À Berre-l’Étang, “on est un peu les délaissés de la santé”

Reportage
le 21 Nov 2022
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À l'est de l'étang de Berre, la ville de 13 500 habitants est une des moins bien dotées en  généralistes du département. Cette situation, complexe pour la population, pourrait se tendre en raison de départs en retraite de médecins libéraux dans les années à venir.

Des médecins prescriraient à distance (Photo : Marcelo Leal/ Unsplash)
Des médecins prescriraient à distance (Photo : Marcelo Leal/ Unsplash)

Des médecins prescriraient à distance (Photo : Marcelo Leal/ Unsplash)

Carrelage immaculé, photos de paysages exotiques et calme ouaté. Ce mercredi matin, la salle d’attente du cabinet médical de la rue Marcel-Pagnol, dans le centre de Berre-l’Étang, n’est pas bondée. Mais les patients s’y relaient avec une régularité d’horloge suisse. Ici quatre médecins généralistes officient – elles sont deux à recevoir ce matin – et suivent autour de 4 000 patients, le temps de 20 000 consultations annuelles.

Ces Berrois-là font partie des ceux qui ont un médecin référent. Ce n’est pas le cas de tous car la ville de 13 477 habitants, qui borde l’Est de l’étang de Berre. Selon une nouvelle étude de l’UFC que choisir, Berre fait partie des zones où l’accès à la médecine générale est décrit comme “difficile”. Selon l’observatoire des territoires, le canton comptait en 2020 une densité de 83 généralistes libéraux pour 100 000 habitants. La densité moyenne en France est alors de 150 médecins et pour Marseille, elle est de 135, et atteint même 200 à Arles. Aujourd’hui, les dix généralistes berrois doivent assurer le suivi de plus de 1300 patients chacun. Soit le double de la moyenne hexagonale.

Aide à l’installation

“Il y a un sujet sur cette commune, confirme Antoine Masotta, responsable de service de l’offre de soin ambulatoire à la délégation Bouches-du-Rhône de l’Agence régionale de santé (ARS). Comme d’autres villes du pourtour de l’étang, telle que Miramas ou Istres, Berre-l’Étang affiche les indicateurs d’une ville sous-dotée en généralistes. Nous lui portons une attention particulière.” Située à tout juste 30 kilomètres de Marseille, la commune est classée zone d’intervention prioritaire (ZIP) par l’ARS. Les médecins y exerçant peuvent prétendre à des aides des pouvoirs publics. Notamment un coup de pouce à l’installation de 50 000 euros, “pour les attirer vers des territoires qui en ont le plus besoin”, dit encore Antoine Masotta. Mais à Berre, malgré l’installation récente d’un praticien il y a quelques mois grâce à ce dispositif, le déficit reste palpable.

Ici, trouver un généraliste, c’est une vraie galère. Je suis restée sans médecin traitant plusieurs mois.

Sarah Brice, Berroise

Pull beige et masque bleu bien pincé sur le nez, Sarah Brice, Berroise de 34 ans, a longtemps consulté “un médecin à l’ancienne qui suivait toute la famille”. Lorsqu’il est parti à la retraite, il y a trois ans, il a fallu s’orienter vers un successeur. “Mais ici, trouver un généraliste, c’est une vraie galère. Je suis restée sans médecin traitant plusieurs mois. Il a fallu se battre”, résume la jeune femme. Dans la salle d’attente du pôle santé Pagnol, que Sarah et sa mère fréquentent désormais, des affichettes bien visibles sont collées ici et là. “Les consultations du cabinet sont réservées au patient dont le médecin traitant est déclaré sur le cabinet. En dehors de cette situation, seules les urgences VITALES sont assurées”, préviennent-elles.

Au Pôle de santé Marcel-Pagnol, à Berre-l’Étang, commune identifiée comme un désert médical. (Photo C.By.)

Départs à la retraite

“Aujourd’hui le nombre de médecins à Berre est dramatique”, reconnaît sans peine Mario Martinet, le maire (DVG) de cette ville dont le taux de pauvreté atteint 18% (contre 14,6% au national). “Cette situation de désert médical est réelle mais assez récente. Trois médecins sont partis à la retraite en peu de temps et ça a fait beaucoup de mal”. Le premier magistrat, lui-même, convient avoir éprouvé des difficultés pour retrouver un généraliste quand son médecin de famille a raccroché le stéthoscope. Comme 2000 patients locaux, il voyait le même généraliste que Sarah. “Quand il est parti il a cherché à donner sa clientèle. Normalement, ça se vend. Mais même gratuitement, personne n’en a voulu”, se désole la trentenaire.

Là, ça reste gérable. Mais si deux ou trois médecins partent de manière rapprochée, sans remplaçants, on va le sentir.

Elisabeth Martin-Devoir, médecin

D’autres départs vont intervenir dans les prochaines années, puisque deux des médecins de la ville ont plus de 60 ans. “On a amorti les départs précédents, chacun en a pris sa part”, pose Élisabeth Martin-Devoir, une des quatre médecins libéraux du pôle santé Pagnol. La généraliste a une “file active” – le nombre total de patients pris en charge au cours de l’année – de 900 à 1000 patients. “Là, ça reste gérable. Mais si deux ou trois médecins partent de manière rapprochée, sans remplaçants, on va le sentir…”

Pression permanente

Dans son cabinet de la rue de la République à quelques dizaines de mètres de là, Valérie Benitza-Lancry totalise déjà plus de 2000 patients. “Je suis au taquet là”, souffle celle qui s’est installée à Berre il y a sept ans. La problématique de la désertification médicale ? “Je suis en plein dedans ! Je la subis au quotidien. On a une pression permanente : des demandes de consultations, des demandes pour prendre de nouveaux patients, des urgences à traiter… Les gens forcent, restent dans la salle d’attente pour être reçus. On est malmenés par cette situation et on en souffre. Parce qu’il est très difficile de dire non.” Valérie Benitza-Lancry se dit à la fois désabusée et opposée aux mesures coercitives du gouvernement visant à mettre fin à la liberté d’installation.

Quand cette généraliste a cherché à quitter le précédent cabinet qu’elle partageait avec un confrère – aujourd’hui retraité – pour un local plus adapté, la mairie l’a aidée à rester sur le territoire de la commune. “On cherche à maintenir l’activité ici. Mais c’est évidemment très compliqué car toutes les communes font pareil. Nous ne pouvions absolument pas la voir partir”, reprend Mario Martinet. La Ville lui loue désormais le local jusqu’alors occupé par sa régie technique.

Pas de suivi chronique

Pour intensifier l’offre de soin, la Ville de Berre-l’Étang a lancé la construction d’une permanence de santé ouverte de 9h à 22h, 7 jours sur 7, avec quatre généralistes libéraux présents en continu, sur des terrains cédés par la mairie. Elle devrait recevoir ses premiers patients “d’ici à la fin 2023”, assure le maire. “Normalement c’est plutôt pour gérer les petites urgences. Mais je ne suis pas sûr que ça suffise”, reprend-il. Sur le sujet, les généralistes sont partagés. L’une y voit une future “bouffée d’oxygène”, tandis qu’un confrère regrette une réponse qui tient “de la vision court-termiste”.

Généraliste à Vitrolles et élue de l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux PACA, Florence Zemour analyse : “Ces permanences ne sont pas la réponse à la désertification médicale. Seulement une partie de la réponse. Elles sont faites pour recevoir les soins non programmés, les petites urgences. Or, d’une certaine façon, ces espaces contribuent à déstabiliser le tissu de la médecine générale traditionnelle puisque celles et ceux qui travaillent là sont autant de médecins qui ne font pas de suivi chronique de patients.”

Impact sur les hôpitaux à proximité

Le grand-père, le frère et le père de Sarah restent à ce jour sans médecin référent et consultent un centre de soin similaire à Vitrolles. “Mais on a forcément moins confiance parce qu’on n’est pas suivi sur la longueur”, abonde la jeune femme. La trentenaire s’interroge sur la qualité des soins prodigués et le temps des consultations, “plus courtes que dans un cabinet.” Elisabeth Martin-Devoir voit, en outre, dans l’éclosion de ces permanences la réponse à “un réflexe de consommation” présent pour elle à Berre comme ailleurs. Elle appelle à “une meilleure éducation” des malades : “Le patient réglo on le recevra toujours. Mais celui qui nous appelle à 20h parce qu’il a mal au dos depuis deux ans et qu’il faut le recevoir là, tout de suite, maintenant… Eh bien, c’est non.”

Faute de médecin de ville, la population victime de cette fracture sanitaire se tourne plus facilement vers les services d’urgences des hôpitaux à proximité. À l’hôpital de Salon-de-Provence, la direction médicale constate une fréquentation des urgences en hausse dans cette période post-Covid : “Forcément les gens qui n’arrivent pas à trouver un généraliste, comme c’est le cas à Berre ou d’autres villes du pourtour de l’étang, se rabattent sur nos services.”

“Sentiment d’abandon”

Manteau noir et toux sèche, Catherine Barkallah, 58 ans, entre dans la salle d’attente du pôle santé Pagnol. Elle habite Berre et a galéré pour dénicher un médecin traitant dans sa ville natale. “Dans mon entourage des gens ne se soignent pas. C’est devenu trop compliqué. Si vous n’avez pas de permis, comment faites-vous ?, s’agace-t-elle. Dans les petites villes comme la nôtre, on est un peu les délaissés de la santé. C’est comme si on était sortis de la carte.”

Dans mon entourage des gens ne se soignent pas. C’est devenu trop compliqué.

Catherine Barkallah, Berroise

Alphonse, casquette noire et barbe grise, et Sylvie avec sa parka violette, sont patients du même centre médical. Au diapason, le couple décrit un “sentiment d’abandon” tenace et la débrouille dont il faut faire preuve pour être correctement pris en charge. Cette préoccupation se lit également en filigrane des posts sur la page Facebook “Berre-l’Étang Entr’Aide”. Demandes d’infos et de bons plans pour débusquer, comme autant de perles rares, médecin de ville, kiné, sage-femme, dermato ou ophtalmo… y sont régulières. Et restent souvent lettre morte.

“On n’est pas malheureux ici, mais on pourrait être mieux soignés”, regrette Alphonse, pourtant traité pour une pathologie lourde. Une généraliste l’affirme sans détours : “Ici, il n’y a plus d’ophtalmologue. Alors, certains de mes patients n’ont tout simplement plus de lunettes.” Catherine voit des proches qui à force de se heurter à des portes closes, chez les généralistes ou les rares spécialistes locaux, baissent les bras : “Ça occasionne du stress et parfois, on laisse tomber.” Au risque de mettre sa santé en péril.

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Commentaires

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  1. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    En Angleterre, c’est la grève des soignants…

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  2. Marc13016 Marc13016

    Si l’année de stage en milieu “rural” se met en place, ça devrait pas être trop dur pour des étudiants de la fac de médecine de Marseille d’aller bosser à Berre, ou aux alentours, pendant un certain temps. L’idée semble intelligente, dans ce cas au moins.

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    • Alceste. Alceste.

      Ces étudiants en médecine ne seront pas des médecins au sens de ceux qui sont en train de partir vers une retraite bien méritée, ils seront dans le meilleur des cas de bons techniciens de la médecine, vous n’irez pas dans un cabinet mais dans un atelier médical. Cela est fort différent dans l’approche humaniste du métier.
      Un médecin n’est surtout pas une machine à prescrire, c’est autre chose,et ces centres médicaux ne sont que cela.
      Les mentalités ont bien changées dans le libéral,fric et confort sont les maîtres mots, à tel point que je me demande si l’on peut encore associer vocation et médecine dans la grande majorité des cas.Après, chapeau bas aux médecins du public et notamment aux médecins des marins pompiers qui ne roulent pas en Porsche,qui ne vivent pas à la Cadenelle mais eux savent pourquoi ils font ce métier.Et a eux,grand merci.

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    • Marc13016 Marc13016

      Oui effectivement, des étudiants en formation ne peuvent remplacer des praticiens réguliers et habitués à leur patients.
      Mais ils peuvent assurer la “bobologie”, sous la supervision des médecins en place. C’est sûrement l’idée de cette année de stage.
      Et qui sait si certains ne trouveront pas une vocation de médecin de campagne au travers de ce genre d’expérience …

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  3. TINO TINO

    la médecine libérale devrait s’éloigner du mercantilisme et se rapprocher du service public. Les études de médecine sont quasiment gratuites en France, alors pourquoi , en contre partie, l’Etat n’impose t il pas ,en guise de ” remboursement” a la fin des études une période d’exercice dans les désert médicaux. Il y a beaucoup de métiers où l’on n’a pas le choix du lieu d’exercice. On va là où le boulot se trouve. D’ailleurs, flexibilité et mobilité sont des mots très utilisés aujourd’hui dans le monde du travail. Pourquoi pas dans le milieu médical dit libéral. D’ailleurs, il y a abus du mot libéral, quand on sait la place de la sécurité sociale dans les revenus souvent très conséquents des médecins.

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