Le collège Rosa-Parks submergé par la violence ordinaire

Actualité
le 17 Jan 2018
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Au collège Rosa Parks (15e), ce lundi, une élève de cinquième a roué de coups une enseignante qui lui avait confisqué son téléphone. Les professeurs exercent leur droit de retrait depuis et dénoncent une tension sociale qui a franchi les grilles de l'établissement.

Le collège Rosa Parks. (BG)
Le collège Rosa Parks. (BG)

Le collège Rosa Parks. (BG)

Rafik n’est pas là pour illustrer quoi que ce soit, et pourtant, son attitude résume une atmosphère tendue. Le visage fermé, retenu par un professeur, il bute contre le portail. Cet élève de 6e du collège Rosa-Parks (15e) ne veut pas rester dans la cour avec ses camarades. Ce mardi, depuis le matin, les professeurs de ce collège en éducation prioritaire renforcée (REP+) exercent leur droit de retrait, à la suite d’un incident d’une rare gravité, survenu la veille. Les cours n’ont donc pas lieu et les élèves tournent en rond jusqu’à la fin théorique des cours.

Rafik ne veut pas rester, force le passage, et grimpe à la grille, retenu par un, puis deux puis quatre adultes qui tentent de le raisonner. “Je suis pas en prison”, grogne-t-il. Au final, après quelques rebondissements et la casse de la serrure de la porte d’entrée du collège, les pompiers sont appelés pour tenter de calmer ce jeune homme, hors de ses gonds.

Dans la salle des profs, les enseignants décompressent en moquant leurs collègues contraints de ceinturer un ado. La veille, une professeure de musique a été violemment frappée par une élève de cinquième qui s’était vu confisquer son portable, utilisé pendant son cours. “L’usage des téléphones est interdit dans l’enceinte du collège, explique un collègue en salle des profs. La règle est la confiscation pendant trois jours, il est ensuite remis aux parents.”

Enseignante “rouée de coups”

La jeune fille refuse d’attendre. Elle se met donc à tutoyer l’enseignante selon la déclaration d’incident que nous avons pu consulter. “J’accepte pas ça de ma mère, tu vas pas me faire ça”, lui dit-elle avant de devenir violente. “Elle s’est rapprochée progressivement de Mme X dans le couloir. Elle l’a poussée contre la porte de la 2.1, l’a frappée à coups de mains, l’a tirée par les cheveux, l’a projetée contre la vitre d’en face, l’a mise à terre et rouée de coups”, peut-on lire dans le même document. Cette violence s’est poursuivie un long moment devant des élèves eux-mêmes choqués. L’enseignante a fini par trouver refuge dans le bureau du principal.

“Elle est depuis en arrêt maladie avec une semaine d’interruption temporaire de travail, explique son collègue Julien Huard, par ailleurs délégué syndical CNT-SO. Elle a de vrais trous noirs et a oublié une partie de l’incident.” Dès l’annonce de cet incident et du droit de retrait des enseignants, la direction départementale de l’éducation nationale a été saisie.

“Nous avons envoyé des agents de l’équipe mobile académique de sécurité [Emas, ndlr] pour évaluer la situation et dialoguer avec les enseignants et la direction de l’établissement, détaille Stéphanie Gauthier, cheffe de cabinet du directeur départemental de l’éducation nationale. Si l’enseignante devait porter plainte nous la soutiendrons et elle aura droit à la protection fonctionnelle”.

“Faire remonter des propositions”

Ce jeudi, une réunion “plénière” aura lieu en présence de représentants de la direction départementale, des enseignants et des représentants des parents d’élèves. “Cela doit permettre de faire remonter des propositions”, ajoute Stéphanie Gauthier.

Les enseignants de Rosa Parks ont décidé de ne pas reprendre le travail ce mercredi en attendant cette réunion de jeudi. Ensemble, ils ont commencé à lister les revendications qu’ils comptent faire remonter. Car cet incident n’est pas le premier. “Depuis la fin de l’année nous ressentons une certaine tension, raconte Géraldine, une enseignante. Mais cela s’est vraiment accéléré depuis le début de l’année. C’est le quatrième incident violent du même type”.

Dans la même journée de lundi, un élève scolarisé en classe Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire) dédiée aux enfants connaissant des troubles mentaux a frappé un élève et mordu un assistant de vie scolaire. Quelques jours avant, un surveillant a empêché un élève déjà exclu d’un autre collège de frapper un professeur. “La semaine de la rentrée, j’ai dû faire cours enfermée dans ma classe avec un élève qui tambourinait à la porte pendant 45 minutes, raconte Lydia. Il refusait la sanction d’exclusion qui avait été prononcé alors qu’il avait été agressif avec un professeur. Et il était soutenu par son père, persuadé que les adultes du collège frappaient son fils”.

Une violence inédite depuis 10 ans

Les profs tentent d’en rire, mais le cœur n’y est pas vraiment. “En dix ans à Rosa Parks et Arenc Bachas [l’ancien nom du collège avant son déménagement dans de nouveaux locaux, ndlr], c’est la première fois qu’on vit une telle situation”, explique Julien Huard. En décembre, les enseignants du collège ont cosigné une lettre ouverte avec 11 lycées et collèges des bassins “Marseille-Madrague et Marseille Vieux-Port” faisant état “d’une violence sans précédent et un climat scolaire profondément détérioré”.À l’époque, nous étions solidaires mais nous n’avions pas vécu les mêmes incidents qu’à l’Estaque par exemple. Désormais nous sommes en plein dedans”, constate Julien Huard.

Tous les enseignants présents mettent en cause le climat extérieur, “un contexte social clairement tendu”, formule Géraldine. “Les problèmes de violence ont fini par entrer à l’intérieur des établissements scolaires, ajoute Lydia. Il y avait une distance symbolique entre l’élève et le professeur qui n’était pas franchie. Là, elle l’a été”.

L’impact des smartphones

Robert* souligne l’impact des smartphones. “Moi, j’ai été filmé à mon insu et je me suis retrouvé sur Instagram. Avant un incident avait lieu à l’intérieur et y restait. Maintenant il se poursuit à l’extérieur sur les réseaux sociaux. Quand ils arrivent le matin, ils ont passé la nuit à continuer de s’embrouiller entre eux.” Cela se passe aussi avec les élèves des autres collèges et se conclut par “des battles” au parc François Billoux tout proche, complète une enseignante.

Cela est pire depuis qu’AMS n’assure plus la médiation sociale à proximité du collège. Leur présence permettait de désamorcer de nombreux conflits car les les élèves se confiaient plus facilement à eux, détaille Géraldine. Cela fait partie des choses que nous allons faire remonter lors de la réunion de jeudi.” Sur une feuille A4, la liste des griefs et revendications commence à s’allonger.

Tous ces petits dysfonctionnements qui grippent la machine de l’éducation prioritaire : les enseignants en anglais attendus pendant des semaines, les 8 heures de technologie non pourvus, les contrats aidés supprimés mais aussi le tissu associatif qui se délite autour et la politique de la ville, vidée de son sens. “Et si on ajoutait une éducation de qualité pour tous, des transports de qualité et la fin de la ségrégation sociale ?, tente une enseignante. Non, je déconne…”

*À la demande de l’intéressé, le prénom a été modifié.

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Commentaires

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  1. Dark Vador Dark Vador

    « Et si on ajoutait une éducation de qualité pour tous, des transports de qualité et la fin de la ségrégation sociale ?, tente une enseignante. Non, je déconne… » Voilà, tout est dit…

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  2. julijo julijo

    Dans les “territoires perdus” de la république la violence quotidienne dans les cités existe bien dans leurs collèges….
    Est-on vraiment surpris de cette explosion de violence ? non.

    A l’antienne “mais que fait la police ?” on va rapidement substituer : “mais que fait le ministère de l’EN ?” ou bien “Que font les rectorats, IA et autres responsables ?”

    “emas” va évaluer la situation ??? ah bon, ils ne la connaissent pas…..si l’enseignante porte plainte, elle aura droit à la protection fonctionnelle ? ah bon ???? elle en a de la chance, et si elle et ses collègues, avaient été interrogés avant sur leur quotidien…et si…..blanquer faisait réellement le boulot !

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    J’essaie de m’imaginer ce que des minots de 12 ans qui ne supportent aucune forme d’autorité, même pas celle de leurs parents (“J’accepte pas ça de ma mère…”), donneront lorsqu’ils seront confrontés, dans une petite décennie, à des chefs et des sous-chefs dans le milieu professionnel… Au secours !

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    • Court-Jus Court-Jus

      Une majeure partie risque d’être exclue de fait du monde professionnel …

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    • LN LN

      Mais ca y est nous y sommes déjà. Pas la peine d’attendre 10 ans. Ca peut-être : crise hystérique surprenante et non maîtrisable, gros balayage de bureau, claquement de porte en réunion après menaces et chantage et le top : abandon de poste sans plus aucune nouvelle.
      Vecu plusieurs fois même pour des élèves en stage…
      C’est sur que cela complique le recrutement

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    • julijo julijo

      C’est ce qui est le plus inquiétant. Que deviendront-ils ?

      En même temps depuis une bonne vingtaine d’années, voire plus, les différents ministres s’efforcent de vider de sens l’EN, en réformant n’importe comment, on diminuant le nombre d’ adultes dans les établissements, en ne formant plus….etc. La responsabilité des familles reste entière, cependant l’ “Ecole” ne prend plus jamais le relais, nulle part.

      Actuellement, leur meilleur avenir serait probablement de faire fortune…. ou en travailleur indépendant, ou chômeurs ou “uber”….. c’est la philosophie qui accompagne la start-up macron, et les déclarations de blanquer….. et on s’étonnerait qu’ils soient en colère ces gamins….

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  4. corsaire vert corsaire vert

    Ils ne travailleront pas!, ils sont tellement “décalés” qu’un minimum de vie sociale ou de discipline leur est impossible ! dealer de quartier jusqu’au règlement de comptes mortel , voilà leur avenir avec bien sûr la bénédiction parentale !
    Le désengagement des politiques successives en matière de prévention de la délinquance, dans et autour des collèges est responsable de ce regain de violence .
    Quant à” l’autorité parentale” il y a fort longtemps qu’elle n’est plus qu’un mot vide de sens dès lors que des parents sont terrorisés par un gamin de 11 ans .

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    • MarsKaa MarsKaa

      “ils” c’est qui ? tous les gamins de ce collège ? de ces quartiers ? c’est méconnaître totalement la réalité. Il y a des gamins polis, gentils, bien élevés et travailleurs, et ils sont majoritaires.
      ceux qui pètent les plombs ont de graves problèmes psycho sociaux, ils sont minoritaires.
      quant à la “bénédiction parentale” …c’est ignoble, vous n’avez jamais rencontré de parents de ces quartiers.

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    • julijo julijo

      Je ne suis pas certain que “Le désengagement des politiques successives en matière de prévention de la délinquance, dans et autour des collèges est responsable de ce regain de violence .”

      Non, je crois surtout que c’est justement la casse organisée de l’ “Ecole” qui est en cause. La délinquance c’est à côté, après ou ailleurs.
      De nombreuses familles de ces quartiers font ce qu’elles peuvent avec beaucoup d’opiniâtreté pour leurs enfants … et de nombreux enfants sont sérieux, mais les difficultés sont telles et la “co-éducation” préconisée par les textes en vigueur ne fonctionne pas.
      L’avenir de ces enfants parfois pleins de colère, est largement abîmé dès leur plus jeune âge.
      La jeune fille en question dans cet incident n’est pas représentative des collégiens de l’établissement. Comme tous les corsaires ne sont pas pirates !

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  5. Tarama Tarama

    Quand on lit ça… on se dit qu’il y a des baffes qui se perdent. Une élève de 12 ans…
    La violence ne résout rien mais que faire face à un tel déferlement ?

    Les smartphones c’est en effet la plaie chez les enfants. Vu dans certains établissements où ils font acheter des tablettes pour ensuite interdire de s’en servir… le cadeau empoisonné qui pourrit l’ambiance jusqu’à la maison.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Je ne suis pas certain que le smartphone soit une plaie… Comme tout outil, il peut être la meilleure et la pire des choses. Il y a au moins une réflexion à mener sur sa place à l’école, qui ne peut pas se réduire à l’alternative “faut-il l’interdire ou non ?”.

      A ce sujet, un point de vue intéressant ici : https://twitter.com/dr_l_alexandre/status/953940462078963712

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    • petitvelo petitvelo

      Et moi qui croyais qu’il n’y avait qu’à Notre Dame des Landes que régnait le non droit en France ! J’ai peut-être trop lu le Figaro ?

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