[Entre les lignes] Sororités et indiscrétion

Chronique
le 28 Mai 2022
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Auteur, slameur, Mbaé Tahamida Soly est l'un des fondateurs de la sound musical school B Vice à la Savine. Voyageur sans permis, il utilise au quotidien les transports publics. Ils lui offrent la matière de portraits de voyageur, écrits comme des saynètes et postés sur les réseaux sociaux. Pour Marsactu, il en fait une chronique à lire entre les lignes.

Dessin : Ben 8.
Dessin : Ben 8.

Dessin : Ben 8.

Azonto à ma gauche 🎼, du rap derrière moi 🎧, au fond une sonnerie de téléphone 📳 et de la musique orientale 🎶, l’appel à la prière musulmane sur de l’Afro quelque part dans l’allée centrale 🕋 et un peu de kizomba provenant des oreillettes de l’une des dames assises devant moi… Je suis bel et bien dans mon bus pour la cité.

Aujourd’hui, c’est J., un ancien jeune du quartier qui est notre chauffeur. Je suis monté en le laissant en grande conversation avec une daronne des Aygalades après leur avoir souhaité une bonne fête de l’Aïd. Cette dernière monte à son tour au bout de cinq minutes et s’installe côté fenêtre sur un des sièges devant la porte de sortie. Elle passe un appel et partage sa conversation à tout le monde car elle a une voix qui porte 🗣️📣. Beaucoup 🔈.

J’apprends ainsi que la mère de J. s’est faite opérer des hanches et qu’elle en souffre énormément. (Lui ne m’a rien dit sur son état de santé⚕️. Et ne veut sans doute encore moins que tout le bus le sache. Mais dans les transports en commun, on peut parfois avoir des nouvelles de gens qu’on n’a pas vus depuis des lustres sans que vous le demandiez et on peut même vous donner de vos nouvelles et des vôtres en votre présence.)

Sur la rangée à ma gauche, derrière la daronne des Aygalades, trois dames voilées 🧕 près de la cinquantaine discutent gaiement. Je ne comprends pas ce qu’elles se racontent mais elles s’éclatent comme des gamines en sortie scolaire 🚸. Une jeune femme avec des écouteurs enfoncés dans les oreilles 🎧 occupe la quatrième place côté couloir et ne s’intéresse pas du tout à leur joyeuse conversation.

Dans ma rangée je suis côté fenêtre 🪟 : deux femmes devant moi et personne à gauche. Celle qui se trouve en face de moi, elle aussi, n’a pas du tout l’air d’être dérangée par l’ambiance de cours de récré qui règne à l’autre rangée 🎒. Tout comme sa perruque marron qui montre des signes de rébellion de ses cheveux crépus, elle est fatiguée la dame 😩. Elle a les yeux fermés 😴. Par moment son téléphone 📳 lui notifie qu’elle est dans un bus 🚌 et non dans son salon. Elle se réveille alors en sursaut, consulte son activité numérique, sourit à son écran, écrit un message puis remet son 📱 dans la poche de sa veste pour ensuite fermer les yeux et repiquer du nez 😴.

L’opposée même de la jeune femme assise avec les trois adulescentes. Dans son petit tailleur gris cette dernière a plutôt l’allure des working girls de la start-up nation, section banque et assurance 👌. Pas une mèche qui dépasse, des faux cils qui lui donnent des yeux de biche, des ongles roses avec des motifs bleus et des bagues aux doigts. Look parfait, de la tête aux chaussures de marque V 👠(Magnifike ma chéwie ! Comme dirait l’autre présentatrice de télé avec son accent do braziwou.)

À coup sûr, elle a pleuré récemment…

Le bus démarre et roule à grande vitesse. Il freine sec, manquant de peu le premier arrêt et une des dames voilées est projetée dans la poitrine de sa copine assise en face d’elle. Son amie fait alors mine de lui donner le sein 🤱. Ce qui provoque l’hilarité des trois “dagamines” et un rire général. Sauf de leur jeune voisine qui ne montre toujours aucune réaction. Elle est plongée dans ses pensées, les yeux dans le vague 🌊. En la regardant de plus près, je remarque ses yeux rouges et elle a perdu son maquillage sur la commissure de l’œil. À coup sûr, elle a pleuré récemment (peine de cœur ? Licenciement ? Problème avec des collègues de bureau ? Burnout ?).

Un coup de fil vient interrompre mes interrogations.⁉️ 😕

– “Non ça va pas ! (Les larmes dans la voix 😢). Tu as vu ce que tu m’as fait ? Ça se fait pas. T’avais besoin de me frapper devant mes collègues ? Tu m’as fait remarquer. (Même sans témoin il n’a pas le droit, j’avais envie de lui dire). Tu pouvais pas juste parler ?

-…

Mais quoi ? Je voulais juste les accompagner aux Terrasses pendant leur pause déjeuner, prendre un café avant de rentrer ☕. On sort ensemble depuis cinq mois, et tu me fais toujours pas confiance ?

– …

Oui je t’ai dit… Je t’ai dit… Normalement, je travaille jusqu’à 17h00, mais comme j’ai fait trop d’heures ma chef m’a dit de prendre mon après-midi. Voilà !

-…

Mais tu ne m’as même pas demandé ! Tu as commencé à t’énerver pour rien et à me crier dessus direct, à me critiquer et puis tu m’as giflé…”

Et puis c’est quoi ça tu discutes avec un homme qui te tape 👊 ?

La dame (que je croyais dans le cirage) devant moi sort de son brouillard, puis s’adresse à la jeune working girl en agitant sa main droite dans sa direction :

– “Hé Ma fille ! Ma fille ! Pardon hein 🙏 Rrraccroche téléphone📱, s’il te plaît. Tout le monde, il n’a pas besoin connaître tes problèmes. Ça c’est prrivé ! Tout le monde entend. Et puis c’est quoi ça tu discutes avec un homme qui te tape 👊 ? Quitte-le ! Tchiiiip. Tu discutes pas avec, tu quittes c’est tout. C’est un conseil hein ! Moi, mon marrri il m’a tapé une fois 🤛, une seule fois hein. Je suis parrtie avec les enfants. Maintenant c’est la galère. Mais personne ne me frappe 🤜. En plus devant tes amis. Ça c’est quoi ? Tchiiiip ! Ma mère m’a dit : Un homme il te tape une fois, il peut rrecommencer encore et encore.

Ça c’est vrai, acquiesce une des femmes voilées. Et s’il peut faire ça en public, imagine ce qu’il peut te faire quand vous serez seuls à la maison. (Je suis d’accord)

Il ne faut plus le frréquenter. Tu es jeune, tu es belle, prrends un autre… Tchiiiip !”

Et là, Miss Magnifike se met à chialer pour de bon. Des larmes comme s’il pleuvait. Adieu maquillage, faux cils, yeux de biche… Plus qu’une petite enfant. Ses trois voisines la consolent avec peine, lui donnent des mouchoirs pour s’essuyer le visage. L’une d’elles lui demande où est-ce qu’elle va.

– “Je vais chez ma grande sœur aux Aygalades ( Elle a enfin la présence d’esprit de raccrocher📵)

Nous aussi, répondent les dames voilées en riant.
On va t’accompagner jusqu’à chez elle.

C’est ainsi que toutes les quatre sont descendues, précédées de la daronne au téléphone. Et qu’on a pu nous laisser bercer par le ronronnement du moteur. Avec parfois des accents de sonnerie de téléphone, de musique Afro, Kizomba, Rap, Orientale, Variétés… Laissant la dame en face de moi retourner dans son demi-sommeil.

À la prochaine pour des indiscrétions passives sur ma ligne les amis.

Commentaires

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  1. Vand Vand

    J’adore vos chroniques. Vous mettez de la chaleur humaine dans vos récits, et une bienveillance qui n’est jamais “trop”, on ne bascule pas dans le mièvre, et vous parvenez à nous faire entrer dans le bus comme si on était… Ne vous arrêtez pas ! Encore merci !

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    • Soly Soly

      Merci infiniment pour ces mots et vos encouragements, ça me va droit au cœur, l’avis de ceux qui me lisent compte énormément pour moi, j’apprends chaque jour et vos retours m’aident à m’améliorer. Merci encore Vand

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  2. Happy Happy

    Très belle tranche de vie, touchante et riche, et une belle image de Marseille, de sa population féminine et de sa solidarité. Le mot fraternité d’une certaine devise sonne malheureusement creux de nos jours, heureusement des femmes font vivre la sororité !

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    • Soly Soly

      Merci, Aragon l’a bien dit ” la femme est l’avenir de l’homme”. De notre humanité en déliquescence. Amitiés

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