Une expérience sur les rats prouve que l’air de Fos-sur-Mer rend malade

Enquête
le 2 Fév 2019
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Une chercheuse du CNRS, Sylvia Pietri, mène une étude inédite sur les effets des polluants de Fos-sur-Mer sur la santé : elle fait respirer à des rats un air mimant celui de la ville, à raison d’une heure par jour pendant six mois. Le résultat est sans appel : 80% des animaux développent des maladies cardio-vasculaires et du diabète à l’issue de l’expérience.

Capture d
Capture d'écran du documentaire Fos, Les fumées du silence.

Capture d'écran du documentaire Fos, Les fumées du silence.

Sur le flacon, on peut lire : “Polluants Fos”. Un tube connecte ce flacon à une cage en verre, où une vingtaine de rats vont et viennent. Une fois le mécanisme déclenché, une fumée blanchâtre se diffuse dans la cage : la solution du flacon est transformée en “aérosol”, l’atmosphère que les rats vont inhaler pendant une heure. Un traitement auquel ils sont soumis une fois par jour pendant six mois, “ce qui représente environ un quart de la vie des rats, puisqu’ils vivent deux ans en moyenne”, précise Sylvia Pietri, directrice de recherche de l’Institut de chimie radicalaire, rattaché au CNRS et à l’université d’Aix-Marseille.

Extrait de “Fos, les fumées du silence”, de Nina Hubinet et Pierre-Jean Perrin diffusé sur France 3, lundi 4 février en seconde partie de soirée. (coproduction France 3 Provence-Alpes / Babel Doc)

La chercheuse, qui travaille depuis une dizaine d’années sur les conséquences de la pollution de l’air sur la santé, fait partie du conseil scientifique de l’Institut écocitoyen, créé en 2010 à Fos-sur-Mer pour étudier les polluants présents dans la zone industrielle. C’est en lien avec les scientifiques de cet institut qu’elle a initié cette expérience il y a un peu plus de trois ans.

“Je me suis basée sur les mesures faites par l’Institut écocitoyen à Fos pour établir cette solution de polluants. On y trouve les hydrocarbures issus des raffineries, des produits de combustion comme les méthoxyphénols, d’autres issus de la sidérurgie, comme la dioxine, le benzène, le nitro-1 pyrène, qui sont déjà reconnus comme dangereux pour la santé, cancérigènes pour certains”, explique-t-elle.

Épaulée par une équipe pluridisciplinaire dans son laboratoire de la faculté de Saint-Jérôme (13e), Sylvia Pietri a ensuite élaboré une méthode pour transformer la solution liquide en aérosol de particules stables, ce qui est techniquement difficile. “Il y a eu plusieurs études jusqu’à maintenant sur la pollution de l’air, notamment au Canada et aux Etats-Unis, mais à chaque fois les polluants étaient injectés ou mélangés à la nourriture des rats, ce qui ne correspond pas à la réalité des personnes qui vivent près des usines. C’est la première fois qu’une méthode d’inhalation spontanée et non invasive est réalisée sur des animaux.”

Artères bouchées et intolérance à l’insuline

Grâce à ce modèle inédit, l’équipe de Sylvia Pietri reproduit plus fidèlement les conditions de “contamination” des habitants des zones industrielles. C’est en effet via les poumons que les particules fines et ultra-fines, issues majoritairement des activités des usines, pénètrent dans le corps. “Ces particules qui sont inférieures à 2,5 microns sont capables de franchir les alvéoles pulmonaires et de rentrer dans les vaisseaux sanguins. Elles provoquent des réactions inflammatoires, parce que ce sont des corps étrangers : l’organisme va se défendre par le biais des globules blancs en créant des inflammations chroniques”, décrit la chercheuse.

Résultat : après trois mois, les rats exposés à l’air de Fos commencent à développer une intolérance au glucose et des dysfonctionnements cardiaques. “Au bout de six mois, 80% des rats ont des problèmes cardio-vasculaires et du diabète”, souligne Sylvia Pietri. “Puis nous voyons apparaître des dysfonctionnements au niveau du foie, du cerveau… qui peuvent ensuite déboucher sur des cancers. C’est alors la nature des polluants qui est en cause, plus seulement l’accumulation de particules dans les artères et vaisseaux”. La chercheuse précise aussi que plus les rats ont été exposés jeunes, plus les maladies se développent de manière virulente. Et elle insiste sur le fait que les animaux utilisés pour son expérience ne respirent la pollution de Fos qu’une heure par jour, alors que les habitants de la ville, enfants compris, y sont soumis en permanence.

Effet cocktail

Cette étude inédite, qui constitue une nouvelle preuve de la nocivité de “l’effet cocktail” des pollutions du pourtour de l’étang de Berre, doit faire bientôt l’objet d’une publication dans une revue scientifique. Elle apporte une nouvelle pierre dans l’argumentaire des associations et riverains de la zone, qui ont déposé une plainte contre X en novembre dernier pour “mise en danger de la vie d’autrui”. “Le problème, c’est vraiment le cumul : pendant des années les toxicologues ont dit que tout allait bien parce que chaque produit, mesuré séparément, ne dépassait pas le seuil autorisé. Mais la combinaison des polluants n’est pas prise en compte, et dans notre expérience, on voit que c’est aussi ça qui est très dangereux.”

Extrait de “Fos, les fumées du silence”, de Nina Hubinet et Pierre-Jean Perrin diffusé sur France 3, lundi 4 février en seconde partie de soirée. (coproduction France 3 Provence-Alpes / Babel Doc)

Sylvia Pietri sait que l’Agence régionale de santé a critiqué la méthodologie de l’étude Fos-Epseal. Menée par une équipe pluri-disciplinaire, cette enquête avait révélé il y a deux ans que les habitants de Fos et Port-Saint-Louis-du-Rhône avaient deux fois plus de cancers, plus de maladies cardio-vasculaires ou auto-immunes, plus de diabète et d’asthme que la moyenne nationale. Cette fois, elle ne voit pas comment l’institution pourrait contester ses recherches sur l’air de Fos. “Je suis prête à m’entretenir avec les représentants de l’État qui me diraient « votre protocole n’est pas rigoureux » !” 


Les particules ultra-fines en question

Tout est une histoire de quelques microns : les particules fines sont d’un diamètre inférieur à 10 microns, tandis que les particules ultra-fines sont inférieures à 2,5 microns (à titre de comparaison, l’épaisseur d’un cheveu est d’environ 70 microns). Les premières peuvent parvenir jusqu’aux bronches, tandis que les secondes, qui n’ont quasiment pas de masse, sont capables de traverser la barrière entre les alvéoles pulmonaires et les vaisseaux sanguins, et peuvent ainsi provoquer beaucoup plus de dégâts dans le corps humain.

Or la réglementation européenne en matière de pollution de l’air oblige à mesurer les premières, pas les secondes. D’après les relevés réalisés par l’Institut écocitoyen à Fos, les particules ultrafines, produites en grande partie par l’industrie, composent pourtant la majorité de l’atmosphère de la ville. Mais l’organisme en charge du contrôle de la qualité de l’air, Atmosud, n’a pas d’appareil de mesure pour les “compter” à Fos. Les alertes aux particules ne sont ainsi pas plus nombreuses à Fos qu’à Marseille ou Aix.

Actualisation samedi 2 février : France 3 a mis en ligne le documentaire  avant même sa diffusion lundi soir. Vous pouvez le voir ici.

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Commentaires

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  1. michele42 michele42

    Et en plus ces rats , ils fument pas, ils boivent pas , bref ils obéissent
    à toutes les consignes de santé publique . pour éviter les maladies .

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Vraiment surprenantes, les conclusions de cette étude. Pourtant, not’bon maire nous a expliqué que le mistral “nettoie l’air”, et qu’il suffit d’expirer très fort pour chasser la pollution des poumons (https://twitter.com/jvinzent/status/1011191001422225415?s=19).

    Se serait-il foutu de notre g… ?

    Signaler
  3. pbatteau pbatteau

    Tout le monde a le droit de développer des thèses relatives aux causes et effets de la pollution du département et tout le monde a le droit (et c’est un bien !) de mettre des questions judicieuses sur la table par des dispositifs expérimentaux car cela peut orienter la recherche et attirer l’attention des autorités. Cependant le bât blesse lorsque ces thèses sont présentées sous le label « CNRS ». Car pour appuyer une thèse par des arguments scientifiques, il n’y a qu’une méthode : celle des investigations bibliographiques dans les revues à comité de lecture permettant la référence à des publications précises. Ici une inspection du site du laboratoire CNRS concerné, certes des plus sérieux et pourtant riche en publications, n’en fait ressortir aucune relative à l’expérimentation concernée. Les qualités scientifiques de la chercheuse ne sont nullement en doute, mais s’il s’agit d’un nouveau projet de recherche ou d’une nouvelle méthode imaginée par ce laboratoire, la moindre des choses est d’attendre que l’expérience ait été soumise, discutée, puis acceptée par un support reconnu par le CNRS pour en diffuser les résultats. Il est inquiétant de voir de plus en plus de chercheurs soumettre leurs observations, expériences et conclusions au jugement du grand public via la télé ou les médias internet avant de recueillir celui de leurs pairs. Tant que ces chercheurs s’expriment comme citoyens en défense d’une noble cause, il n’y a rien à redire et on peut même les y encourager ; en espérant cependant que les médias qui les sollicitent, maintiennent un équilibre entre toutes les thèses. Mais ce n’est pas parce qu’un membre d’un laboratoire CNRS, si huppé soit-il, s’exprime que sa parole est nécessairement scientifiquement appuyé. On en a maints exemples chaque jour dans les émissions télévisées sur les questions environnementales ou sociétales. Chers collègues, attention à ne pas finir par discréditer l’institution qui pourtant vous fait vivre !

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