lors des municipales 2014, suivi des sénatoriales, des départementales sans oublier la métropole et les régionales à venir. À chaque fois, Gaudin et sa garde rapprochée ont leur mot à redire sur le candidat. Et même plus que ça. « Si un candidat n’a pas le soutien du maire de Marseille, c’est sûr que ça sera beaucoup plus compliqué pour lui », souffle la sénatrice et fille de la maire d’Aix-en-Provence, Sophie Joissains, pourtant peu encline à voir un Marseillais coiffer la nouvelle collectivité.

Gaudin tranche… des têtes

Ce Marseillais pourrait aussi bien être Guy Teissier, candidat déclaré au poste. L’actuel président de la communauté urbaine de Marseille a gagné cette première fonction exécutive avec la bénédiction du très pieux Gaudin en 2014. Cette fonction lui confère sur le papier plus de pouvoir qu’un maire de Marseille aux compétences limitées. Mais le rapport symbolique est tout autre.« Le maire peut encore imposer ses vues. Tant qu’il n’y aura pas de suffrage universel pour le président de la métropole, ça restera comme cela. Quand ce sera le cas, ce ne sera plus la même chose », souligne un proche de Gaudin. Chaque lundi matin, Guy Teissier vient ainsi s’asseoir dans le bureau du maire pour le rituel de début de semaine : la réunion d’état-major. Lors de ce rendez-vous, à mi-chemin entre jeux de cour et réel lieu de pouvoir, il est toujours un parmi tant d’autres. Là, les parlementaires, maires de secteur, et parfois un adjoint au maire, confrontent leur point de vue avec la puissante et inamovible garde rapprochée du maire réunie autour de Claude Bertrand, le directeur de Cabinet (cf p. 2). Entre les deux forces, les tiraillements sont inévitables.

Dans tout cela, Gaudin tranche en cas d’extrême nécessité et garantit l’unité de la famille de « la droite républicaine et du centre » comme il aime à la qualifier. Il a su installer dans ses rangs une discipline que même la gauche lui envie. Les contestations restent en interne : personne ou presque ne s’épanche dans la presse. En témoigne le dernier scrutin des départementales et la remise en cause par Richard Mallié du leadership de Martine Vassal, l’élue du Sud du Marseille choisie par Gaudin. En dehors de quelques cercles d’initiés, rien n’a fuité des ambitions de l’ancien député et maire de Bouc-Bel-Air.Au-dessus de chaque élu plane donc une menace. Celui qui, trop près d’une élection, s’aventure à jouer contre son camp, sait devoir subir les foudres du maire et de ses équipes. Une règle qui explique peut-être aussi pourquoi certaines langues d’habitude bien pendues n’ont pas répondu à nos sollicitations alors que les régionales sont déjà dans toutes les têtes.

Chemin de croix

Pour en arriver là, la machine Gaudin s’est construite petit à petit et a connu ses défaites : deux échecs aux municipales dont une cinglante en 1989, où la droite a perdu dans tous les arrondissements de Marseille. Depuis 1986 et son arrivée à la tête de la région Paca, neuf ans avant la conquête de la mairie, il a posé les fondations d’un combat politique lancé dès 1965 comme conseiller délégué à l’urbanisme de Gaston Defferre, dont il a repris les recettes pour se maintenir au pouvoir (voir ci-dessous). Député dès 1978, il est réélu en 1981 dans un contexte difficile pour la seconde fois face à Charles-Emile Loo, une figure socialiste locale. La suite est une reconstruction de la droite locale. Tous derrière et lui devant. « Il a fait monter du monde avec lui, rappelle son entourage, que ce soit Jean Roatta, Dominique Vlasto ou encore Roland Blum. Il s’est enrichi du succès des autres. » Ce même interlocuteur efface d’un coup de gomme ce qui reste une tache dans la carrière politique du maire, ses alliances avec le Front national. D’abord en 1986 pour gérer la région puis en 1988 aux législatives : « Mitterrand réélu, le contexte local est terrible pour la droite. Gaudin est le seul député qui ne craint rien. C’est pour sauver les copains qui peuvent encore l’être qu’il fait un accord technique de désistement mutuel avec le Front. Lui n’a que des coups à prendre : c’est une forme d’abnégation. » Presque un chemin de croix…

A Marseille, les dauphins échouent

En 2014, c’est avec Jean-Noël Guérini qu’il s’alliera pour s’assurer un nouveau bail à la tête de la ville. Ces alliances à géométrie variable marquent le goût d’un homme pour le pouvoir. Elles lui permettent d’imposer longtemps ses vues, de choisir ses hommes et ses femmes, d’en écarter d’autres. « Le gaudinisme, ça ressemblerait à un pragmatisme mêlé à une redoutable habileté et une empathie non feinte », tente en résumé la sénatrice aixoise Sophie Joissains. Mais à l’heure où la fin de carrière point, à l’image de Gaston Defferre, Jean-Claude Gaudin n’a pas fait émerger de successeurs évidents. Renaud Muselier, pas franchement aidé, a raté la marche de la présidence de la communauté urbaine en 2008 puis perdu son siège de député en 2012. « Quand on donne les couverts en argent à quelqu’un, on n’y peut rien s’il ne veut pas manger », tranche même un fidèle du maire.

Résultat : quand en 2015, il faut désigner un candidat à la présidence de région, l’UMP se tourne plus naturellement vers les Alpes-Maritimes et les très droitiers Christian Estrosi et Eric Ciotti. Preuve également que l’influence de Gaudin au niveau national décline. Face au maire de Nice Estrosi, le désormais eurodéputé Muselier n’a que peu pesé (1). En cas de victoire, l’ancien secrétaire d’Etat gagnerait quand même le siège de premier vice-président. « [Il] n’est pas hors jeu. Il est député européen, leader du département pour les régionales. Il continue son parcours politique, il compte toujours », assure la conseillère régionale et patronne de l’UDI 13, Arlette Fructus, alors que Renaud Muselier est moins cité comme candidat potentiel à la succession.

A la différence de l’actuel premier adjoint, Dominique Tian, 55 ans et sourire ultrabright (2). Vainqueur du socialiste Patrick Mennucci dans les 1/7 en 2014 (dont il a laissé le siège de maire de secteur à Sabine Bernasconi), le député des quartiers sud (depuis 2002) a le vent en poupe et la légitimité. En 1995, Gaudin lui a légué la villa Bagatelle où réside la mairie des 6/8. Mais le plaisancier, et organisateur de soirées blanches, est loin de faire l’unanimité dans son camp. « Il a des difficultés à s’imposer, notamment dans son domaine, l’économie », explique ainsi très diplomatiquement plusieurs de ses camarades. De fait, Tian est invisible à Marseille et on ne l’entend jamais sur les gros dossiers qui touchent la ville, la SNCM et le port en tête. Plus catastrophique pour Gaudin, depuis mi avril son poulain est dans la tempête. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique a saisi le parquet de son cas. Elle soupçonne Dominique Tian, ce paisible investisseur (cliniques, etc.) et grand pourfendeur des coûts de l’aide médicale d’état et de la fraude sociale, d’avoir rédigé une fausse déclaration de patrimoine à sa réélection en 2012 en planquant ses avoirs à l’étranger (un compte bancaire en suisse jusqu’en 2014 et des parts dans un hôtel à Bruxelles). Assez pour faire confirmer l’adage local qui veut qu’à Marseille les dauphins sont faits pour échouer ?

Succession, le « tabou »

Pour l’instant, le premier adjoint garde des soutiens : en mairie, mais aussi dans la majorité. « Ce ne sont pas les journaux et les fuites organisées, qui font un choix ! », le défend Yves Moraine, son remplaçant à la mairie des 6/8. Avant de se reprendre : « Ça n’est pas un successeur, mais un candidat. » Lui même se verrait bien calife, comme à peu près tous les parlementaires UMP de la ville. Mais pour les proches de Jean-Claude Gaudin, la question n’est pas d’actualité. « Après 2008, on disait qu’il ne finirait pas l’année. Là, il est élu jusqu’en 2020. Et la succession n’est pas ouverte », tranche le fidèle Jean-Pierre Chanal, un ancien du Provençal par ailleurs conseiller de Loïc Fauchon le PDG de la SEM-Veolia. « C’est un tabou », soupire même un postulant. « Gaudin est légitimiste. Il se préoccupe de la suite et il dira certainement sa préférence. Mais c’est autre chose si l’élection a lieu en conseil municipal ou s’il faut désigner un candidat pour 2020. Pour l’instant, la suite c’est lui. Arrêter la politique, c’est mourir. C’est une vue de l’esprit que d’imaginer Gaudin coulant une retraite heureuse à Saint-Zacharie », promet de son côté un autre membre du premier cercle.

Rien ne dit cependant que « la suite » sera Marseille. On l’annonce régulièrement au conseil constitutionnel. La décision se fera au premier trimestre 2016. Certains s’inquiètent aussi pour sa santé après une sévère alerte à l’automne. « Ce sont les événements qui s’imposeront, louvoie Jean-Pierre Chanal. Aujourd’hui, Gaudin permet à des gens de grandir. Chacun croit à ses chances, c’est bien. » Et Didier Réault, adjoint au maire et proche de Teissier, d’abonder : « Les municipales puis les départementales ont créé une habitude de travail en commun. Aujourd’hui, chacun joue sa partition mais demain, on sait qu’il faudra s’entendre. De toute façon, avec la fin du cumul des mandats, il y aura de la place pour tout le monde… » La droite marseillaise cherche à se rassurer ! « La jeune génération a la conscience absolue que tout ce que nous avons gagné, nous l’avons gagné grâce au maire, mais aussi grâce à l’unité », confirme Yves Moraine. Et le maire des 6/8 de rappeler : « Si on la perd, on sait ce qui nous attend : le PS et la déliquescence ! »

De fait, les rares dissidences ont fait long feu. Renaud Muselier a connu un exil de deux ans. Guy Tessier, actuel président de la communauté urbaine, a eu quelques prétentions pour 2014 mais est vite rentré dans le rang. Conclusion du député-maire de Châteaurenard, Bernard Reynes :« Qu’ils se disputent est dans l’ordre des choses, mais de là à contester le patron… »

Jean-Marie Leforestier (Marsactu) et Jean-François Poupelin (le Ravi)

1. Pas plus que les velléités de candidature un temps évoquées par la députée Valérie Boyer.

2. Comme Renaud Muselier, Dominique Tian n’a pas donné suite à nos sollicitations.

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Commentaires

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  1. Trésorier Trésorier

    Encire une fois, comme Mitterrand ou Deferre, on voit que ce ays a de grands politiques. Pour prendre, conserver et organiser e travail. On se fatigue en travail politique, mais on n’a aucun vision, aucun ambition, aucune idée, aucun courage pour construire un avenir meilleur pour le territoire et de ses habitants.

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