Michel Samson vous présente
Arts et essais

Marseille sous toutes les expositions

Chronique
le 8 Nov 2016
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Détail d
Détail d'In your Vein d'Enkelejd Zonja pour l'exposition Albanie du Mucem.

Détail d'In your Vein d'Enkelejd Zonja pour l'exposition Albanie du Mucem.

Michel Samson explore les créations, lieux, acteurs et publics de la culture. Son idée, notre idée, est de proposer un regard sur ces propositions culturelles et artistiques qui interrogent la ville, parle d’elle et de (certains de) ses habitants. Pour ce nouvel épisode de la série, Michel Samson a parcouru les musées de la ville, des rêves de Marcel Duchamp aux bâtisses délabrées de Tirana.

Fort Saint-Jean, l’ensemble minéral du Mucem qui domine l’entrée des ports, le Vieux et celui de la Joliette. Dans le couloir d’entrée du bâtiment Henri-Rivière, un graphique linéaire retrace l’histoire de l’Albanie des antiquités à nos jours ! Je ne connais de ce pays, et encore vaguement, qu’un nom : Enver Hodja – non, il faut écrire : Hoxha ! – qui a créé “le premier État athée au monde” et rompu en 1978 avec la Chine maoïste, son seul allié de l’époque. Depuis la mort du tyran francophone, en 1985, l’Albanie reste quand même reléguée dans les oubliettes de l’histoire, quelque part dans des lointains replis maritimes des Balkans. Pourtant sa capitale, Tirana, est à 1207 kilomètres d’ici : Madrid est à 1102 km (Amsterdam avec ses 1234 km et Londres ses 1226 km sont plus loin). Une exposition se tient au fort Saint-Jean, simplement intitulée Albanie, 1207 km est.

Les capitales qui n’ont pas connu de dictature mégalo-communiste n’ont jamais eu non plus un artiste-maire : Edi Rama, 36 ans. Un film montre l’incroyable installation que ce maire a réalisée dans Tirana, à l’heure où “tout ce qui était public se trouva perçu comme ennemi”. Des travellings, souvent tournés de nuit, montrent des bâtisses délabrées de cinq ou sept étages, des rues défoncées, des tables de plastique branlantes sur des trottoirs crevés : les façades pourries sont peintes en jaune, bleu, vert, bandes colorées rectangulaires, asymétriques, variées et vivaces sur ces vieux bétons. L’effet est stupéfiant, tant cette idée simple paraît inventive. L’artiste-maire Edi Rama qui a décidé cette installation l’explique en quelques mots : dans la capitale la plus pauvre d’Europe, “beauté et couleur ont apporté bien plus que ne l’auraient fait la police et la répression. Elles ont introduit l’ordre et la loi dans la ville”.Et surtout des débats passionnés par et pour des habitants qui se sentaient partie prenante des actions engagées ; alors même que l’Europe, sollicitée, s’était d’abord refusée à “repeindre des immeubles”. Ces actions avaient aussi pour but d’insérer l’Albanie réputée arriérée dans l’Europe du XXIe siècle. La suite de l’exposition révèle que les huit artistes albanais choisis inventent un regard créatif, le mot est faible, sur leur pays, son passé, ses faiblesses et son inventivité.

Les grandes toiles d’Enkelejd Zonja, mises en scène pseudo réalistes de personnages parfois reconnaissables, télescopent passé et présent. Elles côtoient la mise en (dés)ordre d’objets des collections ethnographiques recélées par le Mucem par Edit Pulj : accrochés à des chaises plantées dans le mur, des gilets brodés à l’ancienne mode albanaise évoquent immanquablement des gilets de toreros. Les images floues des peintures réalistes moquent puissamment le réalisme socialiste qui fut l’idéologie dominante du communisme local. Découvrir un pays inconnu par ses artistes d’avant-garde, c’est commencer à le regarder autrement.

Lancé dans les expositions, je suis passé au musée Cantini : l’affiche du Rêve, ce sourire dessiné par Man Ray, m’intriguait. La visite guidée, étonnante d’érudition tranquille, m’a permis de saisir la richesse de cette exposition organisée en concertation avec la réunion des musées nationaux : les commissaires choisissent en leurs collections comment monter un assemblage cohérent. Celui de Cantini l’est, qui réunit des toiles d’une superbe richesse.

Aux noms connus comme Picasso, Delvaux ou Max Ernst, s’ajoutent des toiles énigmatiques de Félix Valloton ou d’Odilon Redon, une sculpture de Rodin, “non finie volontairement” et des photos contemporaines qui s’inscrivent bien dans ce courant artistique. Qui, dit joliment le catalogue, “à travers une centaine d’œuvres, peintures, sculptures, dessins, installations […] est une traversée onirique racontée à la manière d’un songe”. L’incroyable toile d’André Raffray dessinée aux crayons de couleur – une révélation quand on la regarde de très près – revisite l’ultime chef-d’œuvre longtemps gardé secret de Marcel Duchamp qui évoque l’Origine du Monde de Courbet, peinte en 1866 quand celle-ci date d’un siècle plus tard. Rebonds du désir et de la peinture, du sommeil, de l’inconscient et du rêve…

Puisque je regardais paysages et peintures, je suis aussi allé à Regards de Provence, dans l’ancienne station sanitaire construite par les architectes Champollion, Fernand Pouillon et René Egger en 1948, dont un beau – et trop long – montage vidéo et musical raconte et montre l’histoire incroyable. Marchant dans ces parages, une vision simple s’est imposée à moi. La passerelle qui relie le Fort Saint-Jean au Panier, ce trait de béton noir, “béton fibré à ultra haute performance” (!), propose une vue superbe sur l’entrée du Vieux Port. Surplombé par le fort Saint-Nicolas, lui-même accroché à un terrain escarpé sous lequel passe la mer, il est dominé par Notre-Dame de la Garde perchée sur la montagnette au flanc de laquelle dégouline la ville. Vue d’ici elle est magiquement urbaine.

– Le rêve, exposition jusqu’au 22 janvier au musée Cantini, 19 rue Grignan.
– Albanie, 1207 km est, exposition jusqu’au 2 janvier au Mucem, Fort Saint-Jean, bâtiment Henri-Rivière.
– David Dellepiane (jusqu’au 19 mars) et regard sur l’orientalisme (Jusqu’au 31 décembre) à la Fondation Regards de Provence, rue Vaudoyer (2e).

Commentaires

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  1. Mars1 Mars1

    Béton fibré et non filtré!

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      merci de cette remarque. Le filtre des corrections n’a pas bien fonctionné.

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  2. Michel Samson Michel Samson

    Il faut ajouter que c’est moi qui ai commis l’erreur de transcription…

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