Après deux ans au pouvoir, les élus citoyens marseillais se mettent “à portée d’engueulade”

Reportage
le 30 Juin 2022
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Adjoints au maire de Marseille et élus de secteurs membres du mouvement Mad mars se livraient mardi à leur premier bilan de mandat. Devant un public essentiellement composé de sympathisants, ils sont les premiers à exprimer leur "frustration".

Un des participants au débat interpelle les élus sur l
Un des participants au débat interpelle les élus sur l'absence de bilan global présenté par la majorité municipale.

Un des participants au débat interpelle les élus sur l'absence de bilan global présenté par la majorité municipale.

“Vous allez nous engueuler et vous aurez raison.” Sous les voûtes d’un des bars de la Major, là même où Michèle Rubirola avait officialisé sa candidature à la mairie de Marseille en janvier 2020, l’adjoint au bâti scolaire Pierre-Marie Ganozzi ne se risque pas à prêcher exagérément la bonne parole. Mais les nuances n’entament pas l’enthousiasme de fond de ce syndicaliste du secondaire, qui avait porté le fer contre le partenariat public-privé des écoles de Jean-Claude Gaudin : “Oui on change la vie des gens. Ce sera peut-être un peu plus long, on va peut-être plus en baver, mais on va y arriver.”

Comme cinq autres élus de Mad mars, sur les dix-huit que compte ce mouvement politique, né en 2019, au conseil municipal de Marseille et dans les conseils d’arrondissements, il s’essaie à un premier bilan de mandat. Exercice attendu, après 25 ans de règne de la droite, mais pas si évident, après deux années marquée par la crise sanitaire. “Ce n’est jamais évident de se mettre à portée d’engueulade. Mais revenir devant les gens, c’est le b.a.-ba”, dédramatise la présidente de Mad mars Olivia Fortin, l’un des principales artisanes de cette composante “citoyenne” du Printemps marseillais.

Adjointe en charge de la modernisation des services municipaux, elle tente de donner à voir la “transformation” de l’administration. “Remise en conformité”, “équité”, “efficacité” : les principes de départ sont simples mais le discours et les diapositives se remplissent progressivement de sigles. La demi-heure prévue pour les présentations est déjà consommée et deux élus des 6/8 restent à suivre après les quatre adjoints au maire de Marseille. Cédric Jouve et Cyprien Vincent illustrent, eux, ces transitions qui se mènent aussi au niveau des secteurs, sur la culture et le sport, mais l’auditoire s’agite, tandis que les serveurs s’affairent.

Sous le soleil, pas tout à fait le Printemps

Après six longues présentations, le premier intervenant de la salle ne leur en tient pas rigueur. Mais s’interroge sur la portée de cette démarche, qui n’engage pas la majorité municipale dans son ensemble. “Si demain les élus communistes font leur bilan, puis les écologistes, cela posera quand même question”, signale Christian Bruschi, membre du mouvement Réinventer la gauche qui participait au comité de pilotage de la campagne du Printemps marseillais. “On a eu envie de le faire, on l’a fait”, répond Mathilde Chaboche, autre adjointe Mad mars.

L’association multiplie les débats publics depuis la fin de l’année 2021. L’élue à l’urbanisme y voit le signe que leur rôle de “précurseurs” est encore utile au Printemps marseillais. Avec cet événement, c’est d’ailleurs un peu de ce cette “municipalité bigarrée” qui se retrouve. Le secrétaire général du groupe Printemps marseillais est là dès l’ouverture, Samia Ghali assiste aux échanges et la conseillère communication du cabinet du maire rejoint l’apéro qui s’étire face au soleil couchant, où l’on croise aussi le maire EELV des 4/5, Didier Jau.

Mathilde Chaboche et Olivia Fortin pendant la présentation du bilan 2020-2022. (Photo : JV)

Et, parmi la cinquantaine de présents, beaucoup de colistiers, militants ou sympathisants venus constater l’avancée de ceux dont ils ont participé à la victoire. Alors, sans être acquise, l’assistance ne fait pas tomber sur la tête de l’adjoint aux écoles l’engueulade évoquée. Les questions – huit au total pour une demi-heure, réponses comprises – sont surtout pointues, centrées sur une problématique ou une expérience. Pas de passage en revue des engagements de campagne, le programme d’origine ne sert d’ailleurs pas de base aux présentations des élus, ou de retour sur le fonctionnement du service public. Même l’encadrement du droit de grève dans les cantines et les crèches, malgré une perche d’Olivia Fortin sur “cette décision et ce débat extrêmement difficiles”, n’enflamme pas les échanges.

Questions de point de vue

Je n’ai eu aucune réponse à mes cinq ou six lettres, dont une à vous Mme Chaboche.

Une participante du débat

L’intervention la plus véhémente émane ainsi d’une habitante du 7e arrondissement, qui a “tenu un bureau de vote, au péril de [sa] vie”, le 15 mars 2020, à la veille du premier confinement. Agacée par une piscine pas très loin de chez elle qu’elle pense avoir été construite sans permis, elle a “essayé de prendre rendez-vous au service de l’urbanisme. Je n’ai jamais réussi et je n’ai eu aucune réponse à mes cinq ou six lettres, dont une à vous Mme Chaboche”, tance-t-elle. “Nous aurons tout un temps après pour les questions d’ordre privé”, tente de recadrer Pauline Rossell, élue d’arrondissements des 11/12. “Ce n’est pas une question privée, c’est le fonctionnement du service public”, intervient un participant.

Avec, toujours, comme palliatif, ce recours en direct aux élus pour débloquer les situations. “On est là pour ça, pour absorber”, ne se formalise pas Mathilde Chaboche, adjointe à l’urbanisme, dont les services feraient face à un afflux de signalements de travaux illicites. “400, dont 300 ont déjà été contrôlés, c’est sans précédent. On voit bien qu’on a créé, par notre discours, notre posture, une forme de confiance.” Elle ne se dit, par ailleurs, pas surprise par la teneur des échanges. “L’urbanisme, c’est très global mais chacun voit son sujet.” Élu dans ce secteur, les 1/7, Philippe Cahn abonde : “C’est notre quotidien, d’arriver à replacer l’intérêt général face aux intérêts particuliers.”

Ou au moins de donner à voir une vision plus large de l’action publique. À cette habitante du 12e qui s’émeut des fermetures successives des restaurants de bord de mer “qui font le charme et l’identité de Marseille”, Mathilde Chaboche répond sur “le sujet beaucoup plus global du droit à la mer, sur un littoral de 57 kilomètres accessible seulement à 10 ou 15 %” et sur les enjeux posés par le changement climatique. “On a souvent construit trop près de la mer”, poursuit-elle et “prévoir ces risques, qui ne sont pas des lubies d’écolos mais des questions qui nous sont posées pour les prochaines décennies, cela demandera d’être courageux ensemble”.

“La frustration, on la ressent très fort”

Comment on remet du service public partout, au plus près des Marseillais ? Cela demande un investissement majeur sur les équipements publics de proximité.

Mathilde Chaboche, adjointe à l’urbanisme

Le coup de feu passé, avant de plonger dans les embrassades, Olivia Fortin est lucide sur cette engueulade qui n’est pas venue. “On l’aurait méritée parce qu’on la connaît la situation. On sait aussi tout ce qu’on est en train de faire mais qui n’est pas encore visible”, commente-t-elle. En ouverture de l’événement, Mathilde Chaboche avait dit sa “frustration du temps que les choses prennent à se faire et à se voir”. En aparté, celle qui voit son engagement à la mairie comme un “service civique prolongé” fait de cette démarche politique une source de lucidité. “C’est ça qui nous rend très exigeants sur les résultats. La frustration, on la ressent très fort, peut-être plus que les professionnels de la politique.”

Au final, le bilan le plus critique, c’est elle-même qui l’avait formulé, avant de passer le micro au public. Aux côtés des “avancées majeures” que représentent la “restructuration” des services municipaux, le plan école et la “reprise en main de l’urbanisme et du patrimoine”, elle posait ce grand vide encore à combler : “Comment on remet du service public partout, au plus près des Marseillais ?” Cela demande, admet-elle “un investissement majeur sur les équipements publics de proximité” que le plan sur cinq ans présenté en avril ne commence qu’à esquisser. Même constat du travail à accomplir sur “la démocratie participative, c’est très lent à faire avancer quand ce n’est pas la culture”. En décembre 2020, au moment du “switch” entre Michèle Rubirola et Benoît Payan, c’est du socle militant du Printemps marseillais qu’avait émergé cette critique d’un pouvoir qui peinait à s’ouvrir.

À l’heure de faire le bilan du bilan, Marc Rosmini, militant de la première heure, vient se poser à côté de sa présidente, cuisinée par nos soins. “Quand on regarde ceux qui ont pris la parole, c’est que des blancs, tous de plus de 60 ans. D’ailleurs il n’y avait que des blancs ce soir, constate l’administrateur de Mad mars. C’est chaque fois pareil. Il faut qu’on trouve les bonnes formes pour ouvrir plus largement.” Intéresser plus largement les Marseillais à la politique, Mad mars essaie, mais la collectivité à laquelle il appartient a sans doute aussi son rôle à jouer.

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    On en parle souvent, mais pas grand chose de concret : l’accès public à la digue du large, là encore + ou – évoqué par Mathilde Chaboche. La mairie de marseille siège au comité directeur du Gpmm ou port autonome, et on aurait aimé des actions, des blocages, des mises en demeure publiques pour cet accès. Priver les marseillais de cet accès à la façade maritime est depuis 20 ans une véritable punition collective à près d’1 million de citoyens, sans compter le manque à gagner en terme d’image, d’impact touristique, de qualité de vie pour Marseille

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  2. Alceste. Alceste.

    J’ai écris plusieurs fois à ma mairie de secteur aussi,mairie PM , concernant quelques anomalies, dysfonctionnement etc.
    Jamais de réponse,comme disait ma grand-mère dans sa tendresse infinie,”si tu n’est pas joli soit au moins poli”

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  3. Alceste. Alceste.

    Scusi et Nb: le commentaire précédent concerne la partie bilan et mairie.
    Le Nota bene est à destination de Bernardini,il faudra lui que la délégation à l’aéraunotique et la pétrochimie ne veut pas dire prendre l’avion gratuit et faire le plein Aouf chez Total .L’on ne sait jamais

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  4. toto toto

    Marsactu, plutôt que de parler d’encadrement du droit de grève, il faudrait parler de limitation du droit de grève car votre interprétation laisse supposer qu’il n’y avait pas de règles pour exercer son droit de grève à Marseille avant l’application de la loi macron d’invisibilisation de la grève.

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    • patrick R patrick R

      nous allons attendre septembre et la décision du tribunal administratif saisi par la CFDT qui conteste une décision de la mairie visant à limiter le droit de grève. Ce qui pose la question d’une majorité municipale se disant “de gauche”

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  5. Jean Pierre RAMONDOU Jean Pierre RAMONDOU

    Je constate que le fait de ne pas répondre aux lettres des citoyens peut être considérer comme un dogme.
    Moi même je suis en attente d’une réponse à une lettre que j’ai adressé au Maire le 17 février 2022.
    j’ai appelé 7 fois le cabinet du Maire avec chaque fois la même réponse: “je vais relance la personne en charge de vous répondre”
    On refuse de me donner le nom de cette personne.

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  6. Jack Jack

    Des apprentis sorciers qui animés d’une volonté de faire mieux (louable) ont crû pouvoir s’improviser politiques et chefs de service pour une ville de 800 000 habitants en coupant les têtes de tout le monde ( sans doute était-ce nécessaire pour certains) et n’ont désormais plus de cadre de travail (sauf des directeurs politiques importés et payés à prix d’or ou des planqués ressortis du placard qui ont milité pendant la campagne). Au prix de méthodes qui mêlent harcèlement et souffrance au travail.
    Frustration ? Amateurisme coupable plutôt

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    • RML RML

      C’est une vision.
      On peut aussi reconnaître ici des élus enthousiasmants. Car dans le concret, is sont parmi ceux qui font avancer le plus les choses.
      Quant au harcèlement et souffrance au travail, il faudrait expliquer d’ avantage…mais peut être certaines personnes des services avaient elles l habitude de vacance et farniente au travail

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    • Jack Jack

      Je respecte votre point de vue et le partage. Mais le concret n’est pas ce qui est décrit dans l’article ( du propre aveu des élus )

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Eh bien Jeannot, t’aurais préféré Vassal et ses zouz ?

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    • Jack Jack

      Ruedelapaixmarcelpaul , comme vous y allez !

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  7. chouze chouze

    j eusse aime être informe de cette rencontre avec les habitants.

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  8. Marieke Marieke

    Deux petites précisions :
    1 . il n’y avait pas que des militants de Mad Mars à cette manifestation, il y avait aussi des simples habitants
    2. Le public comptait également des moins de 60 ans.

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    • Armand Louis Armand Louis

      Effectivement, nous ne faisons pas partie de Mad Mmars et nous sommes venus du 12ème parce que nous trouvions la démarche intéressante.
      Mais Julien Vinzent ne nous a pas interrogé sur le pourquoi de notre présence et sur notre ressenti après.

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    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour, je n’ai pas écrit qu’il n’y avait que des militants de Mad Mars, simplement qu’ils composaient la majeure partie du public.
      Quant à l’âge, c’est une erreur de retranscription des propos, qui ont été corrigés. Il s’agissait des participants qui ont pris la parole. Mes excuses ainsi qu’à l’auteur de cette citation.

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  9. Peuchere Peuchere

    Quand je vois passer des Elu.e.S de la ville en voiture (parfois pas européenne) avec la cocarde bien posée au milieu du pare-brise, je me dis que rien n’a changé. Ils se pensent supérieurs aux autres?

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  10. polipola polipola

    Je trouve beaucoup d’entre vous assez durs.
    Non, ces élus et cette équipe ne sont pas parfaits. Et oui, il ne faut sans doute pas les mesurer uniquement à l’aune de leurs prédécesseurs (parce que c’est facile de faire mieux quand on a fait si pire)
    Mais rien que pour l’organisation d’une telle rencontre ils ont le mérite de proposer un autre exercice de la politique, de se confronter aux gens, de reconnaître qu’il y a des insatisfactions légitimes à avoir.

    On devrait plutôt les encourager que les critiquer constamment (ce qui n’empêche évidemment pas de les questionner ni de débattre)
    Et pardon, mais si l’essentiel du reproche qu’on leur fait est parce qu’ils n’ont pas répondu aux lettres qu’on leur adresse alors que parallèlement ils défendent la Villa Valmer face à un promoteur immobilier véreux, qu’ils forcent la modification du PLUI pour plus de logements sociaux, qu’ils poussent pour une ville plus verte et plus durable, on peut quand même en être contents non ?

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    • LN LN

      D’accord avec vous. 2 ans c’est tellement peu au regard de tout ce qu’on a eu précédemment
      Positivons : La mairie du 6/8 propose une concertation régulière pour l’aménagement et la réhabilitation des parcs publics (même s’il y a d’autres priorités pour la ville). Il y a pas mal de riverains qui se sentent concernés et ravis d’être associés au projet et amenés à débattre. Impossible auparavant

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