À Fos-sur-Mer, l’inspection du travail épingle une nouvelle fois ArcelorMittal

Enquête
le 7 Mai 2024
1

Les ouvriers de l’aciérie d’ArcelorMittal à Fos ne sont toujours pas correctement protégés, selon un nouveau courrier de l’inspection du travail que Marsactu et Disclose se sont procuré. À quelques exceptions près, l’industriel, sponsor des JO, n’a pas tenu les engagements pris en juillet dernier, lorsque la fermeture de l’aciérie avait été ordonnée.

L
L'usine ArcelorMittal à Fos-sur-Mer (Photo : Clémentine Vaysse)

L'usine ArcelorMittal à Fos-sur-Mer (Photo : Clémentine Vaysse)

C’était un coup de poing sur la table retentissant : le 19 juin 2023, l’inspection du travail avait requis la fermeture de l’aciérie du site d’ArcelorMittal de Fos-sur-Mer, en raison de la sur-exposition de ses salariés et sous-traitants à des particules fines et produits cancérogènes. Saisi par la multinationale, le tribunal administratif avait annulé début juillet cette décision d’une fermeté inédite, arguant qu’elle entravait “la liberté du commerce et de l’industrie”. ArcelorMittal s’était malgré tout engagé à mettre en œuvre un plan d’action pour protéger les salariés et sous-traitants exerçant dans l’aciérie.

Le courrier adressé à l’entreprise par l’inspection du travail le 22 avril 2024 s’inscrit dans le cadre du suivi de ce plan d’action. Le 7 février dernier, ses représentantes ont effectué une visite nocturne inopinée à l’aciérie. Les 20 pages du courrier décrivent la situation constatée ce jour-là en divers points de l’aciérie, et formule des “observations” à l’attention de la direction du site. À part une amélioration sur un point précis, les inspectrices s’étonnent que les mesures détaillées dans le plan d’action de juillet ne soient toujours pas mises en œuvre, à l’inverse de ce qui était prévu dans ce document signé par les deux parties.

Le seul point positif du courrier porte sur le remplacement de la cendre de balle de riz, produit contenant de la silice cristalline, un cancérogène avéré, et manipulé par les travailleurs de l’aciérie jusqu’à l’été 2023. À sa place, sont utilisés désormais deux autres produits, le p-panisol-o et le rhyolite. “Cette initiative constitue une étape vers la réduction de l’exposition des travailleurs”, saluent les inspectrices, tout en rappelant que la recherche de substitution des produits dangereux est une obligation de l’employeur. Elles demandent donc à l’industriel d’expliquer pourquoi il ne peut pas remplacer, de la même manière, les autres composés chimiques dangereux auxquels les travailleurs de l’aciérie sont exposés.

L’intérieur de l’aciérie, avec des sols couverts de poussière. (Photo : DR)

Plomb, silice, nickel, phénol, phosphore blanc, aluminium, xylène… Ce sont en effet pas moins de 13 produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) et 16 agents chimiques dangereux (ACD) qui ont été identifiés à l’aciérie par un bureau d’études en juillet 2023, à la faveur d’une campagne de relevés ordonnée par l’inspection du travail. Le document d’évaluation des risques d’ArcelorMittal reste cependant lacunaire d’après les inspectrices : il ne dit pas précisément quel poste de travail expose à quels composés chimiques, et les mesures de prévention sont pour certaines “insuffisantes ou insuffisamment détaillées” soulignent-elles.

Travailleurs sans masques

De la même manière, le courrier reproche à l’entreprise de ne pas avoir mis en place un système de captation efficace des poussières, ni aménagé de sas entre les espaces pollués de l’aciérie et les “locaux” — bureaux, salles de réunion ou salles de commande informatique où les salariés travaillent sans masques ni habits de protection. “Des travailleurs étaient en train de travailler ou de se restaurer dans ces locaux, alors que nous avons constaté la présence de fortes odeurs chimiques ainsi que des poussières blanches ou noires, similaires à celles présentes dans l’aciérie, sur le sol et les équipements de travail tels que les ordinateurs, claviers, chaises, etc”, notent ainsi les inspectrices.

Lors de notre contrôle, nous avons constaté 6 salariés ne portant pas de masques, 3 avec des FFP3 et 2 avec des Abek P1 manifestement encrassés.

Extrait du courrier

Cerise sur le gâteau, dans les espaces où ils sont obligatoires, les salariés ne portent pas toujours de masques, ou pas les bons. “Lors de notre contrôle, nous avons constaté 6 salariés ne portant pas de masques, 3 avec des FFP3 et 2 avec des Abek P1 manifestement encrassés”, souligne le courrier, alors qu’ArcelorMittal avait affirmé à l’inspection du travail que tous les salariés étaient désormais équipés des masques ventilés, indispensables pour les protéger efficacement dans cet environnement très pollué. “En outre, sur les 23 salariés interrogés, 7 n’ont pas pu nous fournir de réponses concernant le changement des filtres (quand et comment les changer) alors que certains filtres étaient noirs et encrassés”, pointe encore le courrier, qui précise que des mégots de cigarettes et des verres ont été observés dans les espaces où les travailleurs ne sont pas censés retirer leur masque. Or, il est de la responsabilité de l’employeur de faire respecter les consignes de sécurité par ses employés.

Le sol de la "halle convertisseur" au sol recouvert de poussière. (Photo : DR)Après cette inspection peu favorable à ArcelorMittal, le directeur du site de Fos, Bruno Ribo, a demandé un entretien avec les inspectrices. Celui-ci a eu lieu le 21 mars, en présence de l’avocat de l’entreprise et de la directrice juridique France de l’inspection du travail. Mais les explications fournies par le patron de l’usine n’ont, semble-t-il pas convaincu l’inspection du travail, qui a fait parvenir à l’entreprise, en même temps que ce courrier du 22 avril, une mise en demeure, lui ordonnant de mettre en place dans un délai de 8 mois, “un dispositif efficace de captation à la source des substances dangereuses ou gênantes émises sous forme de gaz, vapeurs, aérosols, solides ou liquides au cours du processus transformation de la fonte issue des hauts fourneaux en acier”.

Mobilisation en vue

Ce nouveau rappel à l’ordre va-t-il, plus que la menace de fermeture du site de l’été 2023, pousser la multinationale à prendre les mesures nécessaires dans l’aciérie de Fos pour protéger réellement la santé de ses salariés ? Le sidérurgiste réfute tout retard, préférant mettre en avant les avancées des derniers mois.  “Un programme de nettoyage régulier et permanent par zone est en place et fait suite à la première phase de nettoyage intensif pour la réduction des poussières”, fait savoir à notre partenaire Disclose son service de communication, en contradiction avec les observations faites en février par l’inspection du travail. “Le plan de création ou remise en état des lignes d’aspiration” des poussières est également “très avancé”, ajoute ArcelorMittal, affirmant par ailleurs que “conformément au calendrier, deux tiers des sas à créer ont été construits”. Pour autant, les délais de réalisation des différents travaux définis dans le plan d’action sont expirés, d’après l’inspection du travail.

Si ArcelorMittal semble de nouveau mettre à l’épreuve la patience des inspectrices du travail, celle des habitants et des habitantes des régions affectées par les pollutions et autres dégâts causés par l’industriel (et décrits par notre partenaire Disclose) atteint ses limites. Venu-es du Brésil, du Mexique, du Libéria ou d’Afrique du Sud, comme de Fos-sur-mer, ils et elles manifesteront ce mardi devant l’entrée de l’usine de Fos pour exiger que la multinationale, sponsor des Jeux Olympiques, respecte la réglementation environnementale comme les droits des populations, dans les différents pays où elle est impliquée.

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Marc13016 Marc13016

    Effrayant. Merci Marsactu, ça mérite d’être connu !

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire