Condamné pour provocation à la violence raciale, le président de l’YCPR va accueillir les JO

Enquête
le 7 Mai 2024
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Quelques mois après sa condamnation, Christian Tommasini a repris en 2022 la tête du club nautique gestionnaire du site olympique de la Pointe-Rouge, à Marseille. L'année précédente, il avait déclaré en public "le jour où il faudra s’armer, je serai le premier à aller faire de la ratonnade."

Le Yachting club de la Pointe-Rouge est responsable de la gestion du port de plaisance. (Photo : Google Maps)
Le Yachting club de la Pointe-Rouge est responsable de la gestion du port de plaisance. (Photo : Google Maps)

Le Yachting club de la Pointe-Rouge est responsable de la gestion du port de plaisance. (Photo : Google Maps)

Marseille s’apprête ce mercredi 8 mai à être le premier point d’accueil en France de la flamme olympique et l’événement attire les regards du monde entier. Un relais de personnalités se prépare pour porter le flambeau jusqu’au stade Vélodrome. Marseille, choisie car elle est “une ville populaire, chaleureuse, multiculturelle”, d’après le président du comité d’organisation des Jeux, Tony Estanguet.

Plus loin dans les chaînons du dispositif olympique cependant, le site de la Pointe-Rouge accueille neuf pavillons olympiques, délégations étrangères de sports nautiques, en tant que centre de préparation. Le port en question a à sa tête une personnalité qui évoque une ville aux valeurs différentes : le président du Yachting club Pointe-Rouge (YCPR), club sportif gestionnaire du port, est de nouveau Christian Tommasini.

Revenu à son poste en avril 2022, il en avait pourtant démissionné l’année précédente, suite à la publication de l’enregistrement d’une réunion du conseil portuaire, l’instance gestionnaire des ports de plaisance de Marseille. Il y avait notamment déclaré, sans être jamais interrompu par les différents représentants, que sur le port de la Pointe-Rouge, “il n’y a que des melons, que des arabes“, ainsi qu’un menaçant “le jour où il faudra s’armer, je serai le premier à aller faire de la ratonnade“, ou encore un sans équivoque : “Oui, je suis raciste“. Des propos qui avaient été effacés du compte-rendu officiel de séance. Dans le communiqué qui annonçait publiquement sa démission, Christian Tommasini disait vouloir “préserver avant tout les intérêts de [son] club“.

Condamné le 17 décembre 2021 à 10 000 euros d’amende, pour injure publique raciale et provocation publique à la haine ou à la violence raciale, il avait multiplié les mea-culpa lors de son procès. Un changement qui n’aura donc que très peu duré : l’assemblée générale du club le 22 avril 2022 réinstalle donc Christian Tommasini à la présidence. En s’adressant à ses membres dans la revue annuelle de l’YCPR, début 2023, ce dernier se félicite – “Après la tempête, comme en mer, le calme revient !” – et qualifie l’affaire “d’épisode politico-médiatique“. La récente assemblée générale de ce printemps 2024 l’a confirmé à ce poste.

En 2022, Patrick Niederoest, président par intérim du club, usait du même champ lexical, écrivant aux membres que “l’année 2021 a été une année singulière en commençant par l’assaut politico-médiatique ayant pour but d’ébranler notre association par une manœuvre délétère de bas étage, fomentée par quelques esprits tout aussi méphitiques que pernicieux“. La même année, avant le procès, il avait pourtant déclaré à Marsactu : “Il faut laisser la justice faire son travail : s’il est condamné, la situation ne serait plus du tout la même, et nous devrons prendre d’autres dispositions.”

“aucun débat” en interne

Contacté, le club et son président n’ont pas souhaité répondre, si ce n’est par un ferme : “le YCPR ne souhaite pas communiquer avec Marsactu“. Mais Richard Hardouin, membre du conseil d’administration du YCPR et président de France Nature Environnement Bouches-du-Rhône, décrit un retour aux affaires qui lui semble évident : “Il n’y a pas un enthousiasme fort pour prendre la place de président, quand quelqu’un fait l’affaire, les gens qui comme moi peuvent prendre des responsabilités s’abstiennent de s’investir. Pour nous, c’est une affaire extérieure. En interne, ça ne soulève aucun débat“.

On le connaît, il nous faisait toujours des blagues un peu énormes, plus sur les femmes d’ailleurs.

Richard Hardouin, membre du CA

Il décrit un personnage “marseillais” et des propos “de bar“, qui n’avaient pas leur place en public, mais qui n’ont pas choqué outre mesure au sein du conseil d’administration de l’association sportive : “On le connaît, il nous faisait toujours des blagues un peu énormes, plus sur les femmes d’ailleurs. C’est son personnage, mais quand on est en responsabilités, il faut en effet s’interdire certains propos. On l’a secoué en lui disant qu’on ne pouvait pas dire des propos comme ça publiquement. Aujourd’hui, quand on voit arriver un nom à connotation dans les candidatures pour les places de bateau, on le regarde un peu amusés. Ça n’empêche pas qu’il n’y aucune discrimination à l’accès“.

La faute aux jet-skis

Richard Hardouin tient aussi à revenir sur ce qui avait motivé la diatribe de Christian Tommasini : l’accès la rampe de mise à l’eau et le parking public attenant, embouteillé à cause de la présence d’usagers de jet skis. À l’époque, le président du club déclarait :Ils profitent de la demi-heure de parking gratuite… Pas un blond, un blanc, un qui est bien comme il faut, non, que des Arabes“. Depuis, la demi-heure gratuite a été supprimée. Et s’il se plaignait de la non-intervention des forces de l’ordre (“ils ont peur des melons, ils ont une peur bleue des Arabes !”), elles semblent donc être intervenues en interdisant les jet-skis dans la rade, en lien avec la préparation des JO.

Le club se retrouve chargé de la gestion d’un périmètre plus large du parking, utilisé aujourd’hui pour accueillir les délégations olympiques. “On a eu la gestion du parking et de la mise à l’eau, et il s’est organisé là-bas des trafics avec des scooters de mer, avec une population qui faisait du blanchiment d’argent sale.” Confronté à la violence des propos de son président de club, il poursuit : “On s’est retrouvés avec du banditisme, et ceux qui faisaient ça, avaient cette couleur de peau.

Si le parking revient autant dans les débats, c’est qu’il participe à la capacité d’accueil pour les JO. Un enjeu important, au-delà de l’aspect sportif et de rayonnement que représente le statut de centre olympique. Le club ne déclare de la part de l’organisation des Jeux Olympiques que 22 000 euros de subventions directes, mais les conventions d’occupation et de mise à disposition pour héberger les neuf délégations olympiques représentent des recettes d’environ 1,4 million euros depuis 2022, notamment dans le cadre de la délégation de service public concédé par la métropole.

En bons termes avec la métropole…

L’institution paraît ainsi conserver de bons rapports avec le club sportif, à travers son vice-président Didier Réault (LR), déjà présent à la réunion originelle et qui n’a pas donné suite à nos sollicitations. Mais la métropole assume pleinement : “l’YCPR est attributaire d’une DSP, sur le site de la Pointe-Rouge. Dans ce cadre, nous contrôlons l’exécution de la DSP, comme pour tous nos délégataires, mais nous n’avons pas à intervenir dans l’organigramme de ce dernier”.

Récemment, Christian Tommasini a tenu à saluer des institutions plus que toujours présentes, dans la revue 2024 du club : “Nous remercions le département des Bouches-du-Rhône, la métropole Aix-Marseille et la région Sud pour leur soutien financier qui nous permet de continuer à briller malgré la suppression toujours effective des subventions de la Ville de Marseille”. Les aides versées par le département et la région n’ont en effet connu aucun changement depuis la révélation des propos du président du club.

Moins avec la mairie

Du côté de la majorité municipale, on affirme à l’inverse avoir respecté ses engagements : au lendemain de la révélation des propos de Christian Tommasini, Benoît Payan avait déclaré “la Ville suspend toutes ses relations avec l’YCPR”. De fait, la mairie ne subventionne plus le club depuis. L’adjointe au maire déléguée à l’état civil, Sophie Roques (PS), est la représentante titulaire de la mairie au conseil portuaire. Présente lors de la réunion de 2021, elle n’était pas intervenue, ni fait de signalement quelconque. Contactée, elle revient sur son absence de réaction de l’époque : “c’est un grand regret, si ça se passait aujourd’hui ce serait différent“.

C’est au club lui-même de faire le ménage s’il y a un problème de gouvernance, et visiblement, il y en a un.

Sophie Roques, adjointe au maire

Elle dit d’ailleurs apprendre ce retour à la présidence de l’YCPR : au sein des instances du conseil portuaire, Christian Tommasini ne représente plus le club, et Sophie Roques affirme que cette réintégration n’a jamais été mentionnée en réunion. “La Ville ne siège pas à l’YCPR, elle n’a pas de droit de regard sur la gestion du club. C’est au club lui-même de faire le ménage s’il y a un problème de gouvernance, et visiblement, il y en a un“.

Le sujet se révèle pourtant parfois épineux pour la mairie de Marseille. Selon nos informations, au moment de l’inauguration en grande pompe de la marina olympique, début avril, des invitations avaient été adressées par la Ville de manière systématique à différents représentants de clubs nautiques marseillais. Y compris, donc, à Christian Tommasini. Quelques jours avant l’événement, les services réalisent la possible arrivée d’une personne condamnée pour provocation à la haine au côté de différents ministres, officiels et de nombreux médias locaux et nationaux. Ce qui a mené le protocole municipal à mettre en place un système de validation d’identité, spécifiquement afin d’empêcher l’entrée du président de l’YCPR s’il venait à vouloir représenter le club.

Durant cette inauguration, Benoît Payan a annoncé sa volonté que tous les jeunes marseillais soient initiés à la voile avant la 6ᵉ. Dans les services de la Ville, on sait qu’un partenariat avec l’YCPR sera peut-être nécessaire pour réaliser cette ambition, les clubs et sites nautiques appropriés n’étant pas si nombreux. Et on évoque d’ores et déjà un “malaise” à l’idée de renouer des liens avec l’institution et son président. Sollicité par Marsactu, le comité d’organisation des jeux Paris 2024 a indiqué ne pas être responsable ni partenaire des “centres de préparation aux Jeux” (CPJ), tels que le port de la Pointe-Rouge. “Ces sites ne sont pas gérés par Paris 2024 qui n’a aucune relation contractuelle avec les CPJ et donc aucune relation particulière avec leur direction”. Ce qui n’empêchera pas l’YCPR de participer à la grande fête olympique.

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Commentaires

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  1. julijo julijo

    illustration nauséabonde du nouveau paradygme de la “liberté d’expression”

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  2. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Condamnation bien légère ! Si de tels propos avaient été tenu avec connotation antisémite la peine aurait été bien plus lourde’ précédée d’une garde à vue immédiate et on aurait parlé, à juste titre d’appel au terrorisme.

    Et Vassal, Réau et Museliè s’accomodent de ce genre d’individus.

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    C’est fascinant de voir à quel point le racisme et la misogynie de ce personnage semblent tolérées par ses proches.

    Cet individu n’est pas “marseillais”, il ne fait pas “des blagues un peu énormes, plus sur les femmes d’ailleurs” : il est raciste et misogyne.

    Les “blagues un peu énormes”, ce n’est pas de l’humour, c’est de l’oppression. C’est le petit beauf qui fait semblant de cacher son mépris derrière un faux “second degré”.

    On ne peut qu’être surpris qu’un tel individu revienne aux commandes de l’YCPR avec la bénédiction de tous comme si de rien n’était, comme si ses “valeurs” étaient banales et parfaitement acceptables. Les grands mots utilisés par le président par intérim en 2022 n’y changent rien : ce n’est pas parce qu’on fait des phrases compliquées que l’abject est moins abject.

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Pourquoi revient-il aux manettes avec la bénédiction de tous? C’est parce qu’il ne doit y avoir personne d’autre qui se présente. Il faut soit une abnégation hors normes pour diriger ce genre de machin ou un intense désir de pouvoir et l’envie de côtoyer le gratin politique et économique.

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  4. mrmiolito mrmiolito

    M. HARDOUIN,Président de FNE, association qui prône à l’evidence des valeurs de tolérance, n’est donc pas trop gêné de fréquenter un raciste revendiqué.

    Il n’est manifestement pas trop gêné non plus de faire partie d’un yachting club alors que FNE a toujours une sigrande bouche contre la pollution liée à l’activité maritime (mais ça ne doit pas être les mêmes polluants, ceux des yachts ?).

    Également riverain militant contre la L2, il va sans probablement à vélo à la Pointe Rouge… où il ne fait sans doute que du kayak de mer, pas vrai ? Tu parles d’un tartuffe…

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  5. julijo julijo

    bah, tout ça reste assez logique.
    condamné en 2021 à pas grand chose.
    il y a dans le gouvernement des gens, eux aussi condamnés à pas grand chose
    parmi les élus, quelques uns sont également condamnés à pas grand chose…
    qui, pour lui jeter la pierre ?
    on va peut être s’habituer à voir la france, les media, les assoc, les organisations, les institutions dirigés par des rpris de justice !

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  6. vékiya vékiya

    présent au 2ème tour & 35 % prévus pour l’ue…

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  7. Laurencin Laurencin

    “Nos valeurs : solidarité, ambition, indépendance et humanisme”. Avec le président de FNE des Bouches-du-Rhône, on en est assez loin. A quelques semaines des élections européennes, la FNE pourrait se préoccuper de ses représentants locaux.

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    • Laurencin Laurencin

      Ce que je préfère dans cette complaisance, c’est : “On l’a secoué en lui disant qu’on ne pouvait pas dire des propos comme ça publiquement.” En privé, en revanche…

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  8. Patafanari Patafanari

    Condamnation à naviguer sur des felouques.

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  9. jemamo13 jemamo13

    Par quelle magie Marseille aurait été propre (sens propre et figuré) pour la venue de la flamme?

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  10. SLM SLM

    A Paris on fait bien porter la flamme à un éboueur qui encourage ses confrères marseillais à faire grève pour les JO… Kamoulox!

    Ce pays marche sur la tête, à reculons, mais ça ne l’empêche pas de foncer dans le mur.

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