RETOUR SUR UN APPEL

Billet de blog
le 5 Août 2023
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RETOUR SUR UN APPEL

La Cour d’appel d’Aix a donc rejeté la demande de mise en liberté présentée par le policier qui avait gravement blessé le jeune Hedi d’un tir de LBD. Revenons sur ce jugement et cette décision de la Cour d’appel

L’égalité de tous devant le droit

C’est, sans doute, la première signification de l’arrêt de la Cour d’appel : ce n’est pas parce que l’on est policier que l’on est au-dessus des lois. Ce rappel de l’égalité est bienvenu à une époque où tout est fait pour la remettre en cause. Nous sommes le 5 août : rappelons-nous que, le 4 août 1789, les États généraux décidaient l’abolition des privilèges dans notre pays. C’est important de le rappeler, aujourd’hui, à un moment où l’exécutif mène une politique destinée à restaurer toutes les inégalités possibles dans notre pays, voire à en instaurer de nouvelles. Dans le domaine de l’économie et de la fiscalité, dans celui de l’éducation, dans celui de la santé, et dans bien d’autres domaines de la vie sociale, les inégalités sont revenues dans un pays qui, croyions-nous, s’en était libéré. Il est donc essentiel que l’égalité devant le droit soit assurée par les magistrats dont c’est le rôle, car la justice, qu’ils administrent, consiste, d’abord, dans l’égalité devant la loi et devant la sécurité. Comme la police est une administration de l’État, son rôle est aussi d’assurer l’égalité.

La violence et la police

Réfléchissons un peu à la police, à son rôle dans la société, à sa façon de se comporter vis-à-vis des autres. La brutalité des policiers qui ont tabassé Hedi jusqu’à le blesser gravement au visage, à l’image de soi qu’il donne aux autres, manifeste une violence extrême qui fait peut-être partie des caractéristiques de la police. Le rôle de la police, comme chacun sait, est de maintenir l’ordre, mais elle se figure souvent qu’il faut, pour cela, faire preuve de violence. Celles et ceux de ma génération se souviennent de ce qui s’était passé à Paris, au métro Charonne, au cours d’une manifestation contre la guerre d’Algérie. Le 8 février 1962, il y avait eu neuf morts en raison d’usage de violence et d’armes par la police censée encadrer la manifestation. L’agression des policiers contre Hedi s’inscrit donc dans une vieille histoire. La violence finit par être attachée à la figure de la police, censée maintenir l’ordre et garantir la sécurité, mais c’est, d’abord, le signe d’un échec. Quand la police en vient à faire preuve de violence jusque’à faire usage d’armes, c’est une manifestation de faiblesse, c’est parce qu’elle se sent en situation d’infériorité à l’égard de celles et de ceux auxquels elle fait face dans une confrontation comme une manifestation. L’autre signification de la violence policière, c’est qu’elle considère ceux qui manifestent comme des délinquants. Pour la police, on n’a pas le droit de manifester un désaccord avec la loi. Selon le policier qui a attaqué Hedi d’un tir de LBD, ce dernier « présentait toute la panoplie d’un pillard. Quand on vient par curiosité, porteur d’une capuche et d’un masque anti-Covid, à quoi peut-on s’attendre ? ». Voilà, enfin, le masque anti-Covid dénoncé par des autorités de l’État. Et puis, il faut que les lecteurs de Marsactu fassent attention : qu’ils ne se baladent pas en ville avec une capuche, ça fait mauvais genre, et ils risquent de se faire attaquer par les policiers qu’ils rencontrent. La police croit voir la violence partout, car est elle-même un acteur violent, presque par définition. Au lieu de protéger et de garantir la sécurité, elle provoque l’insécurité. Au-delà, la police fait preuve de violence quand, comme cela arrive souvent, elle fait preuve de suspicion, quand elle remplace la présomption d’innocence par la présomption de culpabilité.

La justice et la police

C’est une autre signification de l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix. Non seulement les policiers sont soumis aux mêmes lois que les autres, mais ils devraient, même, faire preuve d’une plus grande attention que les autres au respect de la loi, car ils sont censés donner l’exemple de ce que Montesquieu appelait la vertu, caractéristique, selon lui, de la démocratie, qui la distingue des autres régimes qu’il étudie dans L’Esprit des lois. Mais il y a, dans notre pays, comme, sans doute, dans d’autres, une vieille confrontation entre la justice et la police, entre les juges et les policiers. Alors que la police devrait être le bras armé de la justice, elle refuse, souvent, de se soumettre à elle. On peut comprendre cet antagonisme ancien entre la police et la justice, d’abord, par une différence de culture. La culture de la police est celle d’une confrontation, tandis que la justice se situe dans la distance. La police est dans l’affrontement alors que la justice est dans l’arbitrage. Cela contribue à leur donner, à l’une et à l’autre, des regards différents sur les événements dans lesquels elles ont à prendre position. Une autre différence entre le justice et la police  se situe dans leur statut différent dans la politique et dans les instances de l’État. Une fois encore, qu’il me soit permis de citer Montesquieu et L’Esprit des lois. Dans son livre, un de ceux qui ont contribué à fonder la science politique, Montesquieu identifie trois pouvoirs, celui de faire la loi (c’est le pouvoir législatif), celui de la mettre en œuvre et de se consacrer à l’appliquer (c’est le pouvoir exécutif) et celui de juger les manquements à la loi (c’est le pouvoir des juges). Mais le propre d’une société démocratique est la séparation de ces pouvoirs : ils doivent être indépendants l’un de l’autre, aucun pouvoir ne doit être soumis à un autre. La décision de la Cour d’appel montre que les juges disposent bien d’un pouvoir indépendant de celui de l’exécutif. C’est ce que l’on attendait d’eux. Mais, dans le même temps, les policiers ont du mal à accepter cette séparation des pouvoirs, à en reconnaître l’importance. Cela explique que la police tente sans cesse de remettre en question cette indépendance des pouvoirs, et, en particulier, de mettre en question le pouvoir de la justice. Comme toutes les expériences de crise, celle que nous venons de connaître est une leçon pour l’avenir : nous devons nous rappeler que l’indépendance des pouvoirs est le seul moyen d’éviter la violence dans une société politique comme la nôtre. 

 

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