Boras, le périple londonien des berceuses comoriennes

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le 2 Mai 2013
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Boras, le périple londonien des berceuses comoriennes
Boras, le périple londonien des berceuses comoriennes

Boras, le périple londonien des berceuses comoriennes

Quelque part dans les montagnes luxuriantes de Grande Comore, non loin peut-être du volcan Karthala, une grand-mère fredonnait une berceuse. Sa chanson racontait l'histoire du coup d'état survenu au lendemain de l'indépendance des Comores puis l'emprisonnement des hommes sur l'île d'Anjouan. Mélancolique, elle chantait "ne pleure pas mon enfant car la vie te sourira, ils reviendront et sur la grande place, nous les verrons de nouveau".

Yé ulindo mdgu, Mdwa Hépva et Ndralé Zawu, autant de berceuses traditionnelles récoltées voilà quelques années par Soly M'Baé dans les villages de Grande Comore. Le directeur de la Sound Musical school, centre culturel "à usage de la rue", implanté dans la cité de la Savine depuis plus de vingt ans, a ramené ses chants à Marseille. Au fil des années, ils sont devenus un spectacle, Boras, création musicale du London Symphony orchestra, initiée par le festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence. Après deux représentations, la folle équipée s'apprête désormais à traverser la Manche pour jouer cette pièce devant le public londonien, ce week-end.

Complainte d'une mère

Tout a commencé avec Soly M'Baé, auteur et compositeur. "Je suis parti d'un constat. Mes soeurs, d'origine comorienne, comme moi, mais qui ont grandi à Madagascar puis à l'île de la Réunion n'ont pas beaucoup connu l'archipel. Elles ne connaissaient pas de berceuses comoriennes à chanter à leurs enfants. J'avais envie de réaliser un projet sur l'identité et la mémoire, alors je suis allé récolter des berceuses auprès des grands-mères comoriennes".

Les Boras sont en effet des sortes de blues, de complaintes des mères et des grands-mères qui parlent de leur vie de femme, de leurs souffrances, de l'histoire de leur pays et de leurs conditions sociales à leurs enfants. "Ces berceuses se perdent en partie parce que la modernité arrive. Dès le départ, ce qui m'a intéressé, c'est la transmission, justement parce qu'on ne m'a pas transmis cela alors que les berceuses appartiennent au patrimoine affectif et culturel commun."

Ainsi, Soly M'Baé sollicite des mamans marseillaises d'origine comorienne et leurs minots et leur demande de réinterpréter les 14 berceuses qu'il ramène des Comores. "Les mamans apprennent à leurs enfants ce qu'elles n'ont jamais appris. Lorsque l'on vient de l'immigration, de l'exil, il faut s'intégrer, s'adapter à la société dans laquelle nous vivons qui nous renvoie à nos origines. Je suis devenu vraiment français le jour où j'ai compris d'où je venais, cela m'a permis de danser sur mes deux pieds. Pour faire la paix avec ses origines, il faut s'en accaparer, les magnifier et les partager. C'est aussi pour cela que je ne suis pas resté dans un projet seulement comorien et que d'autres origines sont associées au projet".

Crédit : Vincent Beaume

Acteurs, chorégraphes et musiciens

Marie-Lou, 18 ans, joue du piano et des percussions et apprécie le côté improvisation du projet. "A partir des berceuses, et à côté des musiciens professionnels, nous réinventons quelque chose à notre image. Nous sommes à la fois acteurs, chorégraphes et musiciens. ça nous met en valeur." Une maman poursuit : "ce qui me plaît, c'est que nous laissons libre cours à notre imagination, nous rajoutons notre propre rythme. Et puis nous demandons à nos parents de nous traduire des mots que l'on ne connaît plus parce qu'ils sont en comorien soutenu. Nous apprenons à réécouter ces chants." Une autre maman, Saadia s'estime "novice en ce qui concerne la musicalité. Il y a même des personnes qui ne comprennent pas les paroles." 

C'est avec le concours du Festival d'Aix-en-Provence que le projet Boras a pris une ampleur significative. Au printemps 2012, une résidence créative est organisée au Klap, lieu de création de la compagnie Kelemenis. Elle mêle les différents acteurs du projet savinois (dont les Sentimythos, un groupe de jeunes reporters de son) plusieurs musiciens du London Symphony Orchestra et des musiciens de l'Orchestre des jeunes de la Méditerranée. L'alchimie créatrice doit beaucoup à la direction musicale de Mark Withers, qui associe musique classique, chants traditionnels, hip hop et percussions.

Crédit : Vincent Beaume

Avec le travail du chorégraphe Thierry Thieû Niang, Boras devient un véritable spectacle. A l'issue de la résidence, des représentations sont données au Klap et au Grand Théâtre de Provence. Même le directeur du festival d'Aix, Bernard Foccroulle, est soufflé par le résultat. L'aventure ne doit pas en rester là. Un an après, c'est chose faite. Désormais, la troupe d'amateurs s'apprête à se produire à Londres. "Jamais je n'aurais pensé que ce projet né dans un local puisse atterrir à Londres", se félicite Soly M'Baé.

Même son de cloche du côté d'Emmanuelle Taurines, responsable du service socio-artistique du Festival d'Aix : "Au départ, quand on a proposé à Fatima [présidente de la Sound musical school – ndlr] de créer un spectacle, nous étions partis sur quelque chose d'intime. Ce n'est qu'après qu'il y a eu cette envie d'aller sur scène. C'est un groupe d'amateurs mais ils sont très professionnels dans le rapport au travail. Et Thierry Thieû Niang sait travailler dans la simplicité. Pour la suite, nous n'avons pas d'idée précise, mais déjà Londres est un premier aboutissement qui souligne la dimension européenne du projet". Le projet devrait également aboutir sur un livre-CD, lorsqu'un mécène se manifestera… "L'aventure sera ainsi peut-être close", espère Soly M'Baé. L'histoire des Comores, peut-être, continuera d'être chantée au-dessus d'un berceau marseillais, îlot de transmission du patrimoine maternel.

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Commentaires

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  1. Marseillais indigné Marseillais indigné

    Aucune réaction alors j’irai de la mienne :Marseille 2013 Capitale européenne de la culture “Porte de la Méditerranée” ville métissée “première ville des Comores” du Monde avait là une excellente occasion de faire découvrir à ses autres citoyens ces chants de l’Océan Indien ce qui nous changerait un peu des classiques Wagner Mozart Verdi etc. certes d’un autre genre mais qu’on peut entendre partout et à longueur d’année en Europe A l’évidence les Anglais sont plus ouverts que notre municipalité La princesse Caroline de Monaco également qui à pris l’excellente initiative d’inviter à Monaco le premier orchestre classique Zaïrois

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  2. GM GM

    oui ,je découvre l’existence de cette réalisation marseillaise aujourd’hui !! je connais les Comores et j’ai eu le plaisir de découvrir ces belles iles et leurs habitants !! je suis proche de nombreux Comoriens de Marseille !! il faut absolument que Boras soit mis en valeur et qu’on en parle …………

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  3. Soly Soly

    Dans ce genre de projet, le nerf de la guerre restera toujours
    l’argent . Les moyens que nous avions obtenus au départ pour la récolte, l’enregistrement, les traductions, les illustrations et l’édition ( nous voulons un bel objet pour le résultat final) n’étaient hélas pas suffisants (Toute aide et suggestion sont les bienvenues). Cette création est donc venue à point nommé pour ne pas décourager les participants. Nous remercions tous ceux qui nous ont soutenus dans cette aventure Emmanuelle Taurines, le Festival d’Aix, le London Symphony Orchestra et ses musiciens, les musiciens de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée. Une mention spéciale pour la troupe en particulier les enfants qui m’ont fait vivre l’une des plus belles aventures humaines et artistiques de mon existence.

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  4. aziz aziz

    Prenez contact avec le ministère comorien de la culture pour une éventuelle tournée ux comores et dans l’océan indien. Essayez aussi de voir du coté du miinistère français des affaires étrangère, il est possible qu’il dispose de fonds pour accompagner ce genre d’initiative.

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