Au tribunal de Marseille, les multiples visages de la fraude fiscale ordinaire

Reportage
le 15 Nov 2022
1

Une journée d'audience était entièrement consacrée à la fraude fiscale ce lundi. Plusieurs prévenus de la région étaient cités à comparaître et avec eux différents types de modes opératoires. L'occasion de dresser le portrait du fraudeur ordinaire.

Le tribunal judiciaire de Marseille (Photo : LC)
Le tribunal judiciaire de Marseille (Photo : LC)

Le tribunal judiciaire de Marseille (Photo : LC)

“La contribution à l’impôt est un des principes fondamentaux, même si parfois aride.” Le ton est donné dès les premières réquisitions du procureur de la République. Ce lundi 14 novembre, “pour mettre la focale de la justice” sur la fraude fiscale, se tient au tribunal judiciaire de Marseille une journée d’audiences qui y est exclusivement dédiée.

La première appelée est une très petite femme de 77 ans, “la plus grosse affaire” de la journée, selon les mots du président Pierre Jeanjean. La prévenue, cheveux blonds-blancs et doudoune sans manches, se présente à la barre avec fébrilité et va s’y tenir toute la matinée. Poursuivie pour fraude fiscale et blanchiment, Odette B. a omis de déclarer ses comptes en Suisse en 2009 et 2010. Cet “oubli” la poursuit depuis de longues années.

Une longue enquête pour exhumer des comptes en Suisse

Le tribunal prend soin de rappeler le contexte des événements : cette affaire est le fruit d’une des plaintes de l’administration fiscale suite au scandale HSBC, révélé en 2007. Les résultats de l’enquête concernant Odette B. sont exposés : un premier profil a été créé en 2000 dans la banque suisse HSBC, qui hébergeait dix comptes, certains pour d’autres membres de sa famille, et pas loin de 27 000 dollars américains. Un deuxième a été enregistré en 2005, derrière une société écran dont la réalité n’a pas pu être prouvée. Ce dernier abritait cette fois onze comptes bancaires dont le solde dépassait en 2016 les 11 millions de dollars. À travers ces comptes, celle qui travaillait auparavant dans le textile a réalisé des placements et a ainsi généré des revenus, raison pour laquelle elle est poursuivie par le fisc.

“J’avais reconnu avoir ouvert un compte pour aller vivre en Suisse”, déclare la prévenue. Elle déménage en effet dans le pays frontalier en 2009. Or, comme le fait remarquer le tribunal, les comptes ont été ouverts en 2000 et 2005, soit bien avant ce déménagement. Celle qui réside aujourd’hui en Italie, avance aussi que son histoire familiale l’a poussée à “sécuriser” son argent. Sa famille est “repartie de zéro plusieurs fois”, ce qui l’a poussée à prévoir “un endroit pour se retourner”, sous-entendu des comptes à l’étranger difficilement saisissables. “Le représentant de HSBC que j’ai rencontré disait que tout le monde faisait ça, d’ouvrir un compte offshore protégé des taxations, répond la Marseillaise sur le ton de l’innocence après déjà de nombreuses questions de la part du tribunal. Je n’avais pas saisi l’enjeu de la démarche.”

On n’oublie pas comme ça qu’on a eu 11 millions sur un compte.

L’assesseuse

Si elle finit par avouer à demi-mot qu’elle avait conscience du stratagème, Odette B. répond tout de même de manière vague à la plupart des questions, ce qui est pointé par l’avocate de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) constituée partie civile, Geneviève Caralp-Delion. “Quand les faits sont évidents elle dit oui, sinon elle ne sait pas, ce qui paraît étonnant de la part de quelqu’un qui fait de la gestion de patrimoine.” Le procureur, Jean Moineville, relève de son côté la “complexité” de l’affaire, qui “tient dans le mode opératoire, avec des comptes à l’étranger qui compliquent le travail d’enquête”. La longueur des investigations sert de prétexte à la détentrice des comptes suisses pour ses omissions, mais l’assesseuse lui répond : “On n’oublie pas comme ça qu’on a eu 11 millions sur un compte”. 

Après une plainte déposée par l’administration fiscale en 2013, la septuagénaire a été interrogée pour la première fois en 2019, et comparait pour la première fois ce lundi. Elle devra attendre jusqu’au 28 novembre pour savoir quel sera le délibéré de cette audience.

Deux ans sans rien déclarer : “J’ai fait le mort”

Si le premier cas était un dossier “classique, que les tribunaux ont connu à de nombreuses reprises” d’après Geneviève Caralp-Delion, avocate de la DGFIP, les suivants sont tout aussi ordinaires et pourtant bien différents. Cyril G. se présente seul à la barre, sans avocat pour le représenter. Il a demandé un renvoi en début de journée pour lui laisser le temps de régulariser sa situation, mais celui-ci lui a été refusé. L’élégant quinquagénaire en pull de marque et jean clair est poursuivi à titre personnel mais sa société également. Le motif ? Aucune déclaration n’a été faite pour son entreprise de marchands de biens entre le début de l’année 2017 et la fin 2019.

Celui qui détient 99 % des parts de cette SARL dit avoir vécu cinq années difficiles pendant lesquelles il a “fait le mort” et ne s’est occupé de rien. “J’ai fait une sorte de dépression.” Quand le tribunal lui demande s’il dispose d’attestations médicales, il se contente de répondre qu’il n’a pas consulté car “ils sont tous médecins et biologistes dans ma famille”.

Si monsieur avait fait face à ses responsabilités, il ne serait pas là aujourd’hui.

Le procureur

Un immeuble mis en péril en 2014, donc plus de loyers perçus. Une autre société placée en redressement judiciaire. La vente de sa résidence principale à Marseille, puis de la secondaire en Corse. Les achats et ventes réalisés par un copropriétaire durant la période de non-déclaration. Le père de famille tente le tout pour le tout en exposant tous les éléments qui lui semblent pertinents. “C’est un dossier bien différent du cas que nous avons vu ce matin, introduit l’avocate de la partie civile. L’omission déclarative a été loyalement reconnue par le prévenu.” Le procureur appuie de son côté sur le “manque à gagner des finances publiques”. “Si monsieur avait fait face à ses responsabilités, il ne serait pas là aujourd’hui”, conclut-il.

Les nouvelles fraudes post-covid

En milieu d’après-midi, arrivent ceux que l’on pourrait nommer les nouveaux visages du fraudeur ordinaire : les magouilleurs des aides Covid. Deux hommes comparaissent pour avoir demandé des aides injustifiées au cœur de la crise sanitaire, à hauteur de 21 800 et 32 821 euros. Le premier, Yacine B., chauffeur Uber à cette période, dit regretter ses actes et déclare : “Aujourd’hui, mon but, c’est de payer. Depuis que j’ai été convoqué, je ne pense qu’à ça.” 

Avec 26 demandes d’aide à son actif en quelques mois, dont neuf satisfaites et 17 refus, le trentenaire n’a fait preuve “d’aucune finesse dans l’opération”, reconnaît son avocate. Les montants demandés ne correspondaient en effet en rien à ce qu’il perdait en raison des restrictions sanitaires. Celui qui souhaite “repartir à zéro” aura pourtant du mal, retenu par “deux pages de casier judiciaire”, comme le rappelle bien le président. L’argent obtenu grâce à ces aides lui aurait servi à vivre et à s’occuper de sa future femme, mais aussi à acheter une voiture, “super affaire” de 13 000 euros, “avec deux ans de garantie !”. La perplexité se lit sur les visages des magistrats.

Le deuxième prévenu Covid, poursuivi pour fausses déclarations et blanchiment, a pour sa part obtenu 32 821 euros frauduleusement pour son bar situé dans le 3ᵉ arrondissement. Perçues dans un premier temps sur son compte personnel a ensuite basculé le versement sur le compte de ses parents, par peur d’être prélevé pour le paiement de ses amendes. Des demandes de plus en plus élevées, qui atteignent les 10 000 euros d’aides les derniers mois.

Le gérant de bar clandestin “a eu du mal à comprendre ce qui lui était reproché”.

Comme ses prédécesseurs à la barre, le prévenu d’une quarantaine d’années se fait tout petit. Il dit avoir eu besoin de cet argent pour payer le loyer de son bar, alors qu’il en dépensait en réalité une grande partie dans son addiction, les paris en ligne. Autre problème soulevé pendant l’audience : le bar exploité depuis 2015 n’est pas déclaré, tout s’y passe en espèces. “Monsieur est désarmant, la différence avec le précédent dossier est considérable“, assène le procureur. Le patron de bar clandestin repenti, devenu chauffeur de bus, “a eu du mal à comprendre ce qui lui était reproché, mais a pris conscience de la gravité des faits”, assure son avocat.

Les prévenus de l’après-midi ont tous été condamnés à des peines de prison. Outre le fait qu’ils doivent réparer les dommages causés à l’État, Cyril G. a écopé de dix mois d’emprisonnement avec sursis et d’une amende de 10 000 euros pour sa société. L’ancien chauffeur Uber, est condamné, lui, à dix mois d’emprisonnement ferme, avec aménagement de peine et confiscation de son véhicule. Enfin, l’ancien gérant de bar du 3ᵉ écope de huit mois avec sursis et 5 000 euros d’amende. Une journée d’audiences et des peines pour montrer l’exemple. Le procureur l’a souligné aux cours de ses réquisitions, la fraude alourdit la dette française qui “pèse sur chacun d’entre nous, mais surtout sur les futures générations”. Une opération de communication inédite du parquet, qui aura su marquer quelques esprits, au moins ceux des prévenus.

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    les paradis fiscaux des riches sont l’enfer du quotidien des pauvres…!
    Vous remarquerez que ce sont les plus ”vulnérables” (pas forcement les plus pauvres) qui trinquent.
    Pas de pôle d’enquêtes régionaux ?

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire