Michel Samson vous présente
Arts et essais

Pétage de plomb gesticulé et incompréhension dansée

Chronique
le 13 Mar 2018
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Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Cette semaine, pétage de plombs et incompréhension trouvent une forme dansée ou gesticulée.

"2 plus près",
"2 plus près",

"2 plus près",

“2 plus près”, compagnie HMG. Archaos.

La sirène de l’Opéra hurle, il est midi, le vent est léger, le soleil froid. À droite une jeune femme au milieu d’un étrange instrument de percussion : un ovale de bois, sur lequel sont fixés des gongs, des toms en peaux ou des tubes métalliques sonorisés. À gauche un homme assis, un oud sur les genoux, ordinateur branché. Au milieu, de dos, torse nu, un jeune homme ; immobile sur une chaise. La sirène se tait, la musique commence, stridente, chaotique, le jeune homme se tortille sur sa chaise, s’allonge en travers, s’enroule autour du dossier, s’accroche aux montants, se love sur le bois clair…

Sur des sons toujours étranges, brusquement, il fait l’arbre droit, reste totalement immobile et vertical sur l’assise de la chaise. Longtemps. Avant de s’étendre sur le sol, comme mort. La musique devient plus harmonique, rythmée, le jeune homme danse, fait des cabrioles, un salto facial, des sauts arrière. Circassien, danseur, il s’arrête et nous regarde, yeux fixes. Nous fixe sans nous regarder. La sirène clôt ce spectacle troublant, fort, mais qui met un peu mal à l’aise. Je lis alors ce qu’en écrit Lucie Antones, la percussionniste auteur de ce spectacle de douze minutes intitulé Bascules : “Que se passe-t-il dans notre tête quand on perd le contrôle de ses émotions ? Quand le fil se casse et qu’on ‘pète les plombs’ ? Je souhaite aussi évoquer de manière sensible et poétique, la renaissance des moments où ces personnes se redressent. Les ‘effets bascule’, les bascules”. Le malaise vient probablement de là, mais peut-être indique-t-il, justement, que Bascules est réussi.

Le même jour je vais voir la préparation, publique ce soir, de 2 plus près, au cœur des quartiers Nord. La rue industrielle est triste, c’est là, dans une ancienne usine, qu’est installé Archaos le Pôle national des arts du cirque Méditerranée. Les poutrelles du toit sont encore rouillées, quelques murs sont recouverts, un autre reste lépreux, les tables et chaises sont dépareillées. Jeunes gens, mamans, enfants : ce public populaire ne ressemble pas à celui qu’on croise en général au spectacle ou au cirque. Pour ce spectacle gratuit il vient de différentes structures sociales avec qui Archaos travaille : l’Espace Formation d’Istres, la maison municipale Denis Papin de la Mairie du 15/16 (Marseille), le Centre social Saint Louis (13015) et Arte Chavalo, qui intervient auprès des enfants et jeunes Roms survivant à Marseille. On bavarde, on grignote, puis le spectacle commence.

Accroché à des sangles aériennes, le jeune homme est absolument horizontal, tourne sur lui-même en des mouvements circassiens parfaits. La jeune femme marche, elle lui dit : “Tu es extraordinaire”, il continue ses lentes acrobaties, elle danse lentement, dit “j’adore”, continue de danser doucement, gestes parfaits elle aussi. Et puis tous deux se lancent dans des mouvements harmonieux avec les sangles accrochées au ciel, cela évoque une sorte d’érotisme timide et pudique : il l’enlace autour de la taille, elle marche sur son dos, leurs épaules se frôlent, ils se cherchent, se trouvent. En arabe il dit un texte que, revenue sur le sol, elle semble danser. Elle répond en français, l’incompréhension des langues non traduites se mélange à des gestes mal adaptés. Et puis ils reprennent leur ballet entre ciel et terre. Musique classique, Vivaldi, ils sortent de scène…

Un peu essoufflés, ils reviennent discuter avec ce public qu’on sent novice. La danseuse Lilou Magali Robert explique qu’ils se sont rencontrés au Maroc, ont apprécié l’un et l’autre leur manière de danser ou de faire des acrobaties mais qu’ils se comprenaient mal. Ils ont décidé de faire de cette incompréhension le thème de leur spectacle. Micro au public. “C’est magnifique”, dit un gamin. Foulard sur la tête, une femme : “J’ai beaucoup aimé votre échange, on a droit d’avoir une attirance les uns pour les autres, mais il y a des réalités qui sont là…”. Lilou lui répond : “Accepter l’incompréhension c’est le début de la compréhension. On a eu envie de creuser ça”. Un autre gamin : “Vous avez vraiment 44 ans ?” “Oui !”.

Younes Es-safy, l’acrobate marocain, peu bavard et qui avait lancé lors du spectacle “Vous, les Français, vous parlez beaucoup”, ajoute : “J’ai 24 ans et deux mois”. La circassienne-danseuse explique qu’ils avaient décidé de ne pas traduire le poème de Darwish qu’il lui a récité : “Je le traduis par ma danse”. Un tout petit appelle Lilou, il n’ose pas parler au micro, elle s’approche, il lui glisse quelques mots à l’oreille, elle revient sur sa chaise : “Il m’a dit : ‘Moi aussi je fais du cirque, j’ai adoré ce que vous avez fait”.

Et bien moi aussi.

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