Michel Samson vous présente
Chronique du Palais

La justice se mêle(-t-elle) de politique ?

Chronique
le 10 Mai 2016
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La justice se mêle(-t-elle) de politique ?
La justice se mêle(-t-elle) de politique ?

La justice se mêle(-t-elle) de politique ?


Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. Cette semaine, il interroge les suites judiciaires de la manifestation du 28 avril 2016 : comparutions immédiates de trois manifestants et onze mois de prison – comme l’a relaté Marsactu le 3 mai dernier

La justice se mêle-t-elle de politique ?

Et puisque j’en suis aux questions : « La » justice ? L’affaire est un peu plus compliquée que ce « la », cet article singulier, semble indiquer. Il y a une justice debout : le ministère public, qui requiert. Et une justice assise : le tribunal, qui juge.

Le parquet de Marseille – la justice debout, donc – a décidé de faire comparaître devant les juges, – la justice assise -, trois manifestants interpellés par la police. « Chargé de représenter les intérêts de la société et de veiller au respect de l’ordre public et à l’application de la loi, le ministère public est hiérarchisé (procureur général, procureur, procureur-adjoint, vice-procureur et substitut) et subordonné au garde des Sceaux » précise le lexique du ministère de la Justice. Ce ministère public est une organisation hiérarchique, dirigée localement par le procureur.

Donc : après quatre jours de détention (deux en garde à vue, deux aux Baumettes), les trois mis en examen comparaissent lundi 2 mai devant le tribunal des comparutions Immédiates, deux juges professionnels et un auditeur de justice. Tribunal qui, pour ses jugements, est, bien sûr, libre et non hiérarchisé. Mais les trois personnes qui constituent le tribunal n’ont pas le choix : elles doivent juger, en fonction de faits prouvés et selon le code Pénal. Elles ne sont pour rien dans le fait que ces trois manifestants se retrouvent devant eux. Elles ont à faire les lundis ou mardis après-midis à des dealers, des voleurs à la roulotte, des conducteurs sans permis, des escrocs…Et ce lundi à des manifestants -ayant commis des délits (1) ?.

Les trois mis en examen le sont en tous cas pour des actions commises lors du défilé du 28 avril, dont certains membres, soutenus par des organisateurs du rassemblement, avaient décidé d’investir une voie ferrée. Ils ne sont pas des habitués des prétoires, comme c’est plusieurs fois souligné par la présidente, la procureure et dans chaque plaidoirie en défense. Mais ils sont accusés « d’infractions caractérisées », l’expression est de la procureure : « entrave à la circulation des chemins de fer », « violence caractérisée », « rébellion » ou « port d’arme ». Deux d’entre eux sont condamnés à de la « prison ferme sans mandat de dépôt (2) ». Le troisième, sur sa demande, doit être jugé deux semaines plus tard. La manifestation protestait contre la loi El Khomri, autrement appelée « loi travail ». Dont la discussion à l’Assemblée Nationale commençait justement le lendemain de cette audience.

Mais aucun article de loi n’interdit la manifestation. Juge assis et procureure avaient une conscience claire de cette contradiction de fait : traiter de faits supposés délictueux indéniablement commis lors d’une manifestation autorisée. Ils s’appliquèrent d’ailleurs à expliquer aux mis en examen qu’on ne leur reprochait pas « d’avoir manifesté » ou « porté des tracts » – ce qui semblait figurer dans l’ordonnance de renvoi d’un accusé. « On ne vous reproche pas la manifestation d’une quelconque opinion » soulignait la procureure en entamant un réquisitoire, « mais des violences urbaines », manière habile et fondée judiciairement de différencier les terrains politiques et judiciaires. Et de poursuivre que c’est justement « en marge de cette manifestation » que l’accusé a commis les délits. Des jets de pierre, par exemple, qu’un des accusés reconnaissait, commençant ainsi : « J’adresse des excuses aux policiers que (j’ai) pu blesser », avant une phrase étonnante, qu’il répétera : « Je n’arrive pas à m’expliquer le comportement que j’ai eu ». Il poursuit : « Je ne suis pas anarchiste, communiste, ni… encore une fois, je n’arrive pas à m’expliquer le comportement que j’ai eu ». La présidente relève dans la foulée que son « affiliation politique » -ou son « engagement », j’ai oublié le mot exact, [NDA] – « n’a rien à voir » avec le procès où il comparait.

Corps défendant ou acquiesçant ? Il est difficile de savoir ce que la procureure du jour, la présidente du tribunal et assesseurs pensent de ces interférences politique/justice qui permettent à des manifestants – présents devant le tribunal – d’accuser la justice de réprimer une action politique légale. Car s’il est clair que le procureur, supérieur hiérarchique de la procureure du jour, sait, lui, s’il a reçu des instructions claires sur la répression plus ou moins accentuée des mouvements sociaux, ses substituts eux peuvent l’ignorer. Qu’ils le sachent ou non, les juges du siège, eux, sont mis devant le fait accompli : l’engagement de poursuites judiciaires. Ils ne sont pas liés hiérarchiquement au procureur, et sont libres. Mais ils doivent juger des faits. S’ils sont établis et qu’ils sont délictueux, ils doivent sanctionner…

Une des porte-parole locale du syndicat de la magistrature me faisait savoir, au moment de procès ouverts après ces manifestations, que son organisation avait « maintes fois dénoncé une forme de pénalisation du mouvement social et du militantisme. L’idée n’est pas, bien sûr, de cautionner d’éventuels débordements violents mais d’avoir un regard critique sur les techniques de maintien de l’ordre, l’action policière, les poursuites judiciaires exercées et les décisions prononcées par les juridictions à l’occasion de ces manifestations ».

On sait que le SM existe ici et qu’il est largement minoritaire. Mais cela ne dit toujours pas ce que pensent les autres, y compris ceux qui ont sanctionné. Ce qu’on sait en revanche, et les accusés encore mieux que les autres, c’est que l’appareil judiciaire est considéré comme ayant fait, ce jour-là, de la politique.

Puisque j’ai commencé par des questions, celle-ci : qu’est-ce que « la » politique ?
1 \ Au sens juridique, infraction réprimée à titre principal, par une peine correctionnelle telle que l’emprisonnement d’un maximum de 10 ans,  d’une amende, d’un travail d’intérêt général, d’un stage de citoyenneté ou encore de peines complémentaires.
2 \ Ordre donné par un magistrat au chef ou directeur d’un établissement pénitentiaire de recevoir, mais aussi, de maintenir en détention, une personne mise en examen.

Commentaires

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  1. corsaire vert corsaire vert

    merci Michel Samson pour votre engagement en faveur de la justice , la vraie et non celle des politiciens …

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  2. neomars neomars

    merci pour votre analyse à la portée des incultes de la justice dont je fais partie

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