Malika Moine vous présente
Cuisine à croquer

La Loubia de Liliane Bouchoucha

Chronique
le 16 Fév 2019
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Depuis plus de 20 ans, Malika Moine croque la vie en dépeignant l'actualité plus ou moins brûlante de Marseille et d'ailleurs. Au long cours, elle s'intéresse aussi aux lieux où l'on boit, mange et danse parfois. Pour Marsactu, elle va à la rencontre des gens dans leur cuisine. Elle en fait des histoires de goût tout en couleurs. Pour cet épisode, elle nous fait partager un soir de shabbat chez les Bouchoucha.

La Loubia de Liliane Bouchoucha
La Loubia de Liliane Bouchoucha

La Loubia de Liliane Bouchoucha

Ce soir, ce sera shabbat, et Liliane me fait choisir, entre un couscous aux légumes et un couscous aux haricots, typiquement algérois, la Loubia. Cette dernière recette m’intrigue, d’autant plus que Liliane est d’origine tunisienne. Elle explique : “Je suis née à Tunis. Mais j’ai épousé Marcel, qui était d’Alger”. L’histoire que raconte Liliane ce vendredi-là pourrait ressembler à celle de tant d’autres juifs pied-noirs, exilés à Marseille. Pourtant, chaque vie est différente : “Je suis venue à Paris à l’âge de 11 ans, en 51, parce que mon père adorait la France.” Liliane fait un saut dans le temps : “En 60, Marcel était décorateur tapissier, et pour quelques temps  à Paris, il m’a vue et a eu le coup de foudre : sa mère est venue et a demandé ma main pour lui. J’ai accepté, j’avais envie de connaître autre chose. A l’époque, il n’y avait pas la liberté d’aujourd’hui, quand je sortais, j’étais surveillée par mes frères !”

La caravane à Borély

Janick, la fille de Liliane et Marcel intervient : “Maman, tu racontes pas tout ! Tu n’as pas dit qu’à l’époque, papa était fiancé avec une fille très riche et que quand il t’a vu, il n’a plus pensé qu’à toi !”. Mais Liliane poursuit, imperturbable : “On a passé un an à Alger et quand la situation là-bas s’est aggravée, on est venu s’installer à Marseille, à la Cravache, sur le boulevard Michelet, où on est resté deux ans. Après, on a passé 10 ans rue de la République. C’était très bien à l’époque, et j’allais acheter du poisson au Vieux Port. Haaa ! les balades ! Mais on vivait au 5ème étage sans ascenseur, et pour la maman de Marcel qui habitait avec nous, c’était difficile. On a déménagé ici, dans le 10ème arrondissement, en 69. On a acheté l’appartement alors qu’il était pas fini, et on a vécu en caravane pendant des mois.”

Marcel arrive dans la cuisine. Quand il entend Liliane parler de la caravane, il s’enthousiasme : “Elle voulait pas habiter à l’hôtel à moins qu’il soit au bord de l’eau, alors, on a mis la caravane dans un camping à Borely. C’était le bon temps !” Il parle de l’Algérie avec nostalgie “pas un jour sans penser à Alger !”. Il raconte que sa mère parlait l’arabe littéraire et le kabyle et sa grand-mère tenait un restaurant dans les montagnes, à Miliana, à 50 km d’Alger. S’y retrouvaient toutes les communautés, Espagnols, Italiens, Maltais, Portugais, Français, Arabes. Il ne comprend pas la volonté d’indépendance des Algériens et semble ignorer qu’ils n’avaient pas de droits civiques. Il me confie plus tard que “les arabes” ne lui ont jamais rien fait, c’est les fascistes qui l’ont poussé à partir : “on était sur leur liste”. Marcel voudrait être enterré à Alger.

La barigoule, la kayla, la tafina…

Liliane a appris à cuisiner avec sa mère, dès l’âge de 11 ans : “Je la regardais faire et doucement doucement, j’ai mis la main à la pâte. Ma sœur, plus grande, commençait à cuisiner pendant que ma mère faisait les courses et je l’aidais un peu.” Mais quand Liliane emménage avec Marcel, son mari, et sa belle-mère, elle apprend les spécialités algéroises. Et de me citer les plats aux sonorités méditerranéennes qui chatouillent les papilles et éveillent la gourmandise… la barigoule, des fèves fraîches et des artichauts en salade avec de l’ail, du persil, du sel, du poivre et du jus de citron ; la Kayla, les haricots aux épinard, qui mijote pendant des heures ; la tafina, un plat de rois… Mais ne nous dispersons pas, voilà la recette de la loubia. Liliane prend de la viande cachère mais elle me dit que les recettes d’Afrique du nord, se ressemblent, juives ou pas, et parfois la différence avec les plats arabes, c’est juste que les juifs ne mettent pas de merguez.

Pour 10 personnes – ce serait dommage de cuisiner pour moins…

– 800 gr de loubia, des haricots blancs secs que l’on peut faire tremper la veille

– de l’agneau : 600 ou 700g de collier

– du bœuf : 600 ou 700g de plate côte et du jarret -là, je n’en ai pas.

– on peut mettre un os à moelle

– 2 ou 3 échalottes

– une grosse tête d’ail

– une bonne moitié de boite de concentré de tomate

– 3 cuillerées de paprika pour que ce soit bien rouge

– du cumin

– Une cuillère d’harissa

– du laurier

– 1kg ou 1,5 kg de semoule pré-cuite.

“Tu fais bien revenir le cumin, le paprika -chez nous on dit poivre rouge- et l’ail coupé pas trop fin, dans de l’huile de tournesol. Tu rajoutes les échalotes entières et le concentré de tomate. Tu fais tout revenir. Tu rajoutes la viande et les haricots bien rincés. Tu couvres d’eau, tu mets du sel. Et il faut laisser mijoter jusqu’à ce que la viande soit tendre, et les haricots cuits, à peu près 2h.  A la fin de la cuisson, quand tu réchauffes, tu fais revenir de l’ail et du cumin que tu ajoutes, ça donne de la saveur aux haricots.”

La recette semble simple, mais c’est sans compter la graine :

“J’ai pris du couscous, la graine pré-cuite, pas de la semoule, sinon, ce serait très long ! Je mets le couscous dans un grand saladier avec du sel -une bonne cuillère à soupe pour 1 kilo. Je remplie au quart une bouteille d’eau froide et en verse peu à peu en tournant avec les mains pour égrainer. Avec l’eau, le couscous gonfle. Quand il est bien sec, je mets de l’huile et je continue à égrainer. J’utilise l’outil que tu as dessiné mais il manque le manche, il s’est cassé. Ça marche quand même ! je mets de l’eau à bouillir dans le couscoussier -avant je faisais la graine au-dessus de la sauce mais j’aimais pas quand les grains tombaient dedans alors maintenant, je les cuits séparément”.

Liliane a mis dans l’eau du couscoussier des citrons verts pour les manger en salade avec de l’huile d’olive mais c’est une autre histoire… “Quand la vapeur sort du couscoussier, je mets la semoule, sans couvrir. La vapeur monte pendant 3/4 d’heure. Après, j’attend que ça refroidisse, je remouille et refais cuire 3/4 d’heure. Et je recommence une dernière fois en faisant cuire cette fois une demi heure”.

Le repas de shabbat

Je pars pour l’après-midi et n’assiste pas à toutes ces étapes. Je reviens au soir, pour Shabbat.

Shabbat, c’est le dernier jour de la semaine, c’est repos. Les gens vraiment religieux ne touchent pas à l’électricité, pas au feu. Liliane raconte que sa grand-mère utilisait le kaloum et qu’elle faisait tant de braises que le samedi, elle faisait réchauffer le repas sur le kaloum encore chaud.

“Des juifs d’occasion”

Normalement, il y a les bougies. Liliane n’en allume qu’une mais elle a oublié d’en acheter, ce sera un shabbat sans bougies ! J’ai affaire ce soir, comme dit Janick, à “des juifs d’occasion” et la télé est allumée pour l’apéro. Sans compter le match que va suivre sur son téléphone le plus jeune tout au long du repas. C’est lui qui fait les prières du shabbat, car même s’il n’est pas le chef de famille, il a fait cette année sa Bar Mitzvah, ce n’est plus vraiment un enfant.

Il lit le kiddouch, et fait passer le verre de vin que chacun goûte. Puis, il déchiffre la deuxième prière, les hommes sont debout, les femmes debout ou assises, comme elles veulent -espiègle, Janick plaisante : “pour une fois qu’on fait ce qu’on veut !”. Après la prière, il jette un bout de pain à chacun et un bout en plus pour les absents. C’est comme un souhait d’abondance.

Le repas peut commencer et c’est Byzance : des carottes cuites au citron, du navet cru en salade, de la méchouia, cette salade tiède de poivrons, d’oignons et de tomate revenues. Je l’aime tant que je m’en délecte encore avec la savoureuse loubia, tant les deux se marient bien.

Un vœu pour le cousin

La famille a toujours fait shabbat, mais pendant longtemps ils ont mangé du cochon. Liliane raconte que c’est quand leur fils a fait sa Bar Mitsvah qu’il leur a interdit de manger du porc. Aujourd’hui, il ne fait même plus shabbat. Janick, elle, a fait un vœu, se promettant que si son cousin sortait du coma, elle arrêterait le porc et mangerait cacher. Et elle a arrêté.

Marcel précise : “Je suis pas religieux, mais je suis juif !” et Janick ajoute, amusée : “c’est vrai que tu ne connais pas tous les rabbins de Marseille et pas un rabbin ne connais ton nom !” Mais toute la famille est à la synagogue pour le Grand Pardon et la tradition culinaire séfarade se perpétue dans la maison.

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